Un certificat imprudent sur les soins d'un confrère
Une patiente, Madame C., a bénéficié d’une prise en charge en orthodontie par un chirurgien-dentiste, le Docteur G. Insatisfaite des soins réalisés, elle a mis un terme à la relation thérapeutique et a été consulter un autre praticien.
Parallèlement, elle a également décidé de porter plainte devant la Chambre disciplinaire de Première instance à l’encontre du Docteur G. son premier chirurgien-dentiste, pour non-conformité des soins.
Dans ce contexte, Madame C. a sollicité de son nouveau praticien, par l’intermédiaire de son avocat, la remise d’un courrier reprenant la chronologie de la prise en charge et listant les soins futurs à réaliser.
Ce courrier a été adressé directement à l’avocat de la patiente, sans que cela ne fasse le moindre doute, la lettre commençant par la formule "Cher Maître", et se terminant par "Si vous manquez de renseignements, n’hésitez pas Cher Maître, à me contacter". Il a été communiqué dans le cadre de la procédure ordinale.
Au terme de cette lettre, le professionnel de santé effectuait un commémoratif précis des faits et donnait les codes d’accès permettant à l’avocat de la patiente de consulter, via son site sécurisé, l’entier dossier médical de cette dernière.
Le chirurgien-dentiste mis en cause a décidé de déposer plainte auprès du Conseil Départemental à l’encontre de son confrère pour non-respect des dispositions déontologiques relatives à la confraternité et au secret professionnel.
Quels fondements juridiques pour la plainte et quels arguments de défense ?
Pour fonder sa plainte, le Docteur G. se fondait sur les dispositions du code de déontologie des chirurgiens-dentistes :
- L’article R4127-259 du Code de la santé publique qui rappelle que "Les chirurgiens-dentistes doivent entretenir entre eux des rapports de bonne confraternité."
- L’article R4127-206 du Code de la santé publique qui dispose que : "Le secret professionnel s'impose à tout chirurgien-dentiste, sauf dérogations prévues par la loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du chirurgien-dentiste dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris."
De portée plus générale, l’article L.1110-4 du Code de la santé publique précise que : "Toute personne prise en charge par un professionnel de santé, un établissement ou service, un professionnel ou organisme concourant à la prévention ou aux soins dont les conditions d'exercice ou les activités sont régies par le présent code, le service de santé des armées, un professionnel du secteur médico-social ou social ou un établissement ou service social et médico-social mentionné au I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant."
Enfin, il convient de rappeler que la violation du secret professionnel peut constituer une infraction pénale, l’article 226-13 du Code pénal disposant que :
"La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende."
Suite au dépôt de la plainte ordinale, et conformément aux dispositions de l’article L.4123-2 du Code de la santé publique, une tentative de conciliation a été mise en œuvre par le Conseil Départemental de l’Ordre, comme il en a l’obligation.
Malgré la présence des deux parties, il n’a pas été possible de trouver un accord de sorte que le Conseil Départemental a transmis la plainte à la Chambre disciplinaire de première instance sans s’y associer.
Pour sa défense, le chirurgien-dentiste, qui n’était pas assisté d’un avocat, versait aux débats notamment une attestation de Madame C. au terme de laquelle elle précisait avoir donné son accord exprès pour que ses informations médicales soient adressées directement à son avocat.
En première instance : la plainte rejetée
En première instance, la Chambre disciplinaire interrégionale de Première Instance de Provence Alpes Côtes d’Azur Corse de l’Ordre des Chirurgiens-dentistes a, au terme d’une décision en date du 21 octobre 2021, rejeté la plainte du Docteur G. au motif que :
"Il résulte de l’instruction que Madame C. a donné expressément son accord pour transmettre son entier dossier médical à son avocat. Ainsi, et à supposer même que le courrier litigieux puisse être regardé par sa nature comme contenant des observations couvertes par le secret médical, le Docteur G. n’est pas fondé à soutenir que les dispositions de l’article R.4127-206 du Code de la santé publique, en vertu duquel le secret professionnel s’impose à tout chirurgien-dentiste, aurait été méconnu dans les circonstances de l’espèce."
Sa plainte ayant été rejetée, le Docteur G. a décidé dans les trente jours de la notification de la décision, d’interjeter appel de ce jugement manifestement contraire à la jurisprudence habituelle en matière de secret.
En effet, depuis une jurisprudence établie et notamment une décision de la Cour de Cassation du 8 avril 1998*, le patient ne peut pas délier le médecin de son obligation de secret.
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*(Cass Crim 8 avril 1998 n°97-83.656)
En appel, la condamnation du chirurgien-dentiste
En cause d’appel, la Chambre disciplinaire Nationale de l’Ordre des chirurgiens-dentistes a infirmé la décision et condamné le chirurgien-dentiste.
En effet, la Chambre rappelle, après avoir constaté que les faits n’étaient pas contestés par l’appelant, que :
"Le respect du secret médical constitue un principe absolu dans l’intérêt non seulement de protéger le patient, mais également de garantir la qualité des soins, qui nécessite que le patient ne puisse notamment avoir aucune réserve à confier au praticien toutes les informations qui peuvent être utiles tant au diagnostic qu’au traitement. Il est d’ailleurs, de jurisprudence constante que le consentement donné par un patient ne permet pas à un chirurgien-dentiste de s’affranchir de son obligation de respect du secret médical."
La Chambre en déduit que la décision de première instance doit être réformée au motif que le chirurgien-dentiste a, "en transmettant à l’avocat de sa patiente des informations la concernant couverte par le secret médical, méconnu son obligation déontologique résultant des dispositions de l’article R.4127-206 du Code de la santé publique et commis une faute justifiant qu’une sanction disciplinaire lui soit infligée."
Le Conseil en tire des conséquences particulièrement sévères, rappelant que "les faits reprochés de violation du secret médical sont graves".
"En prenant notamment en considération les circonstances de l’espèce, il sera fait une juste appréciation de la gravité de la faute qu’il a commise en lui infligeant la sanction disciplinaire de l’interdiction d’exercer la profession de chirurgien-dentiste pendant une durée de trois mois, dont deux mois assortis du sursis."
Le chirurgien-dentiste a été interdit d’exercer pendant un mois du 1er au 31 janvier 2023.
Il avait la possibilité de saisir le Conseil d’État d’un pourvoi dans le délai de 2 mois de la notification de la décision. En l’absence d’un tel recours, la décision est désormais définitive.
À retenir
Dans sa grande sagesse, la Chambre disciplinaire nationale rappelle l’importance du respect du secret professionnel qui est institué tout à la fois dans l’intérêt du patient et de l’intérêt général.
En l’espèce, il appartenait au chirurgien-dentiste de remettre le commémoratif des soins réalisés et le plan de traitement futur, ainsi que son dossier médical directement à sa patiente, à charge pour elle de transmettre ces éléments à son avocat.
Au regard de la sévérité des sanctions susceptibles d’être prononcées par les juridictions ordinales et pénales, les professionnels de santé doivent être particulièrement attentifs aux demandes de certificat, attestation, et communication d’informations médicales qui leurs sont faites par leurs patients et savoir le cas échéant refuser d’y faire droit.