Un chirurgien-dentiste peut-il reprendre des soins à la suite d'un confrère ?
En cas de litige d’un patient avec son chirurgien-dentiste relatif à des soins, le Code de déontologie du chirurgien-dentiste, intégré dans le Code de la santé publique (CSP) peut, à la première lecture, sembler contradictoire.
En effet, l'article R4127-264 CSP prévoit qu’un chirurgien-dentiste peut recevoir, même sans urgence, tout patient, même si ce patient a par ailleurs un autre chirurgien-dentiste traitant.
L'article R4127-267 CSP prévoit quant à lui qu'il n’est par principe pas autorisé de reprendre le suivi d’un patient après que les soins aient été débutés par un confrère.
Par exception, lorsque le patient le demande expressément, les soins peuvent être mis en œuvre.
Pour ne pas risquer une mise en cause par le confrère intervenu en premier auprès du patient, plusieurs précautions sont nécessaires :
- Le chirurgien-dentiste consulté en second lieu devra être en mesure de prouver qu’il a bien informé le patient sur la possibilité pour lui de retourner voir son chirurgien-dentiste traitant.
- Il devra également démontrer que le patient a clairement exprimé une demande de reprise du suivi. La preuve se fera par présomption via un faisceau d’indices. Une annotation au dossier peut être un mode de preuve. Par ailleurs, hors cas de l’urgence, le fait de faire un premier rendez-vous de bilan et de ne débuter les soins qu'une à deux semaines après ce premier rendez-vous démontre un temps de réflexion suffisant pour le patient.
Un chirurgien-dentiste est-il obligé de reprendre les soins à la suite d'un confrère ?
L'article R4127-232 CSP précise que le chirurgien-dentiste peut refuser d’assurer la prise en charge d’un patient.
Le contrat de soins est un contrat synallagmatique, c'est-à-dire qu’il requiert l’assentiment des deux protagonistes, le patient et son praticien. Hors cas d’urgence, le chirurgien-dentiste ne peut être tenu de soigner un patient.
Mais certaines conditions doivent être réunies :
- L'article R4127-211 précise quant à lui que si le chirurgien-dentiste a la possibilité de refuser de soigner un patient, il ne peut fonder sa décision sur un critère discriminant (sexe, origine, couverture sociale…).
- Le chirurgien-dentiste doit également assurer la continuité des soins du patient, c'est-à-dire par exemple l’orienter vers des confrères de sa région qui seraient susceptibles de le prendre en charge.
- Enfin, outre ces précautions, il est important de souligner que le chirurgien-dentiste est astreint à un devoir d’humanité. Ainsi, si son refus de soins emporte pour le patient l’impossibilité de remédier aux problèmes dentaires qu’il rencontre, le chirurgien-dentiste pourrait voir sa responsabilité disciplinaire engagée devant le Conseil de l’Ordre.
Le chirurgien-dentiste a-t-il l'obligation de prendre contact avec le confrère intervenu en premier ?
Dans le cas où le patient se présenterait au cabinet avec des soins débutés mais non terminés, il est souhaitable de contacter le prédécesseur, avec l’accord du patient, pour adapter la prise en charge au plan de traitement initialement débuté.
En tout état de cause, il faut veiller à ne pas dénigrer le travail du confrère ni formuler un commentaire ou jugement sur les soins mis en œuvre précédemment.
"Les chirurgiens-dentistes se doivent toujours une assistance morale. Il est interdit de calomnier un confrère, de médire de lui, ou de se faire l'écho de propos capables de lui nuire dans l'exercice de sa profession."
Article R4127-261 CSP
Le chirurgien-dentiste est-il obligé de poursuivre le travail débuté ?
"Le chirurgien-dentiste est libre de ses prescriptions, qui seront celles qu'il estime les plus appropriées en la circonstance. Il doit limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité et à l'efficacité des soins."
Article R4127-238 CSP
Aussi, si le nouveau praticien considère que le plan de traitement engagé ne peut être poursuivi au vu de son évaluation clinique, il ne doit pas poursuivre les soins. En effet, en cas d’échec, sa propre responsabilité pourrait être engagée pour ne pas avoir réévalué le cas clinique et pour avoir poursuivi une thérapeutique de manière inutile et inadaptée.
C’est l’obligation de "prudence et de diligence" qui s'impose à tout praticien et qui consiste à instituer un traitement qui repose sur des bases cliniques sérieuses.
Le praticien ne doit pas céder aux exigences de ses patients afin de les satisfaire mais, au contraire, leur expliquer ce qui leur convient de faire et ce qui est leur est contre-indiqué en fonction de leur état buccodentaire. Il convient, selon le cas, de l’orienter vers tel ou tel projet thérapeutique et de refuser, si nécessaire, la réalisation de soins ou de travaux qui lui paraîtraient totalement inutiles et médicalement injustifiés.
Pourquoi est-il si important d'établir un état dentaire précis ?
En cas d’expertise médico-légale dans le cadre du litige existant entre le patient et son praticien, l’expert doit être en mesure de distinguer les soins effectués par le chirurgien-dentiste qui fait l’objet d’une réclamation, et les soins du nouveau praticien.
Préalablement à toute prise en charge, il est souhaitable de pratiquer un examen clinique complet et de procéder à l’ensemble des examens complémentaires nécessaires (bilan radiographique notamment ; ne pas négliger les photographies, utiles dans ces circonstances), afin d’établir un état initial précis à intégrer dans le dossier médical constitué de manière exhaustive. Il est également conseillé de renseigner de manière détaillée le schéma dentaire de la fiche clinique (dents absentes, dépulpées, restaurées, remplacées ; en notant le type des obturations, des prothèses, etc.).
Dans le cadre d’un litige avec un autre praticien, la rédaction d’un certificat médical initial permettra d’identifier, sans ambiguïté, les actes qui ont été réalisés par d’autres praticiens, ainsi que la situation endobuccale exacte lors de la première consultation.
Dans le cas où le dossier médical serait communiqué au patient, penser à conserver précieusement un double de l’intégralité du dossier.
Comment rédiger un certificat de constatation dans le respect de la déontologie ?
Outre le contexte de la préservation des preuves, un assureur peut être amené à demander au patient de faire rédiger un certificat de constatation au nouveau chirurgien-dentiste dans le cadre d’un litige avec un praticien.
Indépendamment de la demande du patient, il est souhaitable de rédiger un Certificat Médical Initial complémentaire spécifique :
- Décrire avec précision les pathologies constatées (localisation, nature, volume, forme, etc.), avec les manifestations cliniques présentes pouvant en résulter.
- Veiller à ne pas sous-évaluer une lésion ou un dommage non perceptible (avant dépose de restauration ou reprise de soins par exemple) qui pourrait alors être imputé pour insuffisance de diagnostic : ajouter la mention "ce jour je n’ai pu constater de pathologies autres que celles rapportées dans le CMI descriptif, établi après examen clinique et radiographique" par exemple.
- Si le certificat médical initial (signé et daté) est communiqué au patient, toujours en conserver un double.
Ce certificat ne doit, en aucun cas, contenir des propos critiques sur la qualité ou l’indication des soins et travaux dispensés initialement, mais doit mentionner ce qui a pu être diagnostiqué objectivement au cours de l’examen, dans le respect du Code de déontologie et sans le moindre commentaire ou avis.
Il convient de préciser que le chirurgien-dentiste doit refuser de rédiger un certificat qu’il jugerait non-conforme à son évaluation de la situation clinique du patient (art. R4127-213 CSP).
Si une expertise médico-légale est envisagée, les soins dentaires doivent-ils être reportés ?
Dans le cadre du litige entre un chirurgien-dentiste et son patient sur la qualité des soins délivrés, un expert peut être amené à examiner les soins litigieux. Aussi, pour pouvoir examiner la situation bucco-dentaire du patient, aucune modification ne devrait, en principe, être apportée.
Toutefois, au cas par cas, certaines situations peuvent nécessiter une intervention immédiate, dans le but d’éviter toute aggravation de l’état dentaire du patient :
- l'urgence,
- l'assainissement de foyers infectieux majeurs,
- la réalisation de prothèses transitoires...
Les soins ainsi délivrés doivent absolument être renseignés et documentés afin que l’expert puisse les prendre en considération et les exclure du litige porté à sa connaissance.
Le dossier médical du patient peut-il être directement transmis à un assureur ?
Au sens de l'article R.4127-206 CSP, le dossier médical doit être transmis au patient, à charge pour ce dernier de le transmettre en intégralité ou en partie à l’assureur.
De plus, l'article 226-13 du Code pénal prévoit une peine d'emprisonnement et une amende de 15 000 euros en cas de "révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire (…) par état ou par profession (…)".
Comment facturer les honoraires au patient dans le cadre d'une reprise de soins ?
Le contexte d’un litige avec un confrère n’implique aucune différence dans la fixation des honoraires. Ces derniers doivent être fixés dans le respect de l’article R4127-240 CSP, notamment avec tact et mesure et sans en abaisser le montant dans un but de détournement de clientèle.
Aussi, le nouveau chirurgien-dentiste doit effectuer un devis, facturer ses actes au patient et procéder à la transmission à l’Assurance Maladie, comme il le ferait pour tout patient.
En effet, dans le cas où un assureur indemniserait le patient des soins précédemment effectués en acceptant de prendre en charge la réhabilitation, l’indemnisation serait versée au patient victime et non à un tiers.
L’assureur régleur est par ailleurs responsable du remboursement des prestations indûment versées par la CPAM à cette occasion, il n’y a donc aucune démarche supplémentaire à effectuer envers la Caisse.