Un chirurgien qui intervient en tant qu'aide-opératoire
Un patient est victime d'un accident du travail lui occasionnant une fracture de l'humérus.
Le lendemain, il subit une réduction de cette fracture et une ostéosynthèse par plaque. À son réveil, il se plaint d'une paralysie radiale dont il récupère presque totalement plusieurs mois après cette intervention.
Par la suite, il est procédé à une arthrolyse du coude, à l'ablation du matériel d'ostéosynthèse ainsi qu’à une neurolyse du nerf radial. À son réveil, le patient se plaint de la réapparition d'une paralysie du nerf radial.
Cette seconde intervention est réalisée par un chirurgien différent de celui qui a effectué l’opération initiale. Ce dernier y participe néanmoins en qualité d’aide opératoire.
Une remise en cause de la stratégie et du geste par l’expert judiciaire
Le patient, conservant des séquelles importantes, saisit la juridiction civile pour solliciter une expertise médicale judiciaire et demander la réparation de ses préjudices.
L’expert conclut à une paralysie radiale complète et définitive imputable à :
- L’utilisation du garrot pneumatique sur un nerf préalablement fragilisé.
Selon l’expert judiciaire, l'utilisation d'un garrot pneumatique n'était ni adaptée à l'état du patient ni conforme aux données acquises de la science et de la pratique médicale à la date de la seconde intervention. Ce défaut de prise en charge est à l'origine de la paralysie radiale complète et définitive. Il aurait été préférable de réaliser une hémostase au fur et à mesure de la progression de l'intervention. - Une stratégie opératoire exposant inutilement le nerf radial à un traumatisme itératif.
Selon l’expert, une neurolyse de ce nerf n’était pas justifiée en l’absence de déficit persistant, de même que l’ablation de la plaque d’ostéosynthèse, non gênante, n’était pas nécessaire. Ces deux gestes traumatisants ont inutilement agressé un nerf déjà fragilisé.
Le chirurgien "aide opératoire" et le chirurgien principal condamnés
Le tribunal considère que ces fautes techniques engagent la responsabilité du chirurgien "principal" mais également celle du chirurgien intervenu en qualité d’aide opératoire.
Il relève qu’au jour de l’intervention litigieuse (la seconde), le patient présentait un antécédent de paralysie du nerf radial qui majorait considérablement le risque de récidive. Cela aurait dû faire renoncer les opérateurs à l'utilisation d'un garrot ou, tout au moins, le patient aurait dû être informé sur les risques et les options thérapeutiques auraient dû être discutées avec le patient.
Le chirurgien intervenu en qualité d’aide opératoire connaissait cet antécédent pour avoir réalisé la première intervention et aurait dû l’évoquer auprès de l’autre chirurgien, "même si celui-ci tenait le bistouri lors de l’intervention, afin de prévenir le risque de récidive" d’une paralysie radiale.
Les juges ajoutent que le chirurgien intervenu en qualité d’aide opératoire ne peut se dédouaner de toute responsabilité dès lors qu’il est docteur en médecine et chirurgien, et non un simple interne.
Le tribunal décide qu’il appartient aux assureurs des deux chirurgiens d’indemniser le patient au titre de ses préjudices, à hauteur de 65 % pour l’assureur du chirurgien "principal" et à hauteur de 35 % pour l’assureur du chirurgien intervenu en qualité d’aide opératoire.
Ce que l'on peut retenir de cette décision
- Il ressort de ce jugement, rendu en octobre 2018, que le chirurgien intervenu en qualité de simple aide opératoire peut néanmoins voir sa responsabilité engagée en raison de fautes commises dans l’indication chirurgicale et le choix de la technique opératoire.
- Ces fautes engagent naturellement la responsabilité du chirurgien "principal" dès lors qu’elles ont été commises directement par celui-ci et que le contrat de soins lie le patient à ce chirurgien.
- L’aide opératoire est également susceptible de répondre des conséquences dommageables de ces fautes si, à son niveau, il ne met pas tous les moyens en œuvre pour tenter de les éviter. C’est cette abstention qui est considérée comme fautive dès lors que l’aide opératoire a les compétences (en médecine et chirurgie) et les connaissances (de l’état antérieur du patient) permettant d’éviter la survenance d’un accident médical.