Des complications anesthésiques au cours d’une salpingectomie
Une jeune patiente de 36 ans, porteuse d’une endométriose, est traitée dans le cadre d’un programme d’insémination intra-utérine.
Elle consulte pour des douleurs pelviennes faisant découvrir une grossesse extra-utérine avec hémopéritoine de moyenne abondance. Il est donc décidé de réaliser une salpingectomie gauche par laparotomie, en urgence.
L’induction est réalisée en séquence rapide (ISR) avec Propofol, Sufentanil et Esmeron®. Quelques secondes plus tard, il survient :
- un rash cutané généralisé ;
- un collapsus cardio vasculaire majeur avec pression artérielle non détectée au brassard brachial ;
- tachycardie à 165 bpm.
Un choc anaphylactique à l’Esmeron® est suspecté : la prise en charge consiste en un remplissage volémique, l’administration de bolus répétés d’Adrénaline et hydrocortisone 1 mg/kg. Les prélèvements pour recherche d'anaphylaxie (histamine, tryptase) sont réalisés.
Après 20 minutes de réanimation, une stabilisation hémodynamique est obtenue, permettant la réalisation du geste chirurgical. La patiente est transférée en réanimation sous Adrénaline 3 mg/h IV à la seringue électrique pour la prise en charge postopératoire.
Des suites compliquées
À J2 postopératoire, alors que la patiente est toujours intubée et sous catécholamines, il apparaît une fièvre à 40°C et une hypoxémie sévère nécessitant la curarisation et l’augmentation de la FiO2 à 100 % : un diagnostic de pneumopathie acquise sous ventilation mécanique précoce (PAVM) bilatérale est posé.
Une hémoculture, prélevée la veille, et un prélèvement bronchique reviennent positifs à Streptocoques beta-hémolytiques du groupe A (d’origine génitale), motivant l'introduction d'une antibiothérapie empirique par Augmentin® et Gentamicine (400 mg).
Le lendemain, la patiente s’aggrave au plan respiratoire suite à l’apparition d’un SDRA nécessitant l’introduction de NO et des séances de décubitus latéral alterné. L’antibiothérapie est élargie à Tazocilline et Levofloxacine.
À J5, il survient un pneumothorax droit et à J6 un pneumothorax gauche, avec persistance d'une hypoxémie profonde malgré le drainage pleural. Une assistance extracorporelle veino-veineuse (ECMO V-V) est posée par l'Unité Mobile du CHU le plus proche où elle est ensuite transférée. Une thrombose veineuse de la jugulaire interne droite et de la veine cave inférieure surviennent par la suite, motivant l'introduction d'une anticoagulation orale par Eliquis®.
Après un long séjour en rééducation, la patiente peut rentrer à domicile 2 mois et demi après la chirurgie initiale. La consultation d'allergologie, réalisée à distance, confirme l'allergie à tous les curares, excepté le Mivacurium.
Que disent les experts ?
Le choc anaphylactique à l’Esmeron® est considéré comme un accident médical non fautif dans la mesure où :
- son utilisation était justifiée (induction "estomac plein") ;
- sa survenue était imprévisible : l'incidence de l'anaphylaxie aux curares en France a été évaluée à 250 par million d’anesthésies lorsque le protocole comporte l’utilisation d’un curare. L’utilisation du Sugammadex dans le choc anaphylactique à l’Esmeron® n'est pas formellement recommandée, lui aussi étant associé à un risque allergique1.
En revanche, ils considèrent l’absence d’antibioprophylaxie comme étant à l'origine d'une perte de chance de 30 % de ne pas avoir d'infection postopératoire à streptocoques du groupe A et ses conséquences (les recommandations de la SFAR indiquent que « l’antibioprophylaxie diminue d'environ 50 % le risque d'infection du site opératoire », toutes chirurgies confondues).
De même, les paramètres de ventilation mécanique ne respectant pas les principes de la ventilation protectrice du SDRA (RFE SRLF 2019), ils retiennent une perte de chance de 50 % d’éviter le barotraumatisme, les pneumothorax et l’ECMO. Elle est répartie de la façon suivante :
- 30 % pour le réanimateur ayant pris en charge la patiente avant le diagnostic de SDRA ;
- 70 % pour celui étant intervenu dès J3, après le diagnostic.
Effectivement, malgré l’apparition du SDRA, la patiente a continué à être ventilée avec un volume courant (Vt) entre 500 et 600 ml pendant 72 heures alors que le Vt idéal recommandé se situait entre 292 mL et 390 ml.
L’absence de traçabilité de la Pression de Plateau est considérée aussi fautive.
Focus sur le "Syndrome Détresse Respiratoire Aigu" (SDRA)
L’European Society of Intensive Care Medicine (ESICM) définit le SDRA par la présence, dans les 7 jours suivant une pathologie pulmonaire ou extra-pulmonaire aiguë, de l’association d’une hypoxémie aigüe (PaO2/FiO2 ≤ 300 mm Hg), chez un patient ventilé avec une pression expiratoire positive (PEP) de 5 cmH2O au moins, et d’infiltrats radiologiques bilatéraux non entièrement expliqués par une insuffisance cardiaque ou une surcharge volémique2.
La définition de Berlin distingue les SDRA selon le rapport PaO2/FiO2 en :
- SDRA légers (200 < PaO2/FiO2 ≤ 300 mm Hg),
- SDRA modérés (100 < PaO2/FiO2 ≤ 200 mm Hg),
- SDRA sévères (PaO2/FiO2 ≤ 100 mm Hg).
La mortalité hospitalière se situe à 40 % environ, atteignant 45 % des patients présentant un SDRA sévère3.
La ventilation mécanique reste la pierre angulaire de la prise en charge thérapeutique du SDRA ; toutefois, elle peut potentialiser l’agression alvéolaire aiguë et majorer le risque de barotraumatisme (pneumothorax, pneumomédiastin, pneumopéritoine etc.), impactant ainsi la mortalité des patients atteints de SDRA.
Les stratégies ventilatoires recommandées par la SRLF4 se basent sur :
- Limitation du Vt à 6 ml/kg (4- 8 ml/kg) de poids idéal théorique (PIT en kg : Homme = 50 + 0,91x [taille (cm) – 152,4]. Femme = 45,5 + 0,91x [taille (cm) – 152,4])
- Limitation de la Pplat < 30 cmH2O
- Utilisation d’une PEP > 5 cmH2O chez tous les patients présentant un SDRA, en réservant des niveaux élevés de PEP chez les patients atteints de SDRA modérée ou sévère
En cas de SDRA avec un rapport PaO2/FiO2 < 150 mmHg, la curarisation précoce est également recommandée (dans le 48 heures après le début du SDRA) et l’introduction de séances de décubitus ventral d’au moins 16 heures consécutives.
L’étude LUNG SAFE a mis en évidence que, au moment où l’ensemble des critères de SDRA étaient réunis, seulement 34 % des patients étaient identifiés comme tels, laissant supposer que le traitement, en particulier la ventilation mécanique, était adapté avec retard3.
A retenir
L’amélioration de la mortalité associée au SDRA au cours des 20 dernières années semble largement expliquée par la réduction des lésions induites par la ventilation mécanique (VILI).
Étant donné le taux élevé de non-reconnaissance du SDRA et le risque de perte de chance majeure pour le patient qui peut en découler, il paraît judicieux d’instaurer rapidement une ventilation protectrice à tous les patients de réanimation soumis à une ventilation invasive en réévaluant, au moins toutes les 24 heures, l’efficacité et la tolérance des paramètres adoptés.