Yeux secs, douleurs orbitaires, diplopie, exophtalmie chez tout patient basedowien : évoquer une orbitopathie thyroïdienne spécifique
Une patiente de 45 ans, après avoir été traitée 24 mois pour une maladie de Basedow par un antithyroïdien de synthèse, demeure hyperthyroïdienne. Elle a un petit goitre homogène, ne présente pas de signes oculaires ; une hyperfixation homogène est documentée à la scintigraphie.
Compte-tenu de la durée d’évolution de l’hyperthyroïdie, mal vécue, un traitement radical lui est proposé. Ayant eu quelques années plus tôt un choc septique après une appendicectomie, ayant nécessité 3 mois d’hospitalisation en réanimation, c’est un traitement par radioiode (autrefois appelé IRA thérapie) qui sera décidé.
Elle reçoit 5 milicuries d’iode 131 : il s’ensuivra une hypothyroïdie deux mois plus tard, corrigée en 4 semaines. Dans le même temps apparaissent des symptômes oculaires : gêne puis douleur à la mobilisation d'un œil, sensation de grains de sable, interprétées comme relevant d’une conjonctivite par un premier ophtalmologiste.
L’inefficacité thérapeutique des traitements locaux, l’apparition d’œdème palpébral et d’une exophtalmie minime conduisent au diagnostic d’orbitopathie thyroïdienne, qui continuera d’évoluer pour son propre compte.
Seront ainsi observées sur une période de trois années suivant l’administration de radioiode :
- une exophtalmie inflammatoire,
- une hypertrophie des muscles droits supérieurs et inférieurs,
- une diplopie séquellaire nécessitant une prismation.
Sur le plan thérapeutique, auront été nécessaires :
- une corticothérapie en bolus,
- une immunothérapie,
- une radiothérapie orbitaire,
- une intervention sur les muscles oculomoteurs.
Apparition ou aggravation d’une orbitopathie basedowienne après traitement par radioiode : quels risques de survenue ?
La maladie de Basedow est une maladie auto-immune touchant 2 % de la population avec une nette prédominance féminine (4 femmes pour un homme) ; dans sa forme complète elle associe un goitre homogène, une hyperthyroïdie et des signes oculaires.
Les signes cliniques d’orbitopathie thyroïdienne, observables dans 60 % des cas sont variés1 :
- inflammatoires : hyperhémie conjonctivale, œdème palpébral, chémosis, œdème caronculaire, douleurs rétro-orbitaires ;
- palpébraux : rétraction, asymétrie oculopalpébrale ;
- exophtalmie : en générale axile, bilatérale, parfois asymétrique pouvant générer une kératite d’exposition ;
- troubles oculomoteurs : diplopie, limitation de l’élévation avec diplopie verticale liée à l’atteinte du droit inférieur la plus fréquente ;
- neuropathie optique : la plus rare et la plus grave avec vision des couleurs altérée, champ visuel perturbé et baisse de l’acuité visuelle.
Après un traitement par iode radioactif, le risque relatif de présenter des signes ophtalmologiques de ce type est significativement augmenté mais dans une faible proportion, sa quantification ne fait pas consensus.
Les chiffres qui suivent ont été avancés par l’expert dans ce dossier.
- 15 % des patients ont une forme mineure et l'immense majorité des ophtalmopathies basedowiennes régresse spontanément ad integrum avec des traitements symptomatiques.
- Dans 5 % des cas environ, les symptômes fonctionnels sont gênants pour la vie quotidienne et nécessitent des traitements actifs par corticothérapie générale ou des traitements immunomodulateurs tels que le Rituximab (biothérapie par un anticorps monoclonal anti CD20).
- Dans moins de 1 % des cas, le pronostic visuel est engagé. Dans ce cas, le traitement combine un traitement immunomodulateur, la chirurgie de décompression du nerf optique et/ou la radiothérapie externe.
Quels sont les facteurs de risque de développer ou d’aggraver une orbitopathie thyroïdienne ?
- le sexe masculin,
- le tabagisme,
- une élévation de la TSH post-thérapeutique de l’hyperthyroïdie,
- l’administration de radioiode.
Quels enseignements tirer de cette affaire ?
Dans cette affaire, la patiente s’estimait victime d’un défaut d’information pré-thérapeutique avant IRA thérapie, indiquait ne pas avoir été prévenue des risques de complications associées au traitement et le remettait en cause.
Mais dans le cas présent, le choix d’un traitement radical a été considéré par l’expert comme justifié en regard de la durée d’évolution de 24 mois.
La pertinence du choix de l’IRA thérapie a été validée sur les critères suivants : un goitre peu volumineux, un antécédent de complication chirurgicale, l’absence de grossesse envisagée chez cette femme de 45 ans, qui n’avait pas de facteurs de risque d’orbitopathie (absence d’orbitopathie clinique, non fumeuse, faible taux d’anticorps anti récepteurs de la TSH) invitait à privilégier ce traitement radical plutôt que la chirurgie.
Quelles informations délivrer sur les risques d’un traitement radical ?
Partant du principe que le médecin se doit d’informer son patient de tout risque fréquent ou grave normalement prévisible2 quand il propose un traitement, il faut indéniablement en pareille situation selon le traitement préciser au patient :
- quelle que soit la modalité choisie, la nécessité de prendre à vie un traitement par hormones thyroïdiennes ;
- pour le traitement chirurgical consistant en une thyroïdectomie, les risques spécifiques à la chirurgie thyroïdienne : atteinte du nerf récurent avec paralysie récurrentielle, lésion des parathyroïdes avec hypocalcémie et nécessité d’un traitement vitaminocalcique transitoire ou définitif ;
- pour le traitement par radioiode, c’est essentiellement le risque d’apparition ou d’aggravation d’une orbitopathie thyroïdienne qui est à signaler
Dans ce dossier in fine seul le médecin nucléaire qui a administré le traitement par radioiode a été mis en cause car il n’a pu prouver la délivrance de l’information sur les risques du traitement par radioiode.
Il est cependant prudent que le médecin prescripteur du traitement apporte l’information, idéalement dans le cadre d’une décision partagée, et de prouver la "matérialité" de sa communication au patient lors d’un entretien individuel (document remis exhaustif ou courrier d’adressage à un spécialiste dont le patient sera destinataire).
Notes
1- Delmas J, Adenis JP, Robert PY Orbitopathies thyroïdiennes, EMC- Ophtalmologie 2020 ; 37(1) :1-12
2- Le droit du patient à l’information a été formalisée par la loi du 4 mars 2002 ; le code de santé publique précise dans l’article R 4127-35 qu’un médecin "doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose". Ce devoir d’information porte notamment sur "les risques fréquents ou graves normalement prévisibles que comportait un acte individuel de prévention, de diagnostic ou de soin", comme précisé dans un arrêt du 09/12/2020 de la Cour de Cassation. Il importe au médecin d’apporter la preuve que son malade a bien reçu toute l’information nécessaire.