Une paralysie radiale dans les suites d’une fracture de l’humérus
L’histoire est celle d’un homme trentenaire, chef dans un restaurant, qui présente une fracture du tiers moyen de l’humérus droit avec un fragment en aile de papillon.
Il est alors admis en clinique et pris en charge par un chirurgien orthopédique. Celui-ci ne constate aucun déficit nerveux et est contraint de programmer l’intervention à 72 heures, temps imparti pour commander et recevoir une plaque verrouillée en vue de l’ostéosynthèse.
L’intervention se déroule bien et ne pose aucune difficulté technique. Pour autant, immédiatement au réveil, le patient présente une paralysie radiale.
Le chirurgien décide de réintervenir le lendemain pour explorer le nerf mais ne retrouve alors aucune anomalie particulière. Le poignet est donc immobilisé et une rééducation précoce est prescrite. Aucune récupération de la paralysie radiale ne sera cependant observée.
Comble de malchance, dans un second temps, le patient présentera une pseudarthrose serrée qui nécessitera une nouvelle intervention, cette fois par un autre chirurgien et avec succès. Il refusera néanmoins le transfert tendineux proposé.
Comme on pouvait s’y attendre, dans un troisième temps, il engagera une procédure à l’encontre du chirurgien.
Une expertise sévère qui retient un défaut d’information et une faute technique
L’expert ne retient pas la responsabilité du chirurgien orthopédique pour la pseudarthrose survenue. Il la considère comme une complication connue et imprévisible de ce type de fracture et toujours possible, même quand elle est prise en charge par les meilleurs opérateurs.
En revanche, concernant la paralysie radiale, l’expert se montre particulièrement sévère :
- Il retient déjà un défaut d’information à l’encontre du chirurgien, qui justifiait l’absence d’information sur le risque de paralysie radiale par l’urgence de l’intervention. Il considère en effet que le caractère urgent de cette intervention était très "relatif" dans la mesure où, en pratique, elle n’avait eu lieu que 72 heures après l’admission. Il lui reproche également de ne pas avoir informé son patient des alternatives thérapeutiques (clou versus plaque) en ne lui exposant pas les avantages et risques des différentes techniques…
- Alors que finalement, le compte rendu opératoire (CRO) ne mettait en évidence aucun problème particulier pouvant expliquer la paralysie, l’expert retient également une faute technique.
Il pointe l’absence de traçabilité du repérage du nerf radial dans le CRO pour en déduire que le praticien n’y a pas procédé et que toutes les précautions nécessaires n’ont pas été prises pour éviter le risque d’atteinte nerveuse.
Le chirurgien argue du fait que ce repérage est évidemment systématique dans ce type de fracture, à tel point qu’il n’est même pas nécessaire de le mentionner.
Ce à quoi l'expert répond "Une paralysie radiale immédiatement au réveil après la mise en place d’une plaque, c’est un classique, pourquoi avoir décidé d’explorer le nerf si vous étiez si sûr de vous ?"
La leçon à retenir : l’importance de la traçabilité dans le CRO
Si, dans le cadre de la chirurgie programmée, les chirurgiens sont désormais tous très attentifs à la notion d’information et veillent à la traçabilité de celle-ci, ils le sont sans doute moins dès lors qu’il existe un contexte d’urgence.
On ne peut cependant que leur conseiller d’être un peu plus prudents car les experts, à l’évidence, ne se satisfont plus du mot "urgence", qui dans le passé balayait sans difficulté la notion d’information préopératoire.
Enfin, cette même exigence de traçabilité doit s’appliquer au compte rendu opératoire.
Dans le cas rapporté, le chirurgien affirmait avoir repéré le nerf. Bénéficiant d’une réputation de praticien très consciencieux, avec une "patte chirurgicale" reconnue, il n’y avait objectivement pas lieu de douter de ses paroles.
Le fait qu’il ait préféré ré-intervenir rapidement devant cette complication grave aurait pu aussi, de la part d’un autre expert, être interprété, non comme un doute mais comme une preuve de sérieux : le chirurgien voulait s’assurer à tout prix qu’il n’y avait pas de lésion macroscopique du nerf passée inaperçue et pouvant bénéficier d’une réparation.
Le mieux est donc certainement d’éviter une standardisation du CRO de type "réduction ostéosynthèse immobilisation", comme on en voit encore lors d’expertises.
Le compte rendu opératoire sert aussi à "protéger" le chirurgien de toute accusation de maladresse ou de faute technique en cas de mise en cause.
Une paralysie radiale qui coûte un bras...
- La victime, qui avait une très belle situation professionnelle, invoquera un préjudice professionnel majeur, consistant en l’impossibilité d’exercer avec art son métier de chef cuisinier.
- Par ailleurs, père de famille et droitier, il fera valoir un besoin d’assistance pour certains actes du quotidien, ce que l’expert entendra, concluant à la nécessité d’une tierce personne de 2 heures par jour jusqu’à la majorité de ses enfants, puis de 4 heures par semaine à titre viager…
Petite fracture et grosse facture peuvent donc rimer.
Le compte rendu opératoire idéal existe-t-il ?
Réponses en images avec le Dr Nicolas Chanzy