Une corticothérapie retard systémique au très long cours
Un patient âgé de 63 ans, souffrant d’une rhino-conjonctivite allergique depuis l’adolescence, met en cause son médecin pour la survenue de pathologies articulaire, ophtalmologique, endocrinienne et psychiatrique qu’il attribue à la prise prolongée et répétée de corticoïdes injectables.
La prescription a débuté alors qu’il avait 27 ans. Il a été traité pendant 36 années : dans les premières années à raison d’une injection intramusculaire de corticoïdes ponctuelle puis une ou deux injections annuelles.
Devant la recrudescence des symptômes et sur la base des relevés des caisses primaires d’assurance maladie, il a reçu 39 ampoules d’acétonide de triamcinolone (Kénacort retard® 80 mg) sur les 7 années précédant la découverte des complications.
Le patient, peu disponible pour venir en consultation, réclamait souvent des ordonnances de dépannage qui étaient adressées par voie postale, parfois à 2 reprises à quelques jours d’intervalle, faute d’avoir reçu la première ordonnance demandée ; ces ordonnances n’étaient pas toujours tracées dans le dossier patient.
Ainsi ont été diagnostiquées :
- une ostéonécrose aseptique des têtes fémorales qui a nécessité deux interventions d’arthroplastie totale ;
- une cataracte bilatérale suivie également de deux interventions chirurgicales ;
- une insuffisance surrénale résolutive en 8 mois après arrêt des injections de Kénacort® ;
- une ostéoporose aux poignets ;
- une dépression.
Les médecins consultés (ophtalmologiste, interniste, rhumatologue et psychiatre) ont tous rapporté ces pathologies à la prise de corticoïdes.
Une prescription non conforme aux recommandations thérapeutiques pour les rhinites allergiques
La rhinite allergique, pathologie fréquente avec une prévalence de 25 % dans les pays développés, a fait l’objet de recommandations pour la pratique clinique par les sociétés savantes françaises ORL et d’allergologie.
Au plan thérapeutique, l’éviction des allergènes identifiés est la première mesure, accompagnée de lavages de nez avec des solutions salines isotoniques.
Il est recommandé d’utiliser :
- en première intention les antihistaminiques oraux antiH1 dans les formes légères à modérées, en privilégiant ceux de troisième génération ;
- un rhinocorticostéroïde en monothérapie peut y être associé, avec doublement de la posologie chez l’adulte si inefficace ;
- enfin, en cas d’échec, une association rhinocorticostéroïde-AntiH1 nasal en dose fixe est préconisée.
Il est recommandé de réaliser l’immunothérapie allergénique en cas de rhinite allergique modérée ou sévère, persistante ou intermittente (saisonnière ou per annuelle) insuffisamment contrôlée par les traitements symptomatiques et les mesures d’éviction des allergènes.
Il n’est pas recommandé d’utiliser :
- la corticothérapie orale en première intention dans le traitement de la rhinite allergique. Son utilisation est réservée aux formes sévères en cure courte ;
- les décongestionnants nasaux en première intention dans le traitement de la rhinite allergique ;
- les antileucotriènes en monothérapie et en première intention dans le traitement de la rhinite allergique. Ils peuvent être prescrits en seconde ligne
Enfin en cas d’échec du traitement de la rhinite allergique, la bonne prescription et l’observance du traitement doivent être vérifiées et si la plainte principale est l’obstruction nasale, un avis ORL doit être pris sur l’indication d’un geste thérapeutique de réduction partielle du volume des cornets inférieurs.
Quels enseignements tirer de cette affaire ?
L’expert a confirmé le lien entre les pathologies alléguées et la prescription de corticoïdes : il a considéré que la prise en charge n’a pas été conforme aux règles de l’art et aux données acquises de la science médicale de l’époque où les soins ont été dispensés pour les motifs suivants :
- choix thérapeutique inadapté,
- posologie inadapte,
- surveillance inadaptée en raison des risques d’ostéoporose, d’insuffisance surrénale, de cataracte,
- nombreuses prescriptions sans examen clinique, ni surveillance, ni confirmation de la nécessité de l’injection,
- défaut d’information du patient sur les risques liés aux injections de kénacort
Sur le fond
la prescription de corticoïdes d’action prolongée injectables systémiques pour le traitement de la rhinite allergique n’a plus sa place, compte tenu des dernières recommandations et d’un rapport bénéfice/risque défavorable.
Sur la forme
- la traçabilité des ordonnances, des entretiens téléphoniques, du courrier électronique est fondamentale ; elle aurait sans doute permis au prescripteur, dans ce cas, de réaliser l’importance de la dose cumulée de corticoïdes prescrite ;
- la délivrance d’ordonnances de dépannage en dehors d’une consultation formalisée doit rester exceptionnelle, la prescription doit être de courte durée avec mention éventuelle "ordonnance de dépannage" et engage toujours la responsabilité du prescripteur ;
- la prescription d’une corticothérapie, surtout prolongée, doit toujours s’accompagner d’une information sur les effets secondaires et la surveillance qui en découle (risque de diabète, d’HTA, de prise de poids, d’infections, d’ostéoporose, d’amyotrophie, de fragilité cutanée, d’insuffisance surrénalienne, de cataracte, de glaucome)