Des actes de cryothérapie "corps entier" réalisés dans des instituts de beauté
Dans les deux affaires, les faits sont assez similaires.
- Première affaire (pourvoi n° 21-83522)
Des séances de cryothérapie "corps entier" sont dispensées dans un institut de beauté, hors de toute supervision médicale, par des esthéticiennes qui n’ont eu aucune autre formation que celle assurée par l'installateur du matériel.
Dans les suites de l’acte, un patient présente des engelures à l’origine d’une incapacité totale de travail d'un mois et demi. La société et son gérant sont donc poursuivis respectivement des chefs de blessures involontaires et d'exercice illégal de la médecine.
- Seconde affaire (pourvoi n° 21-84951)
C’est le conseil départemental de l'Ordre national des médecins et le conseil départemental de l'Ordre des masseurs-kinésithérapeutes qui opèrent un signalement des pratiques d’un gérant d’un centre spécialisé dans la cryothérapie qui propose, lui aussi, des séances de cryothérapie "corps entier".
Chacun de ces Ordres considère qu’il s’agit d’un exercice illégal de la profession qu’il représente.
Quelle est la réglementation applicable aux actes de cryothérapie ?
La cryothérapie est un acte de physiothérapie qui consiste à délivrer, dans une cabine, un froid intense pendant une courte période, soit sur le corps entier, soit sur le corps à l’exception de la tête.
L’acte peut avoir deux finalités :
- une finalité non médicale, telle que le bien-être, la récupération ou l'entraînement du sportif ou encore l'esthétique ;
- une finalité médicale, lorsque la cabine est utilisée dans des indications telles que la diminution des douleurs, notamment liées aux maladies rhumatismales, le traitement des symptômes de la sclérose en plaque, une amélioration des troubles asthmatiques ou l’atténuation de la dépression, etc.
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Il est important de bien distinguer ces deux finalités car les textes réservent la pratique de la cryothérapie à visée médicale à certaines catégories de professionnels de santé :
- Si l’acte aboutit à la destruction, si limitée soit-elle, des téguments, c’est l’arrêté du 6 janvier 1962, dans sa rédaction issue de l’arrêté du 13 avril 2007, qui s’applique. Il réserve ces actes aux seuls docteurs en médecine.
- Si le procédé utilisé n’est pas susceptible d’aboutir à une lésion des téguments, le masseur-kinésithérapeute peut réaliser l’acte sur prescription médicale, comme l’y autorisent les articles R. 4321-5 et R. 4321-7 du Code de la santé publique.
Pour établir l’exercice illégal, il était donc primordial de définir la finalité de l’acte, d’autant plus que dans les deux cas, les gérants de centres d’esthétique mis en cause invoquaient justement l’absence de toute finalité médicale.
La visée thérapeutique des actes de cryothérapie
Dans la première affaire, la Cour de cassation relève plusieurs éléments :
- l’argument de la Cour d’appel, selon lequel la machine délivrait des températures extrêmes, pouvant atteindre – 150°C, ne suffit pas, à lui seul, à exclure que l’acte ait pu poursuivre une finalité esthétique ;
- en revanche, le contrat de prestation de service comportait un article dédié aux contre-indications médicales ;
- pour faire la promotion de ses cabines, l’institut de beauté a particulièrement mis en avant le soulagement des personnes atteintes de maladies dégénératives douloureuses, allant même jusqu’à faire état de témoignages selon lesquels les utilisateurs auraient été guéris de leurs pathologies ;
- enfin, bien que la pratique soit décrite comme dépourvue de toute finalité de soins et visant exclusivement le bien-être, l'une des esthéticiennes de la société a admis, au cours de l'enquête, que la seule différence avec la cryothérapie thérapeutique résidait dans l'absence d'intervention d'un médecin.
La Cour retient donc la finalité thérapeutique des séances.
Dans la seconde affaire, la Cour d’appel avait relaxé le prévenu, en considérant que dès lors qu’elle n’avait pas abouti à l’altération ou à la destruction des téguments, la pratique de la cryothérapie corps entier ne pouvait se voir reconnaître de finalité thérapeutique.
La Cour de cassation infirme ce raisonnement et retient, au contraire, une visée médicale :
- dans leur plaquette promotionnelle, les gérants présentaient les actes de cryothérapie pratiqués dans leur centre comme pouvant soulager des douleurs chroniques et des états post-traumatiques par des effets antalgiques et anti-inflammatoires et comme pouvant aider la rééducation de patients atteints de plasticité musculaire. Enfin, les bienfaits de la cryothérapie pour certaines pathologies comme l'eczéma, le psoriasis, des œdèmes ou des inflammations étaient vantés ;
- lors de l'enquête, la gérante a elle-même déclaré qu'elle proposait des séances de cryothérapie pour de la récupération sportive et pour soulager les douleurs.
Les prévenus se sont bien livrés, de manière habituelle et par l'intermédiaire de la société dont ils étaient les gérants, au traitement de maladies congénitales ou acquises, réelles ou supposées.
La cryothérapie relève bien de la compétence d’un professionnel de santé
C’est la conséquence de la reconnaissance de la finalité thérapeutique des actes de cryothérapie.
Dans la première affaire, le procédé utilisé a soumis la victime à des températures négatives extrêmes qui lui ont causé des brûlures profondes au deuxième et troisième degrés. L’acte fait donc partie de ceux aboutissant à la destruction, si limitée soit-elle, des téguments, telle que visée à l’arrêté de 1962.
Il s’agit donc d’un acte réservé aux médecins, et le gérant s’est rendu coupable d’exercice illégal de la médecine. Sa condamnation à deux mois d’emprisonnement avec sursis est confirmée.
Dans la seconde espèce, la Cour d’appel avait déclaré irrecevable la constitution de partie civile du conseil de l’Ordre des masseurs-kinésithérapeutes puisque, étant partie du principe que l’acte avait une finalité esthétique, elle avait considéré qu’il ne s’inscrivait pas dans le cadre de l’article R. 4321-5 du Code de la santé publique, cité plus haut.
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt sur cette seule irrecevabilité et renvoie l’affaire devant la cour d’appel pour qu’il soit statué sur la question de l’exercice illégal de la profession de kinésithérapeute.
En revanche, les autres dispositions, à savoir la relaxe du chef d’exercice illégal de la médecine, sont confirmées, ce qui est logique : les actes n’ayant pas impliqué de lésion des téguments, ils ne relevaient pas, dans cette seconde affaire, de la compétence d’un médecin.
A retenir
La cryothérapie à des fins esthétiques
Peut être pratiquée par des non-professionnels de santé.
La cryothérapie à des fins médicales
Il s'agit d'un acte de physiothérapie dont la pratique est réservée :
- aux docteurs en médecine lorsqu’elle aboutit à la destruction, si limitée soit-elle, des téguments ;
- aux personnes titulaires d'un diplôme de masseur-kinésithérapeute intervenant pour la mise en œuvre de traitements sur prescription médicale, à la condition qu'elle ne puisse aboutir à une lésion des téguments.