Une ponction veineuse aux lourdes conséquences
48 heures après avoir bénéficié d’une ponction veineuse dans un laboratoire d’analyses médicales, une patiente âgée de 63 ans se présente au service des urgences d’un centre hospitalier suite à l’apparition d’un œdème et de douleurs très importantes du bras ponctionné.
Il est rapidement diagnostiqué un tableau de sepsis sur dermo-hypodermite. La patiente est transférée en réanimation médico-chirurgicale.
Le lendemain, un scanner du bras décrit une infiltration des tissus mous de l’ensemble du membre supérieur étendu à l’épaule et à la région prépectorale, sans collection associée. La patiente est opérée le jour même.
Les suites opératoires sont compliquées par une atteinte hémodynamique nécessitant une prise en charge au CHU local. La patiente y bénéfice d’un second look chirurgical.
Les analyses bactériologiques retrouvent un streptococcus pyogenes (ou Streptocoque du Groupe A). Les lésions délabrantes sont traitées par des greffes de peau, avec une dizaine d’interventions, une durée d’hospitalisation de 6 semaines puis des soins locaux à domicile avec une dépendance totale pendant 3 mois supplémentaires.
La patiente rapporte de lourdes séquelles fonctionnelles, des conséquences personnelles et professionnelles. Elle engage une procédure CCI à l’encontre du laboratoire d’analyse, qu’elle juge responsable de l’infection.
La fasciite nécrosante, une infection en augmentation
La MAPAR 2016(1) nous rappelle que les fasciites nécrosantes sont des dermo-hypodermites bactériennes nécrosantes qui atteignent l’hypoderme, donc l’environnement immédiat des aponévroses musculaires (fasciites nécrosantes) et peuvent associer éventuellement une atteinte musculaire (myonécrose, gangrène gazeuse). Elles étaient appelées par le passé gangrène, gangrène gazeuse, gangrène de Fournier. On doit les appeler infections nécrosantes des parties molles (necrotising soft tissue infections), car la notion d’atteinte du fascia est moyennement pertinente.
Santé publique France du 8 décembre 2022(2) a fait un point sur la situation des infections invasives à Streptocoque A en France.
Le Streptocoque du Groupe A (SGA) ou Streptococcus pyogenes est une bactérie Gram positive strictement humaine qui se transmet par gouttelettes respiratoires et contacts direct (sécrétions nasales, lésions cutanées…). La transmission peut se faire à partir de porteurs asymptomatiques ou de personnes malades.
Le streptocoque du Groupe A est le plus souvent responsable d’infections non invasives et généralement bénignes, telles que l’angine, la pharyngite, la scarlatine, l’érysipèle et l’impétigo. Les complications peuvent être le rhumatisme articulaire aigu quand l’infection n’est pas correctement traitée ou la glomérulonéphrite post-streptococcique. Plus rarement, il peut être responsable d’infections invasives graves (infections invasives à Streptocoque du Groupe A).
Ces dernières étaient très marquées depuis le mois de novembre 2022 chez les enfants, avec des niveaux dépassant ceux de 2019. Chez les adultes, l’augmentation sur 2022 était plus progressive mais le nombre de cas en novembre dépassait celui observé en 2018 ou 2019.
Ces observations s’inscrivent dans un contexte où pendant les deux années 2020 et 2021, probablement en lien avec les mesures barrière mises en place pour la Covid-19, la fréquence des infections à SGA était particulièrement faible.
La situation épidémiologique actuelle des infections invasives à streptocoque du groupe A n’est pas liée à l’émergence d’une souche bactérienne nouvelle mais principalement à deux génotypes (emm12 et emm1) déjà connus.
Courrier International dans un article du 22 mars 2024(3) alerte les voyageurs à destination du Japon. L’archipel enregistre un nombre record de cas d’infection aux streptocoques du Groupe A, là aussi en lien avec une chute collective de la capacité immunitaire après la pandémie.
Un diagnostic précoce et un traitement multidisciplinaire indispensables
La clé de la réussite du traitement d’une fasciite nécrosante réside dans le diagnostic précoce et une gestion appropriée. La base du traitement est le débridement chirurgical complet, combiné à une antibiothérapie, une surveillance étroite et une réanimation circulatoire.
Malgré une prise en charge chirurgicale, la mortalité est autour de 20 %. Le retard diagnostique impacte la mortalité et ceux qui survivent ont besoin d’une chirurgie plus étendue, de reconstructions importantes et souvent d’amputations.
Lorsque le diagnostic est précoce, les résultats semblent nettement améliorés et le risque d’invalidité à long terme diminue.
La prise en charge doit donc être multidisciplinaire, associant chirurgien, anesthésiste-réanimateur, radiologue et microbiologiste pour s’assurer de l'absence de retard dans la prise en charge.
Qu'a conclu la CCI dans cette affaire ?
L’expert infectiologue désigné par la CCI conclut qu’il n’est pas possible rétrospectivement de déterminer si le protocole de prélèvement en vigueur dans le laboratoire d’analyses, et qui était bien conforme aux recommandations, a été parfaitement suivi ou non lors du prélèvement effectué chez la patiente.
Il ne peut déterminer avec certitude que ce prélèvement sanguin soit à l'origine de la fasciite nécrosante, mais cette hypothèse est la plus vraisemblable compte tenu de la chronologie des événements et sera considérée comme le fait générateur.
Deux autres hypothèses, de probabilité beaucoup plus faible, ne peuvent être formellement écartées :
- une excoriation cutanée, même minime et passée inaperçue, lors du trauma de la main qui a eu lieu 3 jours avant la ponction veineuse ;
- ou une lésion cutanée débutante qui s'est manifestée dès le lendemain et a été considérée par le médecin traitant comme un possible zona.
En conclusion
L’expert retient un accident médical non fautif pour le laboratoire d’analyses, très probable mais non certain, sous la forme d'une dermo-hypodermite secondaire à la prise de sang.