Le principe : responsabilité de plein droit des établissements de santé, sauf à rapporter la preuve d'une cause étrangère
La loi Kouchner du 4 mars 2002 a entériné le principe d’une responsabilité sans faute des établissements de santé du fait des infections nosocomiales contractées en leur sein.
*Incapicité permamente partielle
**Les critères de gravité sont définis par la loi n°2009-526 du 12 mai 2009 et le décret n° 2011-676 du 19/01/2011 : AIPP de 25 % ou plus, arrêt temporaire des activités professionnelles ou gênes temporaires consécutives d’un déficit fonctionnel temporaire ou égal à un taux de 50 % pendant une durée au moins égale à 6 mois consécutifs ou non consécutifs sur une période de 12 mois, et exceptionnellement, inaptitude définitive à l’activité exercée avant ou troubles graves dans les conditions d’existence.
Le législateur n’a pas précisé ce qu’il entendait par "infection nosocomiale" mais la jurisprudence est venue construire cette définition au fil des décisions.
Ainsi, depuis l’arrêt du Conseil d’Etat du 21 juin 2013 (n° 347450), le juge administratif retient, la qualification de nosocomiale pour les infections "survenant au cours ou au décours d’une prise en charge et qui n’étaient ni présentes, ni en incubation au début de la prise en charge".
Selon ce texte, la seule possibilité pour les établissements de s’exonérer de cette responsabilité est de démontrer l’existence d’une cause étrangère.
Alors que le tribunal administratif de Marseille était saisi d’une espèce inédite dans laquelle il était permis d’espérer que soit retenue la cause étrangère en matière d’infection nosocomiale, la juridiction administrative a considéré qu’elle n’était pas démontrée.
En effet, un patient en attente d’une greffe de rein, avait reçu un greffon prélevé dans un autre établissement hospitalier.
Quelques jours après l’intervention de greffe, il est apparu que le greffon avait été contaminé à Candida Albicans. Ce germe avait été retrouvé dans le liquide péritonéal du donneur ainsi que dans le liquide de conservation et de transport du greffon jusqu’à l’établissement ayant procédé à la transplantation. Une ablation du rein greffé a dû être pratiquée dans les suites du diagnostic.
Les experts désignés dans cette affaire avaient conclu dans leur rapport qu’il n’y avait "pas eu de faute médicale car le greffon était infecté sans que l’équipe qui a effectué la greffe le sache avant le geste".
La question posée était donc : la contamination d’un greffon avant son arrivée dans l’établissement en charge de la greffe peut-elle constituer une cause étrangère ?
L’établissement mis en cause était celui qui avait procédé à la greffe.
Il avait tenté de s’exonérer de sa responsabilité en soutenant que la cause de l’infection lui était étrangère puisqu’il ressortait de l’expertise que le greffon avait été contaminé en amont.
En outre, il était impossible pour l’équipe de diagnostiquer cette infection avant l’intervention de greffe, compte tenu des délais de mise en culture des échantillons prélevés et des délais de conservation du greffon.
Il était donc bien rapporté la preuve d’une cause étrangère (présentant les caractéristiques de la force majeure) au sens de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique.
Pourtant le Tribunal n’a pas suivi cette logique.
La cause étrangère, dispositif de pure fiction ?
Une nouvelle fois, la juridiction administrative a refusé de retenir une cause étrangère alors qu’il était parfaitement démontré que :
- l’infection avait été contractée en dehors de l’établissement mis en cause ;
- l’équipe médicale ayant procédé à la greffe n’avait aucune possibilité de constater l’infection avant la greffe ;
- les soins avaient été conformes en tous points aux règles de l’art.
Pour retenir le caractère nosocomial de l’infection, le tribunal a d’abord estimé que l’infection était "survenue au cours ou au décours de sa prise en charge" ce qui devait suffire à considérer qu’elle devait "ainsi être regardée comme présentant un caractère nosocomial".
Quant à l’analyse de la cause étrangère, elle était rapidement balayée : "En outre, s’il résulte de l’instruction que le greffon était infecté avant son arrivée au sein de l’établissement où il a été transplanté, cette circonstance ne peut être regardée comme constitutive d’une cause étrangère exonératoire de responsabilité".
Or, l’inapplicabilité de cette cause exonératoire vient vider le texte de sa substance puisqu’il reconnaissait certes une responsabilité de principe mais également la possibilité, pour les établissements, de s’en exonérer.
Pour conclure...
Cette décision, bien peu motivée, vient confirmer le poids énorme pesant sur les établissements de santé en matière d’infection nosocomiale et la frilosité des juridictions administratives pour retenir la cause étrangère, exonératoire de responsabilité.
Il est évident que ce régime est au contraire très favorable aux patients et que c’est probablement cet aspect qui motive les juridictions dans leurs décisions.
Un recours a été formé contre ce jugement.
Note
Jugement n° 2001641 du 28/03/2022 du Tribunal Administratif de Marseille
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