Des ordonnances falsifiées et des soins facturés aux dépens de l'assurance maladie
Une infirmière libérale est poursuivie des chefs d'escroquerie de faux et usage de faux et d'exercice illégal de la médecine pour avoir transmis à la CPAM des demandes en paiement de soins prodigués à ses patients, de l’ordre d’un million d’euros.
Les ordonnances médicales transmises à l’appui de ces demandes, portant sur la prescription des soins infirmiers, ont été falsifiées par adjonction par l’infirmière de la mention "à renouveler", par ratures, surcharges, modification de la date ou prolongation de la période de validité.
En appel, elle est reconnue coupable de faux, d’escroquerie et d’exercice illégal de la médecine. Elle est condamnée à un an d’emprisonnement avec sursis, trois ans d’interdiction d’exercer la profession d’infirmière libérale, et une mesure de confiscation est prononcée à son encontre.
L’infirmière se pourvoit en cassation, pour deux motifs :
- Elle considère que l’escroquerie n’est pas caractérisée : même si les ordonnances ont bien été falsifiées, les soins faussement prescrits ont bien été réalisés, il ne s’agit donc pas d’actes fictifs.
- Elle conteste le cumul entre la condamnation pour escroquerie d’une part, et pour faux d’autre part, qui constituerait selon elle une violation du principe "non bis in idem", bien connu en procédure pénale.
Par un arrêt du 9 septembre 2020, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejette ces deux moyens et confirme l’arrêt d’appel.
L'escroquerie est constituée même si les actes ont été effectivement réalisés
Les multiples falsifications d'ordonnances, avec de fausses mentions présentées comme émanant du médecin, ont permis à l’infirmière de se faire payer des sommes indues par l’organisme de Sécurité sociale.
L’infirmière affirmait cependant que l’infraction d’escroquerie n’était pas constituée, dès lors qu’elle avait réalisé les soins faussement prescrits et n’avait donc pas trompé la caisse sur l’existence des prestations réglées. Selon elle, les faits ne constituaient qu’un "mensonge écrit", sans élément extérieur destiné à lui donner "force et crédit".
La Cour de cassation balaie cet argument : les fausses mentions dont elle a fait usage constituent, non un simple mensonge écrit, mais des manœuvres frauduleuses destinées à obtenir le règlement de sommes indues. L’effectivité des soins dont le règlement a été ainsi obtenu est sans incidence, et le délit est caractérisé.
Le respect du principe "non bis in idem"
Le principe "non bis in idem" signifie que nul ne peut être poursuivi pénalement une seconde fois à raison de faits identiques, dans le cadre de la même poursuite. En d’autres termes, un même fait ne peut être sanctionné sous deux qualifications pénales différentes dès lors qu’il est caractérisé par une seule intention coupable.
En l’espèce, l’infirmière estimait que ce principe n’avait pas été respecté puisque la falsification des ordonnances avait donné lieu à des sanctions à la fois du chef d’escroquerie et de celui de faux.
Là encore, la Cour de cassation balaie l’argumentation de l’infirmière : les faits de falsification de l’ordonnance (adjonction de la mention "à renouveler", ratures, surcharges, changement des dates) fondent la condamnation au titre du faux. Ils se distinguent bien des manœuvres frauduleuses caractérisant l’escroquerie qui, elle, est constituée par l’usage des ordonnances falsifiées.
Il s’agit donc de deux intentions coupables distinctes, qui peuvent, sans méconnaître le principe "non bis in idem", justifier un cumul de sanctions sur deux fondements différents.
Que retenir de cette affaire ?
En statuant ainsi, la Cour de cassation vient préciser sa jurisprudence sur l’application du principe "non bis in idem".
Ce principe interdit le cumul de qualifications pénales lorsqu’elles sont fondées sur des faits considérés comme indissociables. Il appartient donc au juge d’examiner, dans chaque cas qui lui est soumis, si les faits donnant lieu aux poursuites sont dissociables ou non.
En l’espèce, les juges se sont bien fondés, pour chaque chef de poursuite, sur des faits dissociables qui constituent des intentions coupables distinctes :
- la falsification d’ordonnances médicales pour qualifier le faux,
- l’utilisation des ordonnances falsifiées pour qualifier l’escroquerie aux dépens de la CPAM.
Sur ce point, la position de la Cour de cassation n’est pas nouvelle. En revanche, la solution est originale en ce que la falsification des ordonnances constituait le point de départ des deux qualifications pénales, mais à un stade différent (la falsification proprement dite, puis son utilisation pour escroquerie).
En revanche, si la Cour d’appel avait également retenu l’usage de faux (et non pas seulement le faux), en plus de l’escroquerie, il aurait pu être considéré que le principe "non bis in idem" n’était pas respecté. En effet, dans ce cas, les faits à l’origine de la qualification (l’utilisation des ordonnances falsifiées) n’auraient pas été indissociables.