D'une relation de confiance à une relation de méfiance
C’est un secret de Polichinelle, les relations patients-soignants n’ont cessé de se dégrader au fil des années. Le corps médical doit faire face à de multiples reproches : manque de disponibilité, absence d’écoute et d’empathie, mauvaise qualité de la prise en charge, parcours de soins chaotiques.
L’infirmier libéral, qui prodigue quotidiennement des soins à son patient, n’échappe malheureusement pas à ce flot de critiques.
Bien qu’exceptionnelles, il est des situations où la relation de confiance est tellement consumée qu’elle contraint le professionnel de santé à mettre un terme au contrat de soins qui le lie à son patient.
C’est ce qui s’est produit dans l’affaire soumise à la chambre disciplinaire de l’Ordre infirmier*.
En 2019, la fille d’un patient dépose une plainte devant le conseil départemental de l’Ordre des infirmiers à l’encontre d’une infirmière libérale : les actes réalisés par ses remplaçantes et leurs rotations incessantes pour des soins de toilette déstabilisent son père, âgé de 87 ans.
La plaignante pointe en outre diverses négligences dans les pratiques des infirmières, qui ont abouti à une dégradation croissante de leurs relations.
Arrêt brutal des soins sans solution alternative : un manquement déontologique
À la suite d'un énième grief lié à la qualité de l’intervention de l’une des remplaçantes, la fille du patient finit par adresser un courrier à l’infirmière titulaire, l’informant que les services de sa consœur ne sont plus souhaités.
Le jour même, l’infirmière lui répond que dans ces conditions, elle cesse immédiatement la prise en charge.
Relevant que l’infirmière a soudainement mis fin au contrat de soins en raison de difficultés relationnelles avec le patient et son entourage, la chambre disciplinaire retient qu’elle a méconnu son obligation de garantir la continuité des soins : l’état de vulnérabilité de son patient exigeait de respecter un minimum de préavis, d’une part, et s’assurer au mieux d’une transmission du dossier de soins à une consœur d’autre part.
La chambre disciplinaire, statuant en appel, inflige à l’infirmière un avertissement.
L'interruption des soins : un droit restreint
L’article R.4312-12 du Code de la santé publique autorise l’infirmier à interrompre ses soins pour une raison personnelle ou professionnelle, hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité.
Rupture de la relation de confiance
Les textes réglementaires ne dressent pas une liste exhaustive des motifs. Toutefois, la dégradation des relations entre un infirmier et son patient ainsi que la rupture de confiance qui en résulte représentent un écueil pouvant nuire à la qualité, la sécurité et l’efficacité des soins, au point que l’interruption de la prise en charge devient inéluctable.
L'interruption de soins à l'initiative du patient
Il arrive parfois que la rupture du contrat de soins soit engagée à l’initiative du patient, l’infirmier se trouvant de fait dans l’impossibilité de poursuivre sa mission. Bien qu’il ne soit pas à l’origine de cette rupture, l’infirmier doit veiller à satisfaire au principe de continuité des soins dans l’intérêt exclusif de son patient.
En effet, à l’instar des autres professionnels de santé, l’infirmier est tenu d’assurer la continuité des soins en toutes circonstances, dès lors qu’il a consenti à effectuer des soins.
Des précautions impérieuses
La décision de cesser brusquement la relation de soins peut être lourde de conséquences et impose à l’infirmier, sous réserve de ne pas nuire à son patient, de :
- lui en expliquer les raisons, de préférence au cours d’un entretien individuel ;
- l’orienter vers un confrère à proximité ou une structure adaptée à ses besoins ;
- transmettre les données utiles à la poursuite des soins ;
- informer le médecin traitant ou le médecin prescripteur des soins.
La prudence étant de mise, nous vous recommandons également de consigner ces informations dans votre dossier afin d’en assurer la traçabilité et de vous constituer une preuve en cas de litige.