Un décès après une embolie pulmonaire non diagnostiquée en cabinet
Un dimanche, une patiente âgée de 74 ans pesant 110 kilos ressent un essoufflement inhabituel, un point de côté et des vertiges.
Elle parvient à obtenir une consultation chez son médecin généraliste 48 heures après. Le praticien retrouve :
- des constantes normales avec un rythme cardiaque à 88/min,
- une auscultation cardio-pulmonaire sans particularité,
- une saturation en air ambiant à 95 %,
- l’absence de toux,
- les mollets sont souples, les membres inférieurs ne sont pas œdématiés.
Au terme de la consultation, le médecin ne retient pas d’élément en faveur d’une hospitalisation. Il prescrit néanmoins un bilan sanguin complet avec dosage des d-dimères.
La patiente fait réaliser son bilan sanguin 48 heures après par une infirmière qui s’est rendue à domicile tôt le matin.
Le laboratoire d’analyse contacte par téléphone le médecin prescripteur dès réception des résultats et l’informe que le dosage des d-dimères est extrêmement élevé, à 20 226 (pour une norme < à 700).
En début d’après-midi, le médecin traitant organise le transfert de sa patiente en position allongée par ambulance vers les urgences du centre hospitalier local.
À son arrivée, celle-ci est essoufflée, somnolente et pâle avec une désaturation à 87% en air ambiant.
Elle décède une heure après son admission d’un arrêt cardio-respiratoire malgré une réanimation et une thrombolyse de sauvetage, dans les suites d’une très probable embolie pulmonaire massive.
La famille de la défunte engage une procédure judiciaire à l’encontre du médecin traitant pour manquement dans sa prise en charge.
Le diagnostic d'embolie pulmonaire : l'importance des scores
La maladie veineuse thromboembolique (MVTE) s’exprime sous deux formes cliniques principales :
- la thrombose veineuse profonde (TVP),
- l’embolie pulmonaire (EP).
Il s’agit d’une maladie fréquente dont l’incidence globale tend à diminuer en France (1,57/1000 habitants/an en 2013), essentiellement en raison d’une baisse de l’incidence de la TVP car celle de l’EP demeure stable. Chaque année, près de 35 000 patients sont hospitalisés en France pour une EP avec une mortalité globale hospitalière de 5 %.
Il est recommandé d’évoquer l’hypothèse d’une EP devant une dyspnée ou une douleur thoracique non formellement expliquées par un autre diagnostic.
Dès que le diagnostic d’embolie pulmonaire est posé, le médecin doit évaluer la gravité en stratifiant les patients sur leurs risques de complications et de mortalité.
Le principal critère de gravité est le retentissement hémodynamique sur le ventricule droit de l’embolie pulmonaire, provoquant une hypotension artérielle.
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Des outils d’aide à la stratification ont été développés à partir d’éléments cliniques ou paracliniques. De cette stratification du risque découlent les stratégies thérapeutiques, allant d’un traitement invasif avec admission en réanimation à un traitement oral à domicile.
Le score de WELLS ou le score révisé de Genève en version originale fournit une probabilité clinique (PC) d’embolie pulmonaire. Le score de PESI calcule quant à lui le risque de mortalité à 30 jours.
Score de Wells*
*Source : Antisèches de consultation en médecine générale
Score révisé de Genève*
*Source : Recommandations de bonne pratique pour la prise en charge de la maladie veineuse trhomboembolique chez l'adulte
Score PESI*
*Source : Quel parcours de soins proposer aux patients atteints d'une embolie pulmonaire ?
Le praticien n'avait pas à hospitaliser cette patiente dès la première consultation
L’expert judiciaire conclut que la conduite diagnostique et thérapeutique de notre sociétaire a été conforme à ce qui est attendu d’un médecin généraliste.
En effet, la patiente n’avait aucun critère selon le score de Wells. La probabilité clinique d’une embolie pulmonaire était donc faible.
Le score révisé de Genève en version originale étant à + 4 pour la patiente (âge > 65 ans, RC entre 75 et 94/min) , la probabilité clinique d’une embolie pulmonaire pouvait être estimée comme faible à modérée.
Au total, au regard des scores statistiques, la prise en charge du médecin traitant a été conforme aux bonnes pratiques.
À noter que d’après le score PESI, le risque de mortalité à 30 jours chez cette patiente était faible, entre 1,7 et 3,5 %, et que pour le score PESI simplifié, la mortalité à 30 jours était évaluée à 1 %.
Cette histoire vient rappeler la nécessité de se référer aux scores existants en cas de suspicion d’embolie pulmonaire dont le diagnostic et la prise en charge en médecine de ville est toujours difficile.