Un diagnostic de bénignité sans certitude
En juin, un jeune garçon de 14 ans, très sportif, consulte son médecin traitant pour une petite masse, "comme une petite boule", apparue au tiers inférieur de la jambe droite. Un TDM est prescrit et réalisé par le radiologue.
Il est mis alors en en évidence une "...formation sous-cutanée avec prolongement intramusculaire de 2,5 cm" et des calcifications faisant évoquer au radiologue une anomalie de type vasculaire. Des réserves sont cependant clairement émises "en l’absence de certitude histologique". Un avis spécialisé est recommandé afin de décider d’une "exérèse chirurgicale ou non". Un orthopédiste est donc rapidement consulté. Il prescrit une IRM et une angio-IRM.
L’examen réalisé par un autre radiologue conclut alors à un "aspect plutôt en faveur d’une masse tissulaire vascularisée par une artériole à développement sous-cutané intra-musculaire...".
Au vu des résultats, l’orthopédiste explique à la mère du jeune garçon qu’il s’agit vraisemblablement d’une malformation artérioveineuse sans gravité mais qu’il préfère discuter du dossier lors d’un prochain staff pour la conduite à tenir.
Et effectivement en septembre, il lui adresse un courrier lui confirmant avoir montré l’imagerie à des spécialistes de la pathologie qui ont confirmé à leur tour l’absence de gravité. Aucune intervention n’est donc à prévoir, sauf à ce que la lésion augmente de volume de manière importante. À la fin de son courrier, il recommande cependant de recontrôler l’angio-IRM à 1 an et de la montrer à un centre de référence des angiomes, les coordonnées de la consultation en question étant données à la mère.
Finalement, le contrôle IRM ne sera pas réalisé, le jeune garçon continuant à faire beaucoup de sport sans rencontrer de problème particulier, et ne constatant ni gêne ni augmentation de la masse.
Une imagerie parlante, une certitude histologique
Ce n’est que 5 ans plus tard qu’une nouvelle IRM sera demandée par le médecin traitant, consulté cette fois du fait de douleurs nocturnes. La masse a alors augmenté de volume, est devenue douloureuse à la palpation et a pris un caractère induré. Le radiologue en charge de l’IRM conclut à une "masse tissulaire du mollet droit avec infiltration cutanée et des faisceaux musculaires adjacents nécessitant une évaluation histologique avant prise en charge thérapeutique".
Très rapidement, le jeune homme est orienté vers un service spécialisé dans les tumeurs osseuses, la micro biopsie réalisée mettant en évidence un sarcome épidermoïde infiltrant le derme et atteignant la corticale, de 7 cm de grand axe.
Compte tenu de l’envahissement, après discussion notamment avec un chirurgien plasticien, le patient fait le choix d’une amputation transtibiale avec un appareillage à la clé plutôt que d’une chirurgie conservatrice, jugée par trop délabrante et l’exposant davantage à une récidive. Malgré cet appareillage, il est contraint d’arrêter sa formation de coach sportif comme la pratique du sport en compétition et engage une plainte à l’encontre des deux premiers radiologues et du chirurgien.
La responsabilité du radiologue retenue
Après relecture des différentes imageries, les experts écarteront la responsabilité de notre sociétaire radiologue : le TDM ne permettait effectivement pas de qualifier de manière certaine la nature de la masse, étiquetée probablement vasculaire ; le compte rendu établi énonçait cependant très clairement la nécessité de prendre avis auprès d’un chirurgien orthopédiste quant à l’opportunité d’une exérèse après biopsie.
En revanche, la responsabilité de son confrère, le deuxième radiologue, est retenue. Il aurait dû alerter dans sa conclusion sur le caractère suspect de la lésion et la nécessité de consulter dans un centre de référence.
De même, l‘orthopédiste consulté aurait dû diriger immédiatement le jeune garçon vers une consultation pour avis dans un centre expert de la prise en charge des tumeurs. Il ne pouvait, en pareil cas, se contenter d’une relecture des images avec les radiologues de l’établissement où il exerçait, étant noté qu’il était en outre incapable de fournir une preuve de cette discussion collégiale.
Les experts ajoutent que si tel avait été le cas, le diagnostic aurait été fait et un traitement conservateur aurait pu être proposé. Certes, ce traitement n’aurait pas non plus inéluctablement permis d’éviter l’amputation, celle-ci s’avérant parfois nécessaire du fait d’un risque de rechute locale estimé à 30 % des cas.
Bien que n’évoquant pas la "responsabilité propre" de la victime et de ses parents pour ne pas avoir fait procéder au contrôle préconisé, les experts concluent que la faute du radiologue a participé pour 5 % et celle de l’orthopédiste pour 10 % à la perte de chance de 70 % d’éviter une amputation.
Une responsabilité réévaluée à la hausse par la CCI
La CCI se montre plus sévère que les experts. Elle évoque une négligence de la part du radiologue d’avoir conclu à une masse tissulaire vascularisée là où :
- il fallait évoquer une tumeur sous cutanée pénétrant l’espace musculaire ;
- et alerter dans sa conclusion quant à la nécessité d’un avis auprès d’un centre de référence. Ce quand bien même le radiologue avait fait valoir que le jeune homme était déjà dans un parcours de soins puisque déjà entre les mains d’un spécialiste au moment où il lui avait été demandé de réaliser cette IRM.
De même, la CCI souligne que le chirurgien, même s’il a pu être trompé par l’interprétation du radiologue, se devait d’être cohérent en demandant immédiatement un avis dans un centre spécialisé plutôt que de tenir des propos rassurants, sans aucune sécurité.
La CCI les condamne donc chacun à réparer 35 % des préjudices de la victime.
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Que retenir de cette histoire ?
La prudence est de mise devant toute masse de ce type apparaissant chez un adolescent ou un jeune adulte. Si l’imagerie s’impose en premier lieu, le recours à un centre expert s’impose dans un second temps, a fortiori en l’absence de réalisation d’une biopsie, tout retard de diagnostic pouvant être préjudiciable en cas de lésion maligne.
Comme on l’a vu dans ce dossier, le diagnostic de bénignité ou malignité était impossible à affirmer au seul vu des éléments cliniques et radiologiques. En tous cas, rien n’autorisait l’orthopédiste à se montrer aussi rassurant dans son courrier comme dans ses propos. Propos qui en outre avaient été mal interprétés par la mère qui, à réception du courrier, avait téléphoné au chirurgien et avait lors de l’expertise dit avoir compris que seule l’apparition d’une gêne ou d’une douleur devait amener à reconsulter.
Dans ce dossier comme dans de nombreux autres, il a été reproché à des radiologues une formulation de leurs conclusions pas assez explicite quant à la nécessité, selon les cas :
- de poursuivre les investigations,
- de prévoir une biopsie,
- de consulter un spécialiste
- ou quant au degré d’urgence et, ce faisant, d’avoir participé au retard diagnostique.