Un décès brutal
Le Docteur A., médecin généraliste, intervient occasionnellement en qualité de médecin régulateur libéral du SAMU.
Le 1er février en soirée, Mr B., âgé d'une cinquantaine d'année, appelle les pompiers et indique : "je ne me sens vraiment pas bien du tout, je me sens vraiment très faible… je crache du sang et j’ai rempli la moitié d’une bassine depuis hier soir".
Il est mis en relation par les pompiers avec un auxiliaire de régulation médicale (ARM) du SAMU, qui transfère l’appel au Docteur A.
Mr B. lui explique qu’il a craché un peu de sang la veille au soir, qu’il n’a pas réussi à dormir mais qu’il a, en revanche, mangé des fruits.
Sur interrogation du médecin, il précise ne ressentir aucune douleur.
En l’absence de signe de gravité, le praticien l’invite à aller consulter un médecin en ville le lendemain car il n’y a pas de médecin de garde sur le secteur le soir. A la fin de la conversation, il lui prodigue quelques conseils et l’invite à rappeler s’il se sent à nouveau mal dans la nuit.
Mr B. est retrouvé décédé à son domicile le lendemain matin.
Selon l'expertise : le médecin aurait dû provoquer un secours
L’autopsie réalisée conclut que le patient, qui présentait un état antérieur hépatique de type cirrhose et un alcoolisme, est probablement décédé d’une hémorragie digestive haute.
L’expert désigné par le juge d’instruction confirme la cause du décès évoquée par le médecin légiste.
Il ajoute qu’il s’agit d’une urgence et que Mr B. aurait dû être hospitalisé afin de bénéficier d’une réanimation appropriée.
Il précise, par ailleurs, que le Docteur A., médecin régulateur libéral, aurait dû transférer l’appel au médecin régulateur hospitalier ou déclencher immédiatement les secours.
Il estime, enfin, que le manquement du médecin a entrainé une perte de chance de survie qu’il fixe à 95 %.
Selon le médecin : l'interrogatoire était rassurant
Le praticien soulève, pour sa défense, que Mr B. ne paraissait pas angoissé et que la description des symptômes lors de l’appel ne permettait pas d’identifier une détresse vitale, ni de faire la différence entre une gastro-entérite et une hémorragie digestive.
Il explique que s’il avait entendu "je crache du sang et j’ai rempli la moitié d’une bassine", comme cela a été mentionné par le patient lors de l’appel aux pompiers, il aurait immédiatement réagi et envoyé le SMUR. Or, cette information, donnée aux pompiers, ne lui a pas été transmise.
Sur ce point, il fait valoir que la fiche d’intervention informatisée, créée lors de l’appel aux pompiers et qui mentionnait la quantité de sang régurgité la veille, n’était apparue sur son ordinateur que plus de 3 minutes après avoir pris l’appel.
Lors de l’entretien avec Mr B., les vomissements et les saignements avaient disparu.
Selon le juge pénal : une erreur... mais pas une faute caractérisée
Le Tribunal correctionnel condamne le Docteur A. à la peine de 9 mois d’emprisonnement avec sursis pour homicide involontaire. Ce dernier interjette appel de cette décision.
La Cour d’appel réforme le jugement. Elle estime que l’audition des enregistrements des conversations démontre que le Docteur A., comme il le soutenait pour sa défense, n’avait pas d’information précise sur la quantité de sang régurgité. Le patient ne lui avait pas dit qu’il se sentait faible, alors qu’il avait donné ces informations lors de son appel initial aux pompiers.
Les magistrats ajoutent que l’écoute des enregistrements fait apparaitre que le patient édulcore ses propos lorsqu’il s’entretient avec le régulateur.
Ils retiennent que le Docteur A. a certes fait preuve d’une certaine négligence en ne posant pas suffisamment de questions au patient et en s’en tenant à son discours rassurant. Mais cette erreur de diagnostic ne peut pas être qualifiée de faute caractérisée au sens pénal, dans la mesure où il ne disposait pas de toutes les informations.
La relaxe est prononcée.
Crédit photo : Jessica Bordeau / IMAGE POINT FR / BSIP