Une hospitalisation en réanimation pour cellulite diffusée
Le 18 octobre, une patiente présente une joue gonflée et contacte son chirurgien-dentiste traitant, le Dr T, qui ne peut pas la recevoir avant le 15 décembre.
Le 22 octobre, elle appelle son médecin traitant, le Dr M, qui lui prescrit de l’Augmentin® 2g/j, du paracétamol codéiné et du Lyrika® 50mg.
Le 23 octobre, elle présente des douleurs intenses au niveau de la joue droite et se rend aux urgences du CHU qui la renvoie chez elle, faute de place. Elle consulte alors "en forcing" son dentiste qui lui prescrit de l’éludril et du Flanil® et réalise un cliché rétro alvéolaire.
Le 28 octobre, les douleurs s’intensifient et le trismus est important. L’augmentation de l’œdème jugal l’amène à consulter à nouveau son dentiste qui prescrit de l’Augmentin® 2g/j, de l’Éludril et du paracétamol.
Le 2 novembre, le chirurgien-dentiste réalise une radiographie panoramique et oriente la patiente vers un stomatologue au CHU.
Le 3 novembre porteuse d’un trismus très important, elle consulte le Dr V, stomatologue au CHU. Celui-ci ne prescrit pas de scanner mais des compresses d’alcool à appliquer sur la zone. La patiente rentre à son domicile où elle fait plusieurs malaises.
Le 5 novembre, le trismus est complet mais le traitement par Augmentin®, compresses et bains de bouche est maintenu.
Le 6 novembre, elle est hospitalisée pour aggravation de son état avec un œdème dans le cou et des difficultés respiratoires.
Le 7 novembre, un scanner objective une "cellulite diffusée" qui nécessite une hospitalisation en réanimation avec trachéotomie du 7 au 22 novembre et des soins post-hospitalisation.
Le 16 décembre, la dent 47 est extraite.
La patiente conteste sa prise en charge et assigne l’ensemble des praticiens et le CHU devant la juridiction civile.
Selon l’expert : l’évolution de la cellulite vers une forme diffusée est fautive
L’expert judiciaire considère que le Dr M, médecin traitant et le Dr T, chirurgien-dentiste, n’ont pas commis de manquement fautif, mis à part le délai de réponse de demande de soins en urgence.
Mais cela n’a pas eu de conséquences sur l’évolution de l’état de santé de la patiente.
Il retient en revanche la responsabilité :
- du CHU pour ne pas avoir fait d’examen de la patiente en urgence ;
- du praticien hospitalier dont le comportement n’a pas été conforme aux règles de l’art et totalement inadapté.
Il conclut que celui-ci "a laissé évoluer une cellulite vers une forme diffusée qui aurait pu engager le pronostic vital, sans engager des soins nécessaires et adaptés aux normes actuelles de la science".
En première instance et en appel : une faute lourde détachable de service
Le tribunal judicaire se fonde sur les conclusions de l’expert et les recommandations de l’AFSSAPS (ancien nom de l’ANSM) pour retenir la responsabilité du praticien hospitalier :
"Les actes du stomatologue ont été volontaires et réitérés entre le 3 et le 7 novembre (...), cette attitude caractérise un manquement professionnel et déontologique constituant ainsi une faute lourde détachable du service".
Ces manquements dépassent la simple négligence. Leur répétition sur plusieurs jours traduit ainsi leur caractère volontaire et inexcusable.
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Le praticien hospitalier interjette appel de cette décision mais la Cour d’appel confirme le jugement de 1re Instance, considérant que "les fautes commises en présence d’une infection gravissime constituent plus qu’un simple retard ou une simple négligence et sont suffisamment graves pour caractériser une faute personnelle dépourvue de tout lien avec le secteur public".
Selon la Cour de cassation : une faute de service
Un pourvoi en cassation est formé et la Cour casse l’arrêt de la Cour d’appel.
Elle réaffirme le principe selon lequel :
"La responsabilité personnelle d’un agent du service public ne peut être engagée devant le juge judiciaire qu’en présence d’une faute détachable de service. Seul le manquement volontaire, commis avec une intention incompatible avec la finalité du service et inexcusable aux obligations professionnelles et déontologiques, est constitutif d’une faute détachable des fonctions de l’agent public".
À retenir
- Dans cet arrêt, la Cour de cassation rappelle les conditions pour engager la responsabilité personnelle d’un agent du service public.
- La Cour d’appel avait condamné personnellement le stomatologue pour des manquements qui caractérisaient une faute personnelle dépourvue de tout lien avec le service public.
- La juridiction suprême casse l’arrêt en rappelant que seul un manquement volontaire et inexcusable peut engager la responsabilité personnelle d’un praticien hospitalier, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
- S’agissant d’une faute de service, seul le tribunal administratif sera compétent pour trancher la réclamation de la patiente.
Pour un praticien hospitalier temps plein sans activité libérale, le contrat d'assurance RCP n'est pas obligatoire mais il est essentiel pour la défense, la prise en charge des frais d'avocat, et l'éventuelle condamnation pour faute détachable à des dommages et intérêts.
Crédit photo : BOL/CHROMORANGE / BSIP