Histoire clinique
Une patiente âgée de 57 ans est prise en charge pour un diabète de type 2 devant une glycémie supérieure à 3g/l, une hba1c à 13 %.
La relecture du dossier médical permet d’observer des glycémies anormales depuis au moins 10 années :
- 1.36g/l,
- puis 2.17g/l,
- puis 3.29g/l,
- et enfin 2.99g/l avec hba1c à 13.6% cinq années avant le début traitement.
Trois mois plus tard, elle présente une uvéite antérieure unilatérale droite d’évolution favorable mais un diagnostic de cataracte compromet le résultat sur l’acuité visuelle.
Une décision d’opérer cette cataracte droite est prise, mais précédée d’une hospitalisation en diabétologie pour prise en charge du diabète déséquilibré :
- instauration provisoire d’une pompe à insuline pour diminuer rapidement les glycémies,
- relais réalisé par un schéma à 4 injections d'insuline par jour associé à de la metformine.
L’intervention est encadrée par une corticothérapie avec adaptation des besoins en insuline.
Le premier examen ophtalmologique, réalisé 4 semaines après l’intervention, fait état d'une rétinopathie diabétique sévère avec :
- des hémorragies dans les quatre quadrants, bilatérales, prédominant à droite,
- des exsudats maculaires,
- un œdème maculaire diffus.
En l’absence de néo vaisseaux, seules des injections intra vitréennes d’anti VEGF seront réalisées puis des implants cortisonés injectés dans les deux yeux.
Trois ans après, une chirurgie de cataracte œil gauche est pratiquée, un traitement par laser œil droit est entrepris puis finalement une chirurgie de pelage de membrane épirétinienne de l’œil droit.
L’œdème maculaire "réfractaire" persiste à gauche et à droite, nécessitant la poursuite des injections intravitréennes cortisonées pour stabiliser l’acuité visuelle à 3/10 P8 à droite et 3/10 P4 à gauche.
Diabète : critères diagnostiques et complications ophtalmologiques
Diagnostic du diabète
Le diagnostic de diabète sucré repose sur la constatation d’une glycémie supérieure à 1.26 g/l soit 7 mmol/l à deux reprises ou d’une glycémie supérieure à 2g/l soit 11 mmol/l à n’importe quel moment.
Cette maladie concerne 4 millions de français :
- 92 % sont des diabétiques de type 2,
- 6 % des diabétiques de type 1,
- 2 % d’autres étiologies (génétiques, pancréatiques, endocrinopathies…).
Complications
La prévalence de la rétinopathie diabétique (RD) a diminué de moitié ces quinze dernières années, pour s’établir aujourd’hui à 25 %. Ces progrès sont à mettre sur le compte :
- du développement du dépistage,
- de l’apparition de nouveaux moyens diagnostiques,
- de l’amélioration de la prise en charge du diabète (surveillance glycémique continue, insulinothérapie intensifiée) et de ses facteurs de risque associés, principalement le contrôle tensionnel,
- de l’avènement des injections intravitréennes (IVT), qui a aussi largement contribué à améliorer le pronostic oculaire des sujets atteints d’œdème maculaire diabétique (OMD), principale cause de malvoyance chez le patient diabétique.
Statistiquement, le risque de développer une rétinopathie sévère avec perte d'acuité visuelle est de l'ordre de 3 à 4 % chez les diabétiques.
Dans une méta-analyse regroupant plusieurs centaines de milliers de personnes vivant avec un diabète, dans plusieurs pays et tous les continents, le risque d'œdème maculaire cliniquement significatif était évalué à 4 %, ce taux étant alourdi par des fréquences élevées en Afrique subsaharienne, bien plus faibles en Europe et en Asie.
Facteurs de risque et prévention
Les facteurs de risque de développer une rétinopathie sévère sont :
- la durée du diabète,
- le mauvais équilibre du diabète évalué sur le taux d’hba1c,
- l’association à une HTA,
- et moins solidement établi, un syndrome d’apnées du sommeil.
Paradoxalement, si l’objectif de prévention de l’apparition ou de la progression de la rétinopathie diabétique est d’obtenir le meilleur équilibre glycémique possible, il est établi qu’une baisse trop rapide de la glycémie avec de fortes doses d’insuline peut aggraver une rétinopathie préexistante.
Moins spécifiquement, la cataracte est plus précoce chez le diabétique.
Quels enseignements tirer de cette affaire ?
La patiente reproche au médecin de ne pas l’avoir avertie de sa maladie et de ne pas l’avoir prise en charge dans les années qui ont précédé la mise en route du traitement.

L'analyse de l'expert
Après avoir précisé que c’est bien l’état antérieur qui a provoqué le diabète et non un manquement dans la prise en charge, l’expert estime que les complications ophtalmologiques sont entièrement imputables au diabète mal équilibré chronique. Mais elles auraient vraisemblablement pu être évitées si le diabète avait été équilibré, c'est-à-dire si :
- un traitement avait été mis en place,
- prescrit par un médecin,
- surveillé biologiquement,
- et que la patiente avait été observante des recommandations.
L’expert a calculé qu’en passant de 7 à 13 % d'HbAlc sur 10 ans d'inertie thérapeutique, on passe de 3 à 30 % de risque de rétinopathie sévère avec mise en jeu du pronostic visuel.
Pour la patiente, dont on peut considérer que le risque de rétinopathie global était celui des études (donc 3 %), et qui a finalement eu cette complication sans pouvoir la prévenir, le taux de perte de chance est de 97 %. L'imputabilité au traitement insulinique initial (baisse rapide de la glycémie lors de la première hospitalisation en diabétologie) est de 12 %.
Il sera finalement retenu un taux de perte de chance de 84 %.
À retenir
- Cette affaire rappelle que la récupération des examens prescrits incombe au prescripteur et qu’il est souhaitable, à chaque nouvelle consultation, de vérifier que les examens prescrits lors de la consultation précédente ont bien été pris en compte.
- Le dépistage des complications ophtalmologiques est recommandé lors de la découverte du diabète de type 2, puis tous les ans ou tous les deux ans selon les préconisations de l’ophtalmologiste.
- Quant au calcul de la perte de chance, il demeure à la main de l’expert (puis du juge ou de la CCI) même si les bases retenues sont souvent discutées.