Une regrettable confusion
Une infirmière libérale se voit reprocher de s'être trompée dans l'administration d'une dose d'insuline à un patient, ce qui aurait occasionné une fausse route quelques heures plus tard et son décès le lendemain.
La victime, un homme de 93 ans vivant en couple, diabétique, prend pour traitement Insulatard® 48 (UI) le matin et 4 unités le soir.
Ce patient souhaite qu'on lui prépare systématiquement la dose du matin dès la veille en fin de journée, afin d'accélérer le lendemain matin la réalisation de l'injection.
Un soir, l’infirmière prend par mégarde la mauvaise seringue et injecte à ce patient 48 UI au lieu des 4 prévues, en sus des 48 UI déjà administrées le matin.
Elle réalise son erreur, informe l'épouse, réalise un dextro mesuré à 1,50 g suivi d'une supplémentation en sucre.
Elle prend ensuite contact avec le médecin traitant pour évoquer l'opportunité de faire hospitaliser le patient ou de le surveiller à domicile. Il préconise un simple maintien à domicile sous surveillance.
De retour, une heure et demi plus tard, la soignante retrouve une glycémie à 0,90g.
En fin de soirée, lors de son ultime visite, l’infirmière trouve le patient dyspnéique, sa femme expliquant qu'il avait avalé trop rapidement lors du dîner et fait une fausse route.
Le dextro est alors à 0,80 g.
Face à ce tableau, l’infirmière contacte les pompiers et obtient une évacuation aux urgences. À son arrivée, la glycémie est mesurée à 0,4 g.
Malgré des soins adaptés, le patient décèdera le lendemain matin.
L'intervention du contrat Garantie des Accidents de la Vie (GAV)
La victime avait souscrit un contrat de Garantie des Accidents de la Vie (GAV), prévoyant une indemnisation en cas d’accident médical ayant pour conséquence un dommage d’une certaine gravité.
La famille, sans probablement penser à engager la responsabilité de l’infirmière, obtient au titre de ce contrat une indemnisation significative, tant du fait du nombre d’ayants droit d’une victime de 93 ans que de la perte de retraite pour sa veuve.
Sur la base de ce versement, l’assureur GAV exerce son recours exclusivement à l’encontre de l’assureur de l’infirmière.
Un recours facilité et une défense plus délicate
L’analyse des faits pourrait conduire à identifier d’autres facteurs que l’erreur de l’infirmière pour expliquer le décès.
De la recommandation imprudente du médecin traitant par téléphone à l’état général du patient, en passant par l’absence de réaction de la fille de la victime (elle-même infirmière et dûment informée), une défense traditionnelle aurait peut-être pu conduire à amoindrir l’exclusive responsabilité de celle qui a réalisé cette injection.
Néanmoins, en appliquant les principes de la causalité adéquate, il est apparu clairement que l’assureur de l’infirmière ne pouvait affirmer de manière crédible que le patient serait de toute façon décédé le lendemain… si l’injection avait été réalisée correctement.
Ainsi, un refus et un appel en garantie du médecin généraliste, responsable pour l’insuffisance de ses conseils, n’aurait probablement conduit qu’à une procédure inutile.
La défense était d’autant plus difficile en terme de gestion des risques que si l’erreur ponctuelle est toujours possible, il apparaît dans cette affaire que la pratique, acceptée par l’infirmière, de préparer une injection au contenu radicalement différent, dès la veille, simultanément avec la préparation d’une autre seringue à effets modestes, créait un risque particulier d’erreur.
La suite a malheureusement donné raison aux réserves traditionnelles sur ce type de pratique.
C’est la raison pour laquelle l’assureur de l’infirmière libérale a décidé de supporter l’intégralité de l’indemnisation.
Une causalité discutable
L’infirmière est responsable des conditions de réalisation des soins et des précautions dont elle s’entoure avant de réaliser une injection.
La prise de conscience d’une erreur, surtout à domicile, doit conduire à une démarche rapide et volontaire pour s’assurer que le patient objet de l’erreur n’en deviendra pas la victime.
Pour ce patient, l’installation progressive et inéluctable d’une hypoglycémie avec troubles neurologiques, augmentait significativement le risque de fausse route.
La question, notamment sur la pertinence d’une surveillance à domicile, devait conduire à proposer fermement un suivi hospitalier rapide.
Cette conduite n’aurait pas modifié la gravité de l’erreur mais aurait donné toutes ses chances à une démarche de compensation des conséquences de celle-ci.
Il n’est pas certain qu’hospitalisé immédiatement, l’issue funeste aurait pu être évitée mais tous les moyens auraient été utilisés.