Un réveil en pleine intervention et un anesthésiste absent
Un patient subit une néphrectomie sous anesthésie générale. En tout début d’intervention, l’anesthésiste constate une hypotension artérielle qui le conduit à décider d’une suspension momentanée de l'arrivée de gaz anesthésiant.
L’intervention se poursuit mais le patient se réveille et ressent alors l'ensemble des actes opératoires. Incapable d’effectuer le moindre mouvement, il ne peut alerter l’équipe médicale et paramédicale.
Ce n’est qu’en constatant une hypertension artérielle et une majoration des saignements que le chirurgien comprend que la situation est anormale.
A ce moment, l’anesthésiste est absent du bloc opératoire, introuvable et injoignable. Une infirmière anesthésiste est alors appelée en urgence. Elle constate dès son arrivée que le débit du gaz anesthésiant était fermé.
Une plainte est déposée pour blessures involontaires
Dans le cadre de l'enquête préliminaire, l’expert nommé conclut que le réveil du patient est la conséquence d'une faute de l’anesthésiste. Celui-ci ne pouvait s'absenter du bloc opératoire que de manière très brève, en avisant les autres soignants, et uniquement si l'anesthésie était stable, conditions qui n'ont pas été respectées en l'espèce.
L’anesthésiste est reconnu coupable par le tribunal correctionnel, puis par la cour d’appel qui le condamne à six mois d'emprisonnement avec sursis, trois ans d'interdiction professionnelle, et se prononce sur les intérêts civils. Le praticien se pourvoit alors en cassation.
De lourdes sanctions pénales
Pour sa défense, l’anesthésiste faisait valoir que les dispositions du Code de la santé publique applicables (articles D. 6124-91 à D. 6124-103), qui imposent une surveillance anesthésique continue pendant l’intervention, ne créent des obligations qu'à la charge des seuls établissements de santé, et non à celle des médecins anesthésistes, pris personnellement.
Dans un arrêt du 8 juin 2022, la Cour de cassation rejette le pourvoi et confirme les condamnations.
Deux articles du Code de la santé publique sont bien applicables aux médecins anesthésistes :
- l'article D. 6124-93 met à la charge des médecins anesthésistes l'obligation de participer à l'élaboration de la programmation des interventions ;
- l'article D. 6124-94 dispose pour sa part que l'anesthésie est mise en œuvre sous la responsabilité d'un médecin anesthésiste-réanimateur, qui doit assurer une surveillance clinique continue à l'aide des moyens mis à sa disposition par l'établissement.
De plus, il incombe au médecin anesthésiste, sous la responsabilité duquel l'anesthésie est pratiquée, d'assurer, directement ou en fournissant des directives à ses assistants, un contrôle permanent des données fournies par les instruments afin d'adapter la stratégie anesthésique.
En l’espèce, l’anesthésiste s’est absenté de la salle d'opération sans prévenir quiconque, alors qu'il venait pourtant de constater une hypotension artérielle, qui avait motivé la suspension momentanée de l'arrivée de gaz anesthésiant. La situation du patient était donc précaire et devait faire l’objet d'une vigilance constante.
La violation délibérée des obligations particulières de prudence qui lui incombaient est donc bien établie. La condamnation à six mois d'emprisonnement avec sursis, trois ans d'interdiction professionnelle, et sur les intérêts civils est donc confirmée par la chambre criminelle de la Cour de cassation.
Et l’établissement ?
On ignore les raisons pour lesquelles l’anesthésiste s’est absenté de la salle et n’a pu être joint au moment des complications. Si cette absence s’était expliquée par un effectif insuffisant ou une organisation défaillante du service, la responsabilité pénale de l’établissement aurait pu également être recherchée.
En l’espèce, ce n’était vraisemblablement pas le cas.
Une décision logique, bien que sévère
L’anesthésiste a été condamné en raison de l’absence de surveillance continue au cours de l’intervention, ce comportement constituant une faute délibérée.
Cette faute est particulière et se distingue de la faute caractérisée, souvent invoquée à l’encontre des professionnels de santé.
- La faute caractérisée suppose d’avoir exposé autrui à un risque d’une particulière gravité, que l’auteur ne pouvait ignorer. Mais elle n’implique pas d’élément intentionnel.
- La faute délibérée suppose, à l'inverse, que l’auteur connaissait l’existence de l’obligation mais ne l’a volontairement pas respectée.
Le fait que les juges aient retenu la faute délibérée plutôt que la faute caractérisée explique la sévérité des sanctions prononcées.
Si la décision est donc sévère, elle est aussi logique au regard du cadre réglementaire applicable à la surveillance anesthésique. Ce cadre résulte :
- de l’article D. 6124-94 du code de la santé publique ;
- des recommandations de la SFAR concernant « la surveillance des patients en cours d'anesthésie » (2e édition - Juin 1989 - Janvier 1994), « Toute anesthésie générale, locorégionale, ou sédation susceptible de modifier les fonctions vitales doit être effectuée et surveillée par ou en présence d'un médecin anesthésiste-réanimateur qualifié. (...) Si le médecin anesthésiste-réanimateur est amené à quitter la salle d'opération, il confie la poursuite de l'anesthésie à un autre médecin anesthésiste-réanimateur qualifié. S'il la confie à un médecin anesthésiste-réanimateur en formation ou à un(e) infirmier(e) anesthésiste, il reste responsable de l'acte en cours et peut intervenir sans délai » ;
- des recommandations de la SFAR de janvier 1995 sur le rôle de l’IADE : « Le médecin anesthésiste-réanimateur peut lui confier la surveillance du patient en cours d'anesthésie à la condition expresse de rester à proximité immédiate et de pouvoir intervenir sans délai ».
- des recommandations du Conseil National de l’Ordre des Médecins de décembre 2001 concernant les relations entre anesthésistes réanimateurs et chirurgiens, autres spécialistes et professionnels de santé : « le médecin anesthésiste peut confier à l’IADE, temporairement, sous sa propre responsabilité, la surveillance d’un patient anesthésié, ne constituant pas un risque particulier, et à condition qu’il soit à tout moment immédiatement joignable et disponible à proximité de la salle d’opération ».
Le Code de la santé publique et les recommandations n’imposent pas à l’anesthésiste de rester physiquement au bloc pendant toute la durée de l’intervention. La « surveillance continue » visée par les textes peut être exercée par d’autres professionnels, par exemple un IADE. C’est d’ailleurs bien pour cela qu’en pratique, un anesthésiste peut être amené à intervenir sur plusieurs salles d’opération simultanément.
Mais si l’anesthésiste n’est pas présent, il doit respecter certaines conditions :
- ne s’absenter que si l’état du patient est stable : ce n’était pas le cas en l’espèce, puisqu’il avait dû fermer momentanément l’arrivée du gaz anesthésiant en raison d’une hypotension dès le début de l’intervention ;
- être disponible rapidement et assurer une intervention sans délai en cas de problème : là encore, ce n’était pas le cas en l’espèce puisque quand le chirurgien a relevé les premiers signes inquiétants (hypertension et saignements), l’anesthésiste s’est avéré introuvable et injoignable.