Prise en charge pour un tableau d'otite séromuqueuse chronique
En octobre 2018, un enfant âgé de 2 ans, est examiné par un ORL qui pose le diagnostic d’otite séromuqueuse atopique bilatérale (à prédominance gauche). Un traitement médical est prescrit et un suivi mis en place.
L’ORL revoit donc l’enfant à plusieurs reprises et propose rapidement la pose d’aérateurs trans tympaniques, qui n’est finalement effective qu’en mars 2021 et associée à une adénoïdectomie.
L’intervention se déroule sans difficulté mais un mois plus tard, en avril 2021, notre sociétaire est reconsulté pour une otorrhée purulente : il est alors constaté l’expulsion en cours d’un des aérateurs ainsi qu’un polype. Une antibiothérapie est prescrite.
En mars 2021, l’enfant présente une otorragie, les parents consultent aux urgences où un ORL examine l’enfant et pose le diagnostic d’otite séromuqueuse. Il prescrit des gouttes auriculaires antibiotiques et autorise le retour à domicile.
Dès le lendemain, les parents consultent à nouveau notre sociétaire, qui constate l’expulsion effective de l’aérateur et l’augmentation de volume du polype. Un traitement médical par gouttes auriculaires est à nouveau prescrit.
Notre sociétaire ne reverra plus l’enfant. En effet, les parents décident alors d’un suivi au CHU.
Mi-juin 2021, l’enfant âgé de presque 5 ans, présente une paralysie faciale gauche. Une IRM centrée sur les rochers retrouve alors "une lésion tissulaire atteignant le rocher gauche et comblant l’antre, l’oreille moyenne et s’étendant vers l’apex pétreux où elle engaine à 360° le trajet de la carotide interne gauche et s’étend jusqu’à la partie inférieure du cavum de Meckel, expliquant l’atteinte du V gauche".
Un rhabdomyosarcome est alors suspecté.
Un scanner cérébral, des rochers et thoraco-abdomino-pelvien est réalisé :
Syndrome de masse tissulaire du rocher gauche occupant l’oreille moyenne avec épaississement des parois tympaniques, atteinte antro-mastoïdienne ainsi que de l’apex pétreux associé à une lyse osseuse, avec extension sur la face antérieure du rocher en endocrânien au contact du parenchyme temporal gauche, avec probable atteinte méningée mesurée à 3 mm d’épaisseur. Lyse du canal osseux de la seconde portion du nerf facial gauche. Large lyse osseuse des parois antérieures postérieures supérieures de l’apex pétreux avec engagement à 360° du trajet carotidien interne gauche et probable atteinte du cavum de Meckel gauche. Pas de lésions à distance mise en évidence sur le reste de l’examen.
Le compte rendu anatomopathologique d’une biopsie confirme le diagnostic de rhabdomyosarcome. L’enfant est pris en charge au CHU, où un traitement par chimiothérapie suivi d’une proton-thérapie est mis en route.
Une évolution inattendue
Dans le cadre de la procédure intentée devant la CCI, un collège d’experts comportant un ORL et un médecin légiste est nommé. Il conclut comme suit :
"(...) La survenue du rhabdomyosarcome ne peut être imputable :
- ni à l'évolution d’une otite séromuqueuse chronique prise en charge par le Dr X. ;
- ni à l’otorrhée récidivante, prise en charge par le Dr X. ;
- ni à l’intervention chirurgicale ORL réalisée par le Dr X. (adénoïdectomie avec pose bilatérale d’aérateurs transtympaniques (ATT).
Le rhabdomyosarcome s'est révélé chez l’enfant par une otorrhée et un polype dans le conduit auditif externe de l’oreille gauche, alors qu’il avait été opéré un mois auparavant d’une otite chronique séromuqueuse par une procédure chirurgicale conventionnelle : adénoïdectomie avec pose bilatérale d’ATT.
Le Dr X. a interprété ces signes cliniques (otorrhée et polype), à deux reprises, comme la complication de la pose d’ATT. Il s’agit effectivement de complications observées en postopératoire dans 10 à 20 % des cas pour l’otorrhée et moins de 5 % des cas pour les granulomes (ou polypes) (...).
Le docteur X. a ordonné à deux reprises, un traitement par des gouttes auriculaires, en accord avec la prise en charge décrite au chapitre « iatrogénie » des ATT dans les recommandations de bonne pratique de la SFORL sur la prise en charge des otites séromuqueuses de l’enfant (…).
Le docteur X. a fait preuve de prudence en convoquant l’enfant pour une consultation de suivi, date à laquelle il aurait pu observer l’évolution du polype et décider la prise biopsique et/ou l’imagerie. La famille, inquiète, a décidé de surseoir à ce RDV pour une prise en charge au CHU (...).
Au total, l’état actuel de l’enfant est lié à sa maladie (…)."
La CCI, s’appuyant sur le rapport, va donc considérer que le diagnostic de la tumeur a été posé "dans un délai conforme à la littérature scientifique" et que la prise en charge de cet enfant ne souffre d’aucune critique.
Le dommage de l’enfant ne résultant ni d’un accident médical, ni d’une affection iatrogène, ni d’une infection nosocomiale mais seulement de l’évolution prévisible de la pathologie dont il est atteint, la demande d’indemnisation des parents est rejetée.
Les recommandations de la MACSF
Si l'éventualité d'un tel diagnostic est assez rare, elle reste malgré tout possible et mérite donc d’être gardée en mémoire.
Cette histoire vient rappeler que, quelles que soient la spécialité et la pathologie en cause, une évolution "anormale" ou "atypique" doit aussi inciter le praticien à éventuellement remettre en question le diagnostic initialement posé.
Bibliographie
> Durve DV. et coll. - Pediatric rhabdomyosarcoma of the ear and temporal bone - Clin Otolaryngol, 2004.
> Janz TA et coll. - A review of pediatric middle ear tumors and analysis of the demographics, management, and survival of pediatric rhabdomyosarcomas of the middle ear - International Journal of Pediatric Otorhinolaryngology, 2018.
> Blanc F. et Coll. - Prise en charge des otites séromuqueuses de l’enfant. Recommandations de pratiques cliniques de la Société Française d’ORL et de chirurgie cervico-faciale - Anales françaises d’oto-rhino-laryngologie et de pathologie cervico-faciale, 2018.
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