1er cas : des complications gravissimes d'un "syndrome grippal"
Notre sociétaire généraliste est consulté en plein mois de février par une de ses patientes, âgée de 40 ans, sans antécédents, pour une toux fébrile (supérieure à 39°C) et des otalgies, malgré la prise de paracétamol.
L’examen retrouve un pharynx un peu rouge mais pas d’angine, ce qui est noté. La température est normale au moment de la consultation, tout comme l’auscultation cardiopulmonaire.
Il est conclu à un syndrome grippal. Un arrêt de travail est prescrit, une ordonnance associant paracétamol et un AINS pour une durée de 3 jours est remise. Le conseil lui est donné de consulter à 48/72H en cas de persistance de la fièvre, ou plus tôt si nécessaire.
Cinq jours plus tard, la fièvre persistant, la patiente consulte un autre praticien qui, après examen, confirme le diagnostic, recommande l’arrêt de l’AINS et ajoute un traitement codéiné et un antitussif.
Dans la nuit, la patiente appelle le SAMU à deux reprises :
- Une première fois parce qu’elle s’inquiète de l’apparition de crachats sanguinolents lors d’efforts de toux et d’une diarrhée.
- La seconde fois, au petit matin, du fait de sa toux qui est devenue incessante, d’un certain degré d’essoufflement et de l’apparition de "plaques" rouges sur tout le corps. Il lui est alors conseillé de reconsulter un généraliste ou de se déplacer d’elle-même aux urgences.
Après avoir été victime d’un malaise au cabinet du médecin consulté, la patiente est admise en réanimation pour un état de choc septique.
Les prélèvements et hémocultures réalisés mettent en évidence une infection à streptocoque beta-hémolytique du groupe A avec une pneumonie franche lobaire aiguë.
Malgré les traitements mis en œuvre, l’évolution est marquée par une nécrose des 4 extrémités, justifiant des nécrosectomies itératives puis une amputation partielle de tous les doigts et une amputation transtibiale bilatérale.
Enfin, 4 mois après son admission, la patiente présente une hémoptysie de moyenne abondance amenant à son transfert en chirurgie thoracique, où une lobectomie supérieure droite d’hémostase est réalisée.
2e cas : décès après un "syndrome grippal"
Au mois de février, une patiente de 37 ans, sans antécédents, consulte un médecin généraliste, pour une rhinite et une toux sèche, sans fièvre.
L’examen, en particulier pulmonaire, s’avère strictement normal, la gorge étant qualifiée de "propre" sur l’observation du praticien. Un diagnostic de trachéite est posé et une désinfection rhinopharyngée est recommandée.
Le lendemain, la patiente fait appel à SOS Médecins du fait de l’apparition d’une fièvre, d’une toux un peu moins sèche et de courbatures faisant évoquer un syndrome grippal. Il est prescrit un traitement associant paracétamol et AINS pour une durée de 3 jours.
Le surlendemain, la patiente consulte aux urgences du CHIU. Elle est renvoyée par l’infirmière de tri IAO (Infirmière d’Accueil et d’Orientation) vers la maison médicale de garde, en l‘absence de signes de gravité. Le diagnostic y est maintenu.
Trois jours plus tard, la patiente contacte le SAMU pour d’importantes douleurs à type de crampes dans les membres inférieurs, des crachats sanguinolents, un essoufflement. Une consultation généraliste est conseillée pour le lendemain.
Son mari décide cependant de l’emmener aux urgences du centre hospitalier voisin, où son état évoque une laryngite sans aucun signe de gravité, justifiant un traitement symptomatique.
Finalement, la patiente reconsulte le premier médecin. Ce dernier constate que la patiente se plaint toujours d’une toux sèche mais moins de sa gorge, réexaminée et toujours dite normale. L’auscultation cardio-pulmonaire est normale, comme la saturation mesurée à 100 % et les constantes.
En revanche, le médecin note un léger œdème des mains et des pieds, une déshydratation et une prise de poids de plus de 4 kilos depuis la dernière consultation.
Il décide d’adresser sa patiente avec un courrier explicatif. Peu de temps après, il est noté l’apparition d’une éruption ecchymotique de la cuisse et d’une chute de tension avec désaturation conduisant à son transfert en réanimation.
Rapidement, elle est victime d’un premier arrêt cardiaque au cabinet, imposant le recours à une assistance par ECMO. Elle décède le lendemain.
L’autopsie conclura à un décès dans le cadre d’un choc toxique suite à une infection invasive au streptocoque A qui sera retrouvé dans les poumons, le cœur, les prélèvements du nez et de la bouche.
Que retenir sur le plan médical ?
Rappelons que si dans leur grande majorité, les angines sont virales (75 à 90 % chez l’adulte et 60 à 75 % chez l’enfant), un certain nombre sont bactériennes et dues au streptocoque du groupe A, dont la recrudescence semble observée.
Ce germe peut être responsable :
- d’infections bénignes de tous types (impétigo, scarlatine, infections de la sphère ORL) ;
- mais parfois aussi d’infections invasives potentiellement mortelles (fasciites nécrosantes, infections puerpérales, pneumopathies, méningites…) et responsables de choc toxique, dont la mortalité est évaluée à 30 %.
Puisqu’il n’existe aucun signe spécifique d’une infection due à un streptocoque beta hémolytique du groupe A en cas d’angine, le TROD est un outil diagnostique indispensable.
Comme le rappelle l’Assurance Maladie1, "complément indispensable de l’examen clinique, le Trod angine confirme l’étiologie à SGA. Il réduit le risque de passer à côté de cette angine bactérienne, (...) sa sensibilité est supérieure à 90 % et sa spécificité est supérieure à 95 %". C’est donc un excellent outil diagnostique, même s’il est imparfait.
Devant toute angine érythémateuse ou érythémato-pultacée, le TROD angine doit être réalisé :
- chez l'enfant de 3 ans ou plus : systématiquement,
- chez l'adulte : uniquement en cas de score de Mac ISAAC supérieur ou égal à 2.
Pour déterminer ce score, le médecin doit attribuer une valeur de 0 (absence) ou 1 (présence) à chacun des éléments suivants :
- fièvre supérieure à 38°C,
- toux,
- adénopathie cervicale douloureuse,
- atteinte amygdalienne (hypertrophie ou exsudat).
- En cas de positivité du TROD angine
Un traitement antibiotique doit être instauré. Le traitement repose sur l’amoxicilline pour une durée de 6 jours. En cas d’allergie (ou d’indisponibilité…), il peut être prescrit une céphalosporine. En cas de contre-indication, on prescrira un macrolide. - En cas de négativité (sauf facteurs de risques de rhumatisme articulaire aigu)
Aucun traitement ne doit être prescrit.
Que retenir du point de vue médico-légal ?
Dans ce type de dossier, la question de la réalisation, nécessaire ou pas, d’un TROD angine est à chaque fois posée et fait souvent l’objet d’âpres discussions.
L’avis des experts infectiologues est cependant formel quant à son inutilité, dès lors que l’examen de la gorge est noté et ne rapporte aucun signe en faveur d’une angine.
En revanche, le constat d’une simple pharyngite ne justifie aucunement la réalisation d’un TROD angine, en dépit de ce que les médecins de recours ont tendance à invoquer, forts d’une lecture rétrospective.
Il faut en effet rappeler que la rhinopharyngite est une atteinte inflammatoire du pharynx et des fosses nasales qui, à l’examen :
- se traduit par un aspect érythémateux de l’oropharynx, avec une muqueuse généralement plus colorée que celle tapissant la paroi interne des joues ;
- s’accompagne fréquemment d’une rhinorrhée associée à une obstruction nasale, de toux et de fièvre.
S’agissant d’une infection majoritairement d’étiologie virale et dont l’évolution est spontanément favorable en quelques jours, aucun traitement antibiotique n’est nécessaire, même si la rhinopharyngite s’accompagne d’une rhinorrhée purulente ou mucopurulente.
La Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF) rappelle2 que "Aucune rhinopharyngite ne justifie la prescription d'un traitement antibiotique. Celle-ci doit être proscrite au regard des conséquences différées, individuelles et collectives, qu'elle entraîne. Raison pour laquelle la pratique d’un TROD en cas de pharyngite ne fait d’ailleurs pas partie des recommandations françaises.
Concernant la prescription d’AINS, qui est d’une grande banalité en pratique de médecine générale et qui est souvent mise en avant pour tenter de voir la responsabilité du médecin reconnue, il faut retenir que leur prescription augmente le risque de complications infectieuses.
Pour autant, prescrire des AINS dans un contexte de douleurs et de fièvre reste autorisé3 , même s’il est préférable de privilégier la prescription de paracétamol : cette prescription doit se faire avec la plus faible posologie possible et sur la plus courte durée possible (3 jours en cas de fièvre et 5 jours en cas de douleurs).
Nos conseils...
- Notez le résultat de l’examen de la gorge chez tout patient fébrile venant consulter pour un syndrome "grippal".
- Faites réaliser un TROD en cas de score de Mc Isaac supérieur ou égal à 2.
- Prescrivez des antibiotiques en cas de positivité du test.
- Prenez le temps de préciser l’auscultation cardiopulmonaire, la tolérance des symptômes, les paramètres hémodynamiques.