Un scanner interprété par téléradiologie en pleine nuit
Une patiente âgée de 86 ans se présente aux urgences de l'hôpital à 3 h 40 du matin.
Elle se plaint de douleurs abdominales depuis l'avant-veille, se majorant progressivement avec deux épisodes de vomissements non sanglants. Il n'y a pas de notion de diarrhée.
À l'examen clinique, l’urgentiste constate une tachycardie à 125/min, une pâleur cutanéomuqueuse et un abdomen distendu et tympanique avec sensibilité de la partie droite de l'abdomen, sans défense.
Le bilan biologique réalisé à 4 h du matin retrouve :
- une hyperleucocytose à 21 000,
- une CRP à 91,8,
- une acidose métabolique,
- une cytolyse hépatique.
Un scanner abdominopelvien est demandé vers 6 h du matin pour tableau abdominal aigu à la recherche d'une pathologie hépatobiliaire aiguë.
Le scanner est réalisé sans, puis avec injection au temps artériel puis au temps portal, interprété à la recherche d'un foyer infectieux. L'interprétation est faite en téléradiologie et conclut en l'absence d'anomalie hépatobiliaire et de foyer infectieux profond décelé. Il est décrit une discrète infiltration de la graisse en fosse iliaque gauche non spécifique. Une relecture du scanner est réalisée vers midi et objective alors la présence d'un thrombus de l'artère mésentérique supérieure.
Un avis auprès du chirurgien vasculaire est aussitôt demandé. Il décide d’une abstention thérapeutique, tant sur le plan chirurgical que médical.
La patiente est admise dans le service et décède dans la nuit, moins de 24 heures après son arrivée à l'hôpital.
Les ayants droit engagent une procédure judiciaire civile à l’encontre de l’hôpital et du radiologue, intervenu à distance, qui exerce en libéral. Ils invoquent le manque d'information délivrée à la famille et une prise en charge thérapeutique insuffisante.
Téléradiologie : une solution d’avenir…
La téléradiologie est l’exercice à distance de la médecine radiologique. Elle consiste pour le médecin radiologue à :
- organiser à distance, et sous son contrôle, la réalisation par un manipulateur d'un examen d'imagerie ;
- puis de l'interpréter ;
- et de rendre compte de son résultat, de la façon la plus similaire possible à ce qui aurait été fait en direct au sein du cabinet ou de l’établissement.
La téléradiologie trouve tout son intérêt pour les patients s'il y a une impossibilité de prise en charge radiologique par un radiologue, notamment dans les territoires manquant de praticiens, en cas d'augmentation importante des besoins d'examens et également dans le cadre de l'organisation des gardes et astreintes.
Cette pratique prend de l’ampleur depuis la création de plusieurs sociétés de téléradiologie, à partir du début des années 2000 en France (Imadis, Medin+, Nehs digital et Nexus Platform, Télédiag, TMF Santé, TéléVidi,…).
Elle est soumise à la Charte de téléradiologie rédigée en février 2020 par le Conseil National Professionnel de radiologie et imagerie médicale (G4). Cette nouvelle charte reprend et actualise les textes des deux chartes précédentes "téléradiologie G4 – CN0M" à visée éthique et déontologique qui avaient été élaborées en 2009 puis en 2015.
Sur la responsabilité du radiologue
Dans le cas présenté, le radiologue faisait partie d’un réseau de radiologues au sein d’une société médicale de téléradiologie d’urgence à distance.
Lors de la demande du scanner abdominal, il n'a pas été précisé qu'il existait une acidose métabolique. Cela aura aurait pu orienter le radiologue dans son interprétation.
Néanmoins, le radiologue a recherché consciencieusement des signes de souffrance digestive devant ce tableau douloureux abdominal et n'a pas retrouvé d'œdème sous-muqueux, pas de réhaussement en cocarde ni de défaut de réhaussement ou pneumatose.
Pour autant, l’expert retiendra finalement un manquement - notamment du radiologue - avec méconnaissance du diagnostic d'infarctus mésentérique. Il ne retiendra toutefois aucune perte de chance de survie compte tenu :
- d'une consultation tardive aux urgences, plus de 24 heures après le début de la symptomatologie abdominale ;
- de l'existence de facteur de gravité dès le début de la prise en charge hospitalière ;
- de l'âge de la patiente.
Les conseils du Comité médical de la MACSF
La téléradiologie est amenée à se développer en raison du manque de praticiens radiologues dans certains territoires.
Dans le cadre d'une prescription d'examens radiologiques interprétés à distance, il convient d'être particulièrement descriptif sur le tableau clinique présenté afin d'orienter le radiologue dans sa recherche.
Celui-ci, à notre sens, ne doit pas non plus hésiter à entrer en contact avec le praticien prescripteur pour affiner sa recherche voire guider la demande d’imagerie.