Le périmètre de l'étude
Pour dégager des tendances statistiques sur ce risque médico-juridique, la MACSF a mis en place un Observatoire du risque médico-juridique en kinésithérapie.
Il s’agit d’une base de données répertoriant toutes les réclamations-patient enregistrées à la MACSF, impliquant un masseur-kinésithérapeute, sur une période déterminée (ici 5 années), quels que soient le type (civil, pénal, amiable...) et l’issue (favorable, défavorable ou sans suite).
L’objectif de ces analyses est également de mettre en évidence des récurrences sur les motifs de réclamations :
- objectivant des vulnérabilités dans les process de prise en charge ;
- permettant ainsi aux professionnels de santé de mettre en place des actions de prévention et de sensibilisation à ces risques (individuelles et/ou collectives).
La rééducation orthopédique ou rhumatologique, principal acte de rééducation à l’origine des réclamations
- Conformément aux principaux actes réalisés par les kinésithérapeutes dans l’exercice de leur profession, près des ¾ des réclamations-patient concernent une rééducation orthopédique ou rhumatologique - 348 dossiers.
- Le deuxième acte à l’origine de près de 13 % des réclamations est la rééducation neurologique et musculaire - 60 dossiers.
- Suivent les actes de rééducation à la déambulation de personnes âgées dans près de 9 % des dossiers ouverts - 41 dossiers.
Quelques dossiers concernent également :
- Une rééducation de pathologies maxillo-faciales et ORL - 6 dossiers.
- Une rééducation d’affections respiratoires - 4 dossiers.
- Une rééducation périnéo-sphinctérienne - 4 dossiers.
Hors actes de rééducation, 5 dossiers ont été ouverts aux motifs :
- D’un conflit relationnel - 2 dossiers.
- De séances de drainage lymphatique - 1 dossier.
- De soins de cryolipolyse - 1 dossier.
- Suite à l’utilisation d’un appareillage type "Bodysculptor excell" dans le cabinet - 1 dossier.
Il est à relever que dans 5 dossiers sur l’échantillon de l’étude, l’acte de rééducation réalisé n’a pas pu être identifié dans les données médicales mises à notre disposition.
S’agissant du motif de prise en charge en soins de kinésithérapie, plus de la moitié des patients consulte un kinésithérapeute pour soigner une algodystrophie (55 %).
On note également :
- 21 % de patients en soins postopératoires.
- 10 % de patients présentant des troubles de l’équilibre.
- 7 % de patients présentant des troubles neuro-périphériques.
- 7 % de patients hémiplégiques.
Le principal motif de réclamation : la chute au cabinet
Le motif de réclamation correspond à l’événement indésirable (EI) à l’origine d’un préjudice pour le patient suite à un acte de soins.
Dans près de la moitié des cas (45 %), le patient engage une procédure au motif d’une chute au cabinet du kinésithérapeute.
Tant que le patient n’a pas quitté la salle de soins, il est sous la responsabilité du praticien.
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Les patients nécessitant des soins de rééducation sont souvent "diminués" physiquement, il est donc nécessaire d’adapter la prise en charge de leur arrivée à leur sortie du cabinet (y compris lors de déplacements dans le cabinet ou lors de la réalisation d’exercices de rééducation).
Des actions de prévention doivent être mises en place pour pallier tout risque de chute
Si la vigilance doit être accrue dans la prise en charge des personnes âgées, éventuellement sujettes à des problèmes de troubles cognitifs ou d’équilibre, l’état de santé de tout patient pris en charge doit être pris en compte :
- Présente-t-il des antécédents de chute ?
- Est-il sous traitement médicamenteux (neuroleptique) ?
- Est-il diminué dans sa mobilité ou sujet aux malaises vagaux ?
De même, les éventuelles situations à risque dans le cabinet (table de massage mécanique, balnéothérapie, sols, éclairage…) doivent être évaluées afin de prévenir la réalisation des risques identifiés par la mise en place de barrières de prévention.
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L’analyse des événements indésirables retrouvés pour la cohorte des masseurs-kinésithérapeutes met également en évidence des dossiers de persistances de troubles de type algodystrophie (15 %) et de brûlures (11 %).
De manière moins significative, la demande peut être justifiée par une fracture consécutive aux soins (8 %), une rupture tendineuse (6 %), un geste technique "inapproprié" (3,5 %) ou encore une plaie (1,5 %)…
Quelques dossiers concernent également, par exemple :
- Des séquelles neurologiques - 4 dossiers.
- Des déchirures musculaires suite à une manipulation - 4 dossiers.
- Une luxation - 3 dossiers.
- Un dysfonctionnement matériel - 3 dossiers.
- Le déplacement du matériel d’ostéosynthèse suite à une manipulation - 2 dossiers.
- Une erreur d’identité - 1 dossier…
La responsabilité indemnitaire des kinésithérapeutes est le plus souvent recherchée
La responsabilité indemnitaire des masseurs-kinésithérapeutes est la plus souvent recherchée. Elle concentre plus de 93 % des réclamations :
- 83 % de demandes amiables,
- 8 % de procédures devant les juridictions civiles,
- 2 % de saisines de Commissions d’Indemnisation et de Conciliation (CCI),
- 0,25 % de procédures cumulées Civile et CCI.
Les patients recherchent donc surtout une compensation financière en réparation du ou des préjudices subis, qu’ils estiment en lien de causalité direct et certain avec l’acte de rééducation réalisé.
En revanche, et c’est une tendance que l’on retrouve pour de nombreuses professions paramédicales, médicales et chirurgicales, les responsabilités ordinale (> 5 %) et pénale (1 %) des kinésithérapeutes sont peu recherchées.
La voie pénale est plus communément retenue en cas de blessures majeures ou décès. Or, l’acte de kinésithérapie, acte de rééducation fonctionnelle, est le plus souvent à l’origine d’une "perte de chance" pour le patient. mais l’expose rarement de manière directe et certaine à un risque grave engageant son pronostic vital
S’agissant des 5 procédures pénales enregistrées pour la cohorte, 2 dossiers ont été ouverts pour des allégations d’agressions sexuelles et 3 pour blessures involontaires. Si nos sociétaires kinésithérapeutes ont été entendus par les services de gendarmerie ou au Commissariat de police, aucun dossier n’a connu de suite pénale.
23 patients s’estimant victimes d’un manquement déontologique de la part de leur kinésithérapeute ont saisi l’Ordre National des Masseurs-Kinésithérapeutes. Seuls 2 dossiers ont conduit à une condamnation ordinale du professionnel de santé :
- Défaut de prise en charge (montée et descente - STEP) d’un patient de 77 ans ayant chuté au cabinet (avertissement).
- Exercice de la micro-kinésithérapie, pratique non fondée sur les données actuelles de la science et non éprouvée (interdiction temporaire d’exercer de 6 mois, dont 3 mois avec sursis).
Pour aller plus loin, découvrez notre article "Les différents types de mise en cause"
Une majorité de dossiers connaît une issue favorable pour nos sociétaires
95 % des dossiers sont terminés et 5 % des dossiers sont toujours en cours.
Sur les dossiers terminés, nous considérons que 60 % ont connu une issue favorable pour nos sociétaires, soit :
- parce que le dossier ne connaît aucune suite ;
- parce que le masseur-kinésithérapeute est mis hors de cause ;
- après dépôt d’un rapport d’expertise favorable pour le professionnel de santé, sans suite de la procédure par le patient ou ses ayants droit.
A l’inverse, 40 % de ces dossiers terminés ont évolué défavorablement pour nos sociétaires mis en cause en raison d’une condamnation judiciaire ou ordinale ou d’une transaction amiable.
En effet, avec l’accord de nos sociétaires, des dossiers sont transigés à l’amiable suite au dépôt d’un rapport d’expertise amiable ou judiciaire défavorable risquant d’évoluer vers une poursuite de la demande indemnitaire.
Sur les 179 dossiers "fautifs" retrouvés dans l’échantillon de l’étude, 175 dossiers ont conduit à une transaction (amiable dans 172 dossiers et suite à un rapport d’expertise judiciaire défavorable au sociétaire dans 3 dossiers) :
- 92 dossiers consécutifs à une chute au cabinet.
- 36 dossiers consécutifs à une maladresse/défaillance technique (brûlures ou plaie…).
- 39 dossiers consécutifs à une manipulation défaillante ou la réalisation d’un exercice inadapté.
- 8 dossiers consécutifs à un défaut de prise en charge (préjudice notamment lié à une manipulation défaillante du matériel).
Sur les 22 dossiers en cours, il convient de relever 2 "dossiers à risque". Il s’agit de dossiers en cours pour lesquels un rapport d’expertise défavorable a été rendu et qui sont en attente d’une décision de justice.
Sont également à relever 8 dossiers en cours avec un rapport d’expertise favorable.
2 dossiers sont en attente d’organisation d’une expertise.
Les principaux manquements retenus
Sans grande surprise, le principal "manquement" retenu contre nos sociétaires kinésithérapeutes est le défaut de prise en charge ayant conduit à une chute du patient au cabinet. Ce manquement est d’ailleurs en adéquation avec le principal événement indésirable rencontré pour la cohorte : la chute.
Les kinésithérapeutes se voient également reprocher des défauts de manipulation ou la réalisation d’un exercice inadapté à l’origine d’un préjudice physique pour le patient. Sont également retenues des maladresses ou défaillances techniques à l’origine de brûlures ou de plaies.
Quelques dossiers concernent des "défauts de prise en charge" correspondant à des manipulations défaillantes de matériel. Il s’agit, par exemples :
- d’un dysfonctionnement lors de l’utilisation d’un appareil d’électrothérapie ayant entraîné une importante décharge électrique au niveau du genou du patient ;
- de la section du pouce d’une patiente allongée en décubitus ventral lors de l’abaissement de la têtière de la table ;
- ou encore de la fracture des deux gros orteils d’un patient par écrasement des pieds par la table de kinésithérapie, avec un système de levage non sécurisé…
La responsabilité d’un masseur-kinésithérapeute a également été retenue pour avoir pratiqué de la micro-kinésithérapie, pratique non reconnue.
Pratique illégale et défaut d'information
L’Ordre des masseurs-kinésithérapeutes a condamné un praticien à une interdiction temporaire d’exercer de 6 mois dont 3 mois avec sursis pour exercice d’une pratique non reconnue, la micro-kinésithérapie.
Un défaut d’information a également été retenu dans la mesure où si le patient avait été correctement informé sur la technique utilisée, il n’aurait pas poursuivi les séances.
Pour rappel, la loi du 4 mars 2002 a codifié l’obligation d’information du patient à l’article L.1111-2 du Code de la santé publique qui indique que "toute personne a le droit d’être informée sur son état".
Comme tout professionnel de santé, le kinésithérapeute est soumis à une obligation d'information.
En effet, l’article R.4321-83 du Code de la santé publique (article 83 du Code de déontologie des masseurs-kinésithérapeutes), indique que le masseur-kinésithérapeute, "dans les limites de ses compétences", doit à "la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, et les soins qu’il lui propose".
Doivent donc être abordées les questions relatives :
- au contenu de l’acte envisagé,
- à son opportunité,
- aux alternatives thérapeutiques existantes,
- aux risques éventuels liés aux soins envisagés,
- ou encore aux conséquences d’un éventuel refus de l’acte.
L’information du patient constitue un temps fort de sa prise en charge.
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Elle est indispensable à l’obtention de son consentement libre et éclairé à l’acte de rééducation envisagé. Elle doit être adaptée à l’état de santé de chacun ainsi "qu’à la personnalité du patient", étant précisé que le praticien "formule ses prescriptions avec toute la clarté indispensable, veille à leur compréhension par le patient et son entourage et s’efforce d’en obtenir la bonne exécution".