Violences gynécologiques et obstétricales : de quoi parle-t-on ?
Les violences gynécologiques et obstétricales sont dénoncées depuis quelques années et font l’objet d’une médiatisation certaine, les réseaux sociaux ayant en outre permis une libération de la parole des patientes, via le hashtag "#PayeTonUtérus".
Elles couvrent des réalités extrêmement diverses puisqu’il peut s’agir :
- d’absence de recueil de consentement à l’acte,
- d’actes réalisés avec violence,
- d’actes dont l’indication n’est pas médicalement justifiée (par exemple l’abus dans le recours à l’épisiotomie, de la césarienne, expressions abdominales…),
- de gestes non dénués d’ambiguïté,
- de propos sexistes et de réflexions déplacées,
- de violences sexuelles…
Certains de ces abus ne sont pas volontaires mais relèvent simplement de négligence, maladresse, fatigue, mauvaises habitudes, manque de temps, d’écoute et de dialogue…
Depuis quelques mois, en raison de l’augmentation des signalements et plaintes et de leur médiatisation, circulent des réflexions de médecins gynécologues et/ou obstétriciens manifestement inquiets quant à l’avenir de leur exercice professionnel :
- "Je ne ferai plus d’examen clinique gynécologique.
- Je laisserai la porte ouverte lors de l’examen clinique.
- Je ne ferai un examen gynécologique qu’en présence d’un interne, d’une aide-soignante ou infirmière…"
Pourtant, l’arsenal juridique existant permet de dégager des pistes de réflexions concrètes permettant d’éviter certaines dérives.
Des comportements déplacés à l’origine de plaintes disciplinaires et/ou pénales
Le comportement des professionnels de santé peut faire l’objet de poursuites devant les juridictions ordinales et/ou pénales en cas d’infraction aux dispositions du code de déontologie médicale et/ou du code pénal.
Les manquements au code de déontologie sont, contrairement aux infractions pénales, imprescriptibles. Cela signifie que des médecins peuvent faire l’objet d’une plainte ordinale 20 ou 25 ans après une consultation.
Le Conseil national de l’Ordre, au terme des commentaires sous l’article 2 du Code de déontologie médicale, rappelle que : "le médecin ne doit pas abuser de sa position, notamment du fait du caractère asymétrique de la relation médicale, de la vulnérabilité potentielle du patient, et doit s’abstenir de tout comportement ambigu, en particulier à connotation sexuelle (relation intime, parole, geste, attitude, familiarité inadaptée …)."
Quelques exemples de décisions rendues par la Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins permettent d’éclairer la discussion et de comprendre quels actes sont considérés comme étant non conformes à la déontologie médicale :
- Dire à sa patiente, en réalisant une échographie endovaginale, "ma petite chérie" consiste à donner un connotation sexuelle à l’acte (Chambre disciplinaire nationale du 13 janvier 2017, n° 12752, 3 mois d’interdiction d’exercer de la médecine, dont un avec sursis).
- Réaliser un palper mammaire puis un toucher rectal sans solliciter l’accord de la patiente et sans l'informer des motifs de tels examens est une violation des articles R. 4127-7, 31 et 36 du Code de la santé publique (Chambre disciplinaire nationale 15 novembre 2005, 2 mois d'interdiction, dont 8 jours sans sursis).
- Effectuer des gestes à caractère érotique à l'occasion d'un examen gynécologique comportant des touchers vaginaux est constitutif d’un manquement au code de déontologie, la Chambre précisant que "les gestes qui lui sont reprochés ne sont pas justifiés par l’examen en cause et ne peuvent s’expliquer par une simple maladresse" (Chambre disciplinaire nationale, 1er février 2001, n° 7603, 3 ans d'interdiction).
- Ou encore, procéder à un toucher vaginal sans gant…
Les professionnels de santé peuvent également être poursuivis et condamnés pour agressions sexuelles (article 222-22 du code pénal) ou pour viol en cas de pénétration (article 222-23 du code pénal).
Une charte de la consultation en gynécologie et obstétrique
Le Collège National des Gynécologues et obstétriciens français a proposé, en octobre 2021, une Charte de la consultation en gynécologie ou en obstétrique, que les professionnels de santé peuvent afficher dans la salle d’attente, voire adresser par mail à leurs patientes dès la prise de rendez-vous afin qu’elles puissent en prendre connaissance préalablement.
Cette charte reprend les principes déontologiques (intégrés aux articles R. 4127-1 et suivants du code de la santé publique) fondant la relation de confiance entre médecin et patient, à savoir :
- l’information préalable,
- le recueil du consentement,
- le respect de l’intimité et de la dignité.
Ces principes sont adaptés à la spécificité de la prise en charge gynécologique et obstétricale.
Ces conseils pratiques, pour certains de bon sens, sont valables pour la consultation de gynécologie et d’obstétrique mais s’appliquent également à toutes les explorations d’imagerie gynécologique (échographies endovaginales, colposcopies, hystéroscopies, hystérographies,…), aux prises en charge par les sages-femmes et par les médecins généralistes…
Prendre en charge une patiente dans la dignité et le respect de son intimité est possible, la solution première étant de remettre le consentement de la patiente au cœur de la consultation.
L’indispensable information orale et préalable de la patiente
L’article R. 4127-35 du code de la santé publique prévoit que : "Le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension."
Une explication sur les objectifs et les modalités de l’examen clinique devra être donnée par le professionnel préalablement à la réalisation du geste.
Il pourra se faire aider de tout schéma ou planche anatomique.
Naturellement, cette information devra être adaptée à chaque patiente et le professionnel de santé devra vérifier la bonne compréhension de l’information délivrée.
Par ailleurs, au sein d’un cabinet comme au sein d’un établissement public ou privé de santé, une information devra également être délivrée dans l’hypothèse ou un interne serait susceptible d’assister à l’examen, voire de procéder à un geste médical. La patiente aura la possibilité de refuser sa présence ou la réalisation de l’acte.
L’indispensable recueil du consentement
L’article L. 1111-4 du code de la santé publique prévoit que "Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé."
Ce même article, en son alinéa 4, précise également qu’"aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment."
L’article R. 4127-36 du code de la santé publique précise que "le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas.
Lorsque le malade, en état d'exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences."
Il ressort de ce qui précède que l’accord oral de la femme devra être nécessairement recueilli avant tout examen clinique.
L’information n’a pour but que le recueil d’un consentement éclairé, de sorte que si la patiente refuse la réalisation de l’examen, il convient d’accepter ce choix tout en l’informant des éventuelles conséquences de ce refus, et le cas échéant en le traçant au dossier médical.
L’examen clinique dans le respect de l’intimité et de la dignité
L’article R. 4127-2 du code de la santé publique rappelle que : "le médecin, au service de l'individu et de la santé publique, exerce sa mission dans le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité."
Le Collège National des Gynécologues et obstétriciens français rappelle que : "l’examen peut comporter une palpation des seins, une palpation abdominale, un toucher vaginal avec gant ou doigtier, et l’usage de matériels médicaux tel qu’un spéculum ou une sonde endovaginale. Dans certains cas, le recours à un toucher rectal, après explications, peut être justifié."
L'examen clinique n’est pas systématique
L’examen clinique n’est donc pas systématique ni obligatoire, notamment lors d’une première consultation pour prescription de contraception ou pour une patiente mineure, en l’absence de symptôme, ou lorsque la patiente n’a jamais eu de rapport avec pénétration vaginale.
Un examen clinique respectueux de l’intimité de la patiente
Lorsque l’examen clinique est réalisé, la Charte précise que "la femme doit pouvoir se dévêtir à l’abri des regards, dans le respect de sa pudeur".
Les professionnels de santé étant de plus en plus attentifs à la question de l’intimité, les pratiques commencent à évoluer.
Un examen clinique en deux temps permet à la patiente de garder un vêtement (un chemisier le temps de procéder à l’examen vaginal avant la palpation mammaire, par exemple).
Un examen clinique qui peut être interrompu s’il est douloureux
Par ailleurs, la patiente pourra à tout moment demander à ce que l’examen clinique soit interrompu, notamment s’il est douloureux.
Dans cette hypothèse et tout comme pour le refus de soins, il conviendra, sans exercer de pression, de l’informer sur les conséquences éventuelles de la non réalisation de l’examen et proposer un nouveau rendez-vous.
Enfin, le Collège National évoque également la réalisation d’un toucher rectal "dans certains cas" dès lors que cet examen est réalisé dans des indications spécifiques et limitées en gynécologie (notamment dans le cadre de la recherche d’une atteinte endométriosique rectale).
Cet examen ne pourra être réalisé qu’après information et recueil du consentement, avec un gant et du lubrifiant.
L’examen clinique doit donc être circonscrit à ce qui est médicalement justifié et se doit d’être réalisé dans le respect de l’intimité et de la dignité de la patiente.
L’attitude correcte et attentive du professionnel de santé
L’article R. 4127-7 du code de la santé publique précise en outre que le médecin : "ne doit jamais se départir d'une attitude correcte et attentive envers la personne examinée."
Durant toute la consultation, le professionnel de santé devra être attentif au vocabulaire qu’il emploie et maintenir la distance nécessaire dans la relation médecin/patient, en évitant par exemple des termes familiers, ou de séduction, un tutoiement inutile…
A titre d’exemple, un médecin qualifié en radio diagnostic, pensant faire preuve d’humour afin de mettre à l’aise sa patiente de 26 ans, a été condamné à un avertissement en raison de propos déplacés à connotation sexuelle (CDPI d’Ile de France en date du 6 juillet 2022).
A retenir
- Le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes estimait, dans une étude sur cette problématique du 29 juin 2018, qu’une femme a, en moyenne, recours à 50 consultations gynécologiques et obstétricales au cours de sa vie.
- Les professionnels de santé poursuivis pénalement pour violences gynécologiques qualifiables d’agressions sexuelles ou de viol, sont heureusement peu nombreux et doivent faire l’objet, si l’infraction est constituée, de sanctions exemplaires.
- Les plaintes ordinales sont, quant à elles, plus fréquentes, et concernent des faits d’agression sexuelle mais plus couramment d’inconduites des praticiens (gestes ou paroles déplacés, discrimination …) qui pour la plupart pourraient être évitées.
- Si les professionnels de santé sont quotidiennement confrontés à des difficultés techniques, humaines ou organisationnelles dans leur exercice, ils ne doivent pas oublier d’être particulièrement attentifs et vigilants lors de ces consultations délicates.
- Il convient que les patientes soient assurées du respect de leur intimité mais également que les médecins puissent exercer sereinement leur art sans craindre la mise en œuvre de procédure.