Des céphalées dues à un hématome intracérébral lobaire
Dans les suites d’une infiltration épidurale lombaire, une patiente de 62 ans est victime le 7 janvier sur son lieu de travail d’un malaise s’accompagnant de nausées l’amenant à rentrer plus tôt chez elle.
Dès son retour, elle vomit à plusieurs reprises et commence à se plaindre de céphalées totalement inhabituelles. Elle décide donc de se faire conduire le même jour vers 13 h aux urgences de la clinique proche de son domicile.
Elle est alors prise en charge par un premier urgentiste notant la normalité de son examen, l’absence de syndrome méningé et décidant de sa sortie vers 18 h avec une prescription associant un antalgique et un antiémétique.
Les jours suivants, l’état de la patiente ne s’améliore pas, les céphalées, violentes, deviennent même insomniantes de telle sorte qu’elle finit par reconsulter aux urgences le 10 janvier. Après s’être assuré de la normalité de l’examen neurologique, le nouvel urgentiste consulté décide de son retour à domicile, évoquant "une migraine atypique nécessitant un scanner cérébral rapidement sans argument en faveur d’un syndrome post-PL".
La patiente ne sera finalement admise que le lendemain dans le même établissement pour cette fois une hémiplégie droite avec troubles du langage. Une IRM demandée en urgence retrouvera un hématome intracérébral lobaire occipito-pariétal gauche de 7 cm de grand axe associé à un œdème péri-lésionnel et une hémorragie intra-ventriculaire avec déplacement du septum intra-ventriculaire vers la droite.
La patiente sera transférée à l’unité neurovasculaire du CHU voisin où l’évacuation chirurgicale de cet hématome sera finalement récusée. Le bilan réalisé ne permettra pas de retrouver de lésions ou de malformations ou d’hypertension pouvant expliquer cet hématome.
Malgré la rééducation entreprise, la récupération sera très incomplète, la patiente hémiparétique présentant en outre des troubles cognitifs et une hémianopsie séquellaire.
Les conclusions de l'expert
L’expert neurologue missionné par le tribunal conclura à des soins non conformes de la part des deux urgentistes au motif qu’ils se devaient, devant ce tableau de céphalées inhabituelles s’accompagnant de vomissements, de demander une imagerie cérébrale en urgence qui aurait pu mettre en évidence d’emblée la présence d’un hématome intracérébral.
Le fait que le second urgentiste ait tout de même proposé la réalisation rapide d’un scanner cérébral ne modifiera pas l’avis de l’expert quant à sa responsabilité.
—
Pour autant, considérant que l’hématome intracérébral était constitué dès le 7 janvier, l’expert conclura que le retard de prise en charge en découlant n’est responsable d’aucune séquelle imputable, une prise en charge plus précoce ne pouvant modifier le pronostic fonctionnel de cette patiente.
Il retiendra pour seul préjudice en rapport un pretium doloris de 2,5/7 lié à ces 4 jours d’errance diagnostique.
Prise en charge des céphalées et recommandations
Ce cas concret nous amène à rappeler que les céphalées sont un motif relativement fréquent de consultation aux urgences (2 %) et souvent source de difficultés diagnostiques et de procédures médico-légales.
De nouvelles recommandations pour la prise en charge d’une céphalée en urgence ont été publiées en février 2018 par la SFEMC (Société Française d’Etude des Migraines et des Céphalées) et la SFN (Société Française de Neurologie) permettant d’aider le praticien dans sa démarche diagnostique.
Outre l’algorithme de prise en charge proposé(1), il y est rappelé que si 95 % des patients présentent une céphalée dite primaire bénigne, le rôle principal du médecin urgentiste est de repérer les céphalées potentiellement graves justifiant d’un éventuel traitement en urgence.
Pour ce faire, le médecin doit interroger le patient sur ses antécédents, ses traitements, le contexte de survenue (post-partum, immunosuppression, exposition à des toxiques, au CO…), les éventuels signes d’accompagnement et modalités d’installation de sa céphalée.
Ainsi, le médecin urgentiste devra déterminer si le patient consulte pour une céphalée brutale récente ou progressive récente (moins d’une semaine) ou paroxystique récurrente ou chronique quotidienne.
L’examen clinique doit systématiquement rechercher de la fièvre, une HTA, un trouble de la vigilance, un déficit neurologique focal, une pathologie de l’œil, des sinus, de l’oreille ou de la cavité buccale pouvant expliquer les céphalées. Ces éléments doivent selon nous être consignés dans le dossier de telle sorte qu’ils ne laissent planer aucun doute quant à leur recherche en cas de plainte.
Il faut également retenir que toute céphalée brutale ou inhabituelle ou s’accompagnant d’un déficit neurologique doit être considérée comme une céphalée secondaire jusqu’à preuve du contraire et impose la réalisation en urgence d’une imagerie cérébrale et d’un bilan biologique.
Enfin, l’efficacité du traitement antalgique administré aux urgences n’autorise pas le praticien à considérer ce type de céphalée comme potentiellement primaire.
En cas de céphalée brutale, la présence d’un des 6 critères d’OTTAWA (âge ≥ 40 ans / douleur ou raideur nucale / perte de connaissance constatée par un témoin / début durant un effort physique / céphalée en coup de tonnerre (Intensité > 7/10 en moins d’une minute) / limitation de la flexion nucale) impose des explorations à la recherche d’une hémorragie méningée chez les patients de plus de 15 ans présentant une céphalée sévère, non traumatique ayant atteint son intensité maximale en moins d’une heure. Ce du moins, en l’absence de déficit neurologique, d’antécédent d’anévrysme, d’hémorragie méningée, de tumeurs cérébrales ou de céphalées récurrentes.
Le bilan d’imagerie doit comporter au minimum un scanner cérébral (sans et avec injection) en cas de non obtention en urgence d’une IRM. La réalisation d’une angio-IRM est systématique afin d’explorer les réseaux artériels et veineux.
Enfin, un avis neurologique ou spécialisé (vasculaire, neurochirurgical) doit conclure la prise en charge de l’urgentiste, avis à propos duquel on ne peut que conseiller qu’il soit évidemment consigné mais également horodaté.
(1) Recommandations pour la prise en charge d’une céphalée en urgence French guidelines for the emergency management of headaches Xavier Moisset, Jérôme Mawet, Evelyne Guegan-Massardier, Eric Bozzolo, Vianney Gilard , Eléonore Tollard , Thierry Feraud, Bénédicte Noëlle, Claire Rondet , Anne Donnet. Douleurs 2018 ;19 :4-16.