Exemple pratique : l’histoire de Valentine, jeune diplômée qui débute une collaboration libérale au cabinet de Tristan, son confrère titulaire
En janvier 2023, Valentine, jeune chirurgien-dentiste diplômée, débute une collaboration libérale au sein du cabinet de son confrère Tristan.
Ce dernier a élaboré le plan de traitement d’une patiente, Madame D,. consistant en la pose d’un bridge après dévitalisation de 3 dents piliers de bridge 14 15 17. La patiente a signé le devis au nom de Tristan.
Sur les indications de ce dernier, Valentine exécute le plan de traitement, bien qu’elle aurait préféré remplacer la dent 16 par un implant et poser une couronne unitaire sur la dent 14, évitant ainsi la dévitalisation des dents 15 et 17. Mais malgré ses réticences et sans information supplémentaire de la patiente sur ces alternatives thérapeutiques, elle exécute le plan de traitement de Tristan et pose le bridge en avril 2023.
Rapidement, Madame D. se plaint de douleurs en regard des dents 17 et 14, et une complication infectieuse est radiologiquement diagnostiquée. Le bridge doit être déposé et des reprises des traitement endodontiques de 14 et 17 doivent être envisagées.
Tristan propose de reprendre en charge la patiente, dénigrant les soins prodigués par Valentine. Madame D. met en cause la responsabilité des deux praticiens et demande réparation de ses préjudices.
Existe-t-il un lien de subordination du collaborateur à l’égard du titulaire ?
Le chirurgien-dentiste collaborateur libéral n’a pas de lien de subordination vis-à-vis du chirurgien-dentiste titulaire du cabinet.
Le collaborateur libéral ou salarié est diplômé et a acquis une capacité et une compétence lors de sa formation initiale. Il est libre de ses prescriptions, qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance. Il doit limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité et à l’efficacité des soins.
Le titulaire du cabinet peut-il dicter un plan de traitement au collaborateur libéral ou salarié ?
Il est essentiel de ne prescrire avec discernement que dans le cadre de :
- sa capacité professionnelle, attestée par le diplôme,
- ses compétences, caractérisées par les savoirs faires et par la formation continue.
Certes, le droit de prescription concerne tous les actes de prévention, de diagnostic et de traitement dentaire que le praticien estime utiles, mais ce droit n’est pas absolu.
En effet, la prescription doit se faire dans le respect "de l’intérêt du patient".
Sauf circonstances exceptionnelles, le praticien ne doit pas effectuer des actes, donner des soins ou formuler des prescriptions dans les domaines qui dépassent sa compétence professionnelle ou les possibilités matérielles dont il dispose(2).
C’est dans ce contexte que le chirurgien-dentiste collaborateur doit prendre conscience des limites de son champ de compétence. Il doit savoir orienter vers le titulaire du cabinet ou tout autre correspondant en cas de prise en charge complexe, dans une spécialité pointue qu’il ne maitrise pas ou par un manque d’expérience.
Ces conseils et ce partage venant du titulaire doivent s’entendre de la part du collaborateur comme une opportunité, et non une coercition.
Au terme d’un échange, le collaborateur demeure maître de son diagnostic et de ses décisions thérapeutiques, dans la mesure où le diagnostic est juste et les options thérapeutiques indiquées.
Le titulaire du cabinet ne peut en aucun cas imposer un plan de traitement à son collaborateur.
Le titulaire veillera à ne pas dicter ses opinions, mais à interroger avec tact le rationnel des choix de son collaborateur, en pointant les difficultés et conséquences non anticipées par ce dernier. La solution alors verbalisée par le collaborateur n’en sera que mieux acceptée.
Le titulaire du cabinet peut-il prendre en charge des patients suivis par son collaborateur ?
Le chirurgien-dentiste titulaire du cabinet doit respecter son devoir de confraternité à l’égard du confrère collaborateur. Il ne doit donc pas dénigrer sa prise en charge, même si cette dernière s’avérait non conforme.
Dans le cadre de l’assistance morale que les chirurgiens-dentistes se doivent, le titulaire du cabinet peut prendre en charge un patient à la demande de ce dernier dans les cas suivants :
- si les soins dépassent son champ de compétence,
- si la relation praticien-patient est altérée,
- à la demande exclusive du patient qui souhaite changer de praticien.
Le titulaire du cabinet doit veiller à ne pas détourner la patientèle de son collaborateur(3).
En cas de litige, qui est responsable ?
Au titre de sa responsabilité pénale ou ordinale, chaque praticien est responsable de ses actes, qu’il exerce à titre libéral ou salarié.
Mais le mode d’exercice (salariat ou libéral) stipulé dans le contrat liant le titulaire et le collaborateur va être déterminant en termes d’engagement de la responsabilité civile.
Si le praticien exerce en qualité de collaborateur libéral
Il a alors établi un contrat de soins avec son patient. Il peut recevoir des conseils sur le plan technique mais il reste le "sachant" maître d’œuvre du plan de traitement.
Pour le bien de son patient, il doit savoir dire "NON" au titulaire du cabinet s’il existe une prise de risque défavorable. À la suite de ces échanges, si le plan de traitement est modifié, le collaborateur doit une information claire, loyale et appropriée à son patient.
De plus, si le changement a entrainé des modifications sur le plan financier, il est aussi dans l’obligation d’établir un nouveau devis. Le titulaire n’engage pas sa responsabilité s’il s’en tient à un simple rôle de conseil. En cas de manquement ayant entrainé un dommage imputable de façon certaine et directe, c’est l’assureur en responsabilité civile du collaborateur libéral qui indemnisera le patient.
Néanmoins, si le titulaire prend en charge le patient pour tout ou partie du plan de traitement, il établit un nouveau contrat de soin et peut engager sa responsabilité. Les deux praticiens pourront être coresponsables à parts égales ou un pourcentage de responsabilité de chacun sera déterminé par l’expert. L’indemnisation sera assurée par les assureurs en responsabilité civile professionnelle de chaque intervenant.
Dans le cas présenté, seule la responsabilité civile professionnelle de Valentine pourra être retenue car elle a validé le plan de traitement qui lui a été soumis, nonobstant une indication non recevable. Il lui appartenait de refuser de mettre en œuvre la solution proposée par Tristan ou, tout au moins, présenter à la patiente les alternatives thérapeutiques qui lui paraissaient davantage indiquées.
Si le praticien exerce en qualité de collaborateur salarié
Il noue toujours un contrat de soins avec son patient et reste libre de ses choix thérapeutiques et de ses prescriptions.
Mais qu’il ait établi seul son plan de traitement ou que ce dernier soit dicté par le titulaire du cabinet, en cas de litige, seule la responsabilité du titulaire du cabinet sera engagée en qualité d’employeur.
L’assureur en RCP du titulaire interviendra au titre de l’indemnisation, sauf à démontrer un dépassement par le collaborateur salarié du cadre de ses fonctions.
C’est pourquoi il est toujours recommandé au praticien salarié de souscrire son propre contrat responsabilité civile professionnelle.
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À retenir
La relation entre le titulaire du cabinet et son collaborateur libéral ou salarié n’est pas toujours un long fleuve tranquille.
Elle doit s’inscrire dans un climat de confiance et de confraternité.
Le collaborateur diplômé libéral ou salarié est libre de ses décisions thérapeutiques et, n’a pas à "faire valider" ses projets thérapeutiques et les soins prodigués. Néanmoins, le titulaire du cabinet, plus expérimenté, peut être un précieux conseil s’il constate l’établissement d’un diagnostic erroné ou d’un plan de traitement inadapté à la situation clinique.
Le conseil se fera dans un dialogue confraternel d’égal à égal, l’intérêt du patient devant être le fil conducteur de la démarche.