Un renforcement des pouvoirs de la MIVILUDES
Initialement créée par le décret n° 2002-1392 du 28 novembre 2002 pour remplacer la MILS (Mission Interministérielle de Lutte contre les Sectes), la MIVILUDES (Mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires) se voit conférer un statut législatif grâce à cette loi.
Ses nombreuses missions sont détaillées :
- réaliser l’observation et l’analyse des phénomènes de dérives sectaires et de leurs évolutions ;
- favoriser la coordination d’actions préventives et répressives des pouvoirs publics ;
- intégrer la sensibilisation des élèves dans les programmes de l’enseignement secondaire en partenariat avec le ministère de l’Éducation Nationale ;
- informer et former les agents publics, comme le public en général ;
- développer les échanges d’informations sur les pratiques administratives dans le domaine de la lutte contre les dérives sectaires ;
- faciliter la mise en œuvre de l’aide aux victimes ;
- participer aux travaux menés par le Gouvernement au niveau international.
La MIVILUDES est tenue de rendre un rapport annuel d’activité au Premier ministre. Il est également rappelé sa compétence nationale.
Le second article de la loi devait élargir les compétences des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance en matière de prévention contre les dérives sectaires. Pour des raisons de forme, au titre du cavalier législatif - donc de l’introduction irrégulière de cet article dans la loi -, le juge constitutionnel a déclaré cette disposition contraire à la constitution et l’a donc écartée.
Un renforcement du dispositif pénal
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Abus de faiblesse et de sujétion psychologique
Création d’un délit d’abus de faiblesse et de sujétion psychologique, inséré à l’article 223-15-3 du Code pénal.
Il est également prévu une nouvelle circonstance aggravante d’utilisation d’un service de communication en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique, tant pour l’abus de faiblesse (article 223-15-2 du Code pénal) que pour le placement dans un état de sujétion psychologique (article 225-15-3 du même code).
Introduction de la notion d’abus de faiblesse et du délit de sujétion dans la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, afin de contraindre les fournisseurs de services d’hébergement à participer à la lutte contre la diffusion de contenus constituant notamment ce nouveau délit prévu à l’article 223-15-3 du Code pénal, sous peine d’une sanction d’un an d’emprisonnement et de 250 000 euros d’amende.
Abus de faiblesse et de sujétion psychologique sur personne mineure
Allongement des délais de prescription du délit d’abus de faiblesse et de sujétion de 6 à 10 ans lorsque la victime est mineure au moment des faits.
Meurtres, violences, escroquerie...
Circonstance aggravante en cas de connaissance de l’état de sujétion pour les infractions suivantes : meurtre, actes de torture et de barbarie, violences et escroquerie.
Thérapie de conversion
Deux nouvelles circonstances aggravantes en cas de thérapie de conversion (pratiques, comportement ou propos répétés ayant pour objectif de modifier ou de réprimer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne) : la connaissance de l’état de sujétion psychologique ou physique et commission de l’infraction par le dirigeant d’un groupement dont le but est de créer ou d’exploiter la sujétion physique ou psychologique de ses membres (c’est-à-dire le "gourou" d’un organisme sectaire).
Ces circonstances aggravantes augmentent à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende la sanction initialement prévue pour cette infraction (2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros).
La sanction de cette infraction est encore aggravée (5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende encourus) lorsque les faits sont commis en bande organisée par les membres d’un groupement dont le but est de créer, maintenir ou exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités.
Privation d'aliment & délit de soustraction des parents
Alourdissement de la sanction encourue pour le délit de privation d’aliment (article 227-15 du Code pénal) et pour le délit de soustraction par les parents à leurs obligations au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation d’un enfant mineur (article 227-17 du même code) lorsque leur auteur s’est également rendu coupable du délit de défaut de déclaration d’un enfant à l’état civil (article 433-18-1 du Code pénal).
Avantages fiscaux
Interdiction faite aux organismes qui auraient été condamnés pour abus de l’état de sujétion psychologique de bénéficier des avantages fiscaux liés aux dons qui leur sont faits.
Ainsi, les contribuables qui font des dons à des associations ayant été condamnées pour de telles pratiques sectaires ne bénéficieront plus de la déductibilité d’une partie de leurs dons et legs.
Un renforcement de la prévention des dérives sectaires
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Intervention d’associations dans la lutte contre les dérives sectaires
Élargissement des catégories d’associations susceptibles d’intervenir dans la lutte contre les dérives sectaires, notamment en leur permettant de se constituer partie civile, par la modification des articles 2-6 et 2-17 du Code de procédure pénale et en simplifiant la procédure d’agrément des associations de défense des victimes.
Plus de nécessité d’obtenir le consentement de la victime pour qu’une association de lutte contre les discriminations puisse exercer ses droits en cas d’atteintes volontaires à la personne, de destruction ou de dégradation pour des motifs discriminatoires, lorsque son état de sujétion psychologique ou physique était connu de l’auteur des faits.
Exercice illégal des professions médicales et paramédicales
Renforcement des sanctions encourues pour les délits d’exercice illégal des professions de médecin, chirurgien-dentiste, de la pharmacie, de la profession d’infirmière, de masseur-kinésithérapeute et de biologie médicale lorsque l’infraction a été commise par "l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique".
La même circonstance aggravante est prévue également pour les pratiques commerciales trompeuses prévues à l’article L132-2 du Code de la consommation.
Abandon de soins & pratiques faussement thérapeutiques
Création (controversée) de deux nouveaux délits : provocation à l’abandon de soins et provocation à l’adoption de pratiques présentées comme faussement thérapeutiques, à l’article 223-1-2 du Code pénal.
Selon l’analyse du Conseil constitutionnel, ces deux nouvelles infractions visent des agissements ciblant des personnes atteintes de pathologies déterminées. Elles ne pourront être retenues que si leur auteur a conscience du fait que l’abandon ou l’abstention aux soins, au regard des données médicales, serait manifestement susceptible d’entraîner des conséquences graves pour la victime au regard de la pathologie dont elle est atteinte.
Ne sont donc pas visées les personnes qui communiqueraient de manière générale, à destination d’un public indéterminé, des informations tenant à l’abandon ou l’abstention d’un traitement médical.
Dérogation au secret médical
Enfin, modification de l’article 226-14 du Code pénal prévoyant les dérogations au secret médical en insérant un 2° bis :
"Au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui, avec l'accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République des informations relatives à des faits de placement, de maintien ou d'abus frauduleux d'une personne dans un état de sujétion psychologique ou physique, au sens de l'article 223-15-3 du présent code, lorsqu'il estime en conscience que cette sujétion a pour effet de causer une altération grave de sa santé physique ou mentale ou de conduire cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables.
Lorsque la victime est un mineur ou une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n'est pas nécessaire.
En cas d'impossibilité d'obtenir l'accord de la victime, le médecin ou le professionnel de santé doit l'informer du signalement fait au procureur de la République."
Information des Ordres professionnels
Renforcement de l’obligation du ministère public d’informer les Ordres professionnels, sans délai, des condamnations et des placements sous contrôle judiciaire prononcés à l’encontre d’un de leurs membres, au titre de l’une des infractions mentionnées à l’article 2-17 du Code de procédure pénale ("infractions contre l'espèce humaine, atteintes volontaires ou involontaires à la vie ou à l'intégrité physique ou psychique de la personne, mise en danger de la personne, atteinte aux libertés de la personne, atteinte à la dignité de la personne, atteinte à la personnalité, mise en péril des mineurs ou atteintes aux biens, infractions d'exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie, infractions de publicité mensongère, de fraudes ou de falsifications").
Sollicitation de l’avis de tout service de l’État
Création de l’article 157-3 du Code de procédure pénale, permettant au ministère public ou à la juridiction saisie d’une infraction de sujétion psychologique ou physique ou comprenant cette circonstance aggravante, de solliciter l’avis de tout service de l’État, figurant sur une liste établie par arrêté conjoint du ministre de la Justice, du ministre de l’intérieur et des ministres chargés de la santé et de la cohésion sociale, afin d’obtenir des éléments propres à faciliter son information (éléments soumis au débat contradictoire entre les parties).
En conclusion
La lutte contre les dérives sectaires se voit donc renforcée, avec :
- Des pouvoirs élargis de la MIVILUDES, sur le plan répressif comme préventif, notamment grâce à un spectre plus large de qualifications pénales possibles.
- Un meilleur accompagnement des victimes, non plus seulement par l’UNADFI (Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes) ou des associations reconnues d’utilité publique, mais également par des associations de défense de victimes agréées par l’État.
Toutefois, le Conseil d’État a rendu un avis mitigé sur le projet de loi lorsque celui-ci lui a été soumis, rappelant la grande hétérogénéité des menaces et agissements visés, "dont la plupart de ceux qui émergent ne se réfèrent plus à des croyances ou des idéologies et tirent une large part de leur dangerosité du recours aux réseaux sociaux".
S’il a soutenu la mise en œuvre des dispositifs pénaux pour lutter contre la sujétion, son avis s’est avéré plus mitigé concernant la provocation à l’abandon des soins ou à l’adoption de pratiques décrites comme faussement thérapeutiques.
En effet, il a considéré que des infractions déjà existantes permettaient la sanction de tels agissements (tant pénales qu’ordinales).
Il a également rappelé que ces textes ne devaient pas porter atteinte à la liberté des débats scientifiques et au rôle des lanceurs d’alerte.
Le dernier article de la loi prévoit l’obligation pour le Gouvernement de remettre un rapport au Parlement, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la loi. Ce rapport doit porter sur la mise en œuvre de cette loi dans le domaine de la santé mentale, mais également sur l’utilisation des titres professionnels par des personnes exerçant des pratiques de santé non réglementées (notamment l’effet de l’utilisation de ces titres sur les dérives thérapeutiques à caractère sectaire, sur la protection des patients et sur l’intégrité des professions médicales).
Il convient donc désormais d’apprécier l’usage qui sera fait de ces nouvelles dispositions pénales et procédurales et d’espérer leur efficacité dans la lutte contre les dérives sectaires.