Un principe et une exception
L'article R4127-7 CSP pose un principe général de non-discrimination :
"Le médecin doit écouter, conseiller ou soigner avec la même conscience toutes les personnes, quels que soient leur origine, leurs mœurs et leur situation de famille, leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée, leur handicap et leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu'il peut éprouver à leur égard".
Mais le fait de ne pas "faire de différence" entre ses patients dans la prise en charge, pour les motifs cités dans cet article, ne l'empêche pas de refuser des soins.
En effet, l'article R4127-47 CSP précise que :
"Quelles que soient les circonstances, la continuité des soins aux malades doit être assurée. Hors le cas d'urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d'humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles. S'il se dégage de sa mission, il doit alors en avertir le patient et transmettre au médecin désigné par celui-ci les informations utiles à la poursuite des soins".
Ces 2 articles, issus du Code de déontologie médicale, ont été complétés lors de l'adoption de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 par l'article L1110-3 CSP, qui énonce que :
"Aucune personne ne peut faire l'objet de discriminations dans l'accès à la prévention ou aux soins. Un professionnel de santé ne peut refuser de soigner une personne pour l'un des motifs visés au premier alinéa de l'article 225-1 du Code pénal ou au motif qu'elle est bénéficiaire de la protection complémentaire ou du droit à l'aide prévus aux articles L. 861-1 et L. 863-1 du Code de la Sécurité sociale, ou du droit à l'aide prévue à l'article L. 251-1 du Code de l'action sociale et des familles. (…). Hors le cas d'urgence et celui où le professionnel de santé manquerait à ses devoirs d'humanité, le principe énoncé au premier alinéa du présent article ne fait pas obstacle à un refus de soins fondé sur une exigence personnelle ou professionnelle essentielle et déterminante de la qualité, de la sécurité ou de l'efficacité des soins. La continuité des soins doit être assurée quelles que soient les circonstances, dans les conditions prévues par l'article L. 6315-1 du présent code".
Ces 3 articles combinés permettent d'esquisser les contours du refus de soins
- Il ne peut être fondé sur des motifs discriminatoires.
- Il n'est pas possible en cas d'urgence.
- Il doit être justifié par des exigences essentielles et déterminantes de la qualité, de la sécurité et de l'efficacité des soins.
- Il impose une information du patient.
- La continuité des soins doit impérativement être assurée.
Pour autant, les "raisons professionnelles ou personnelles" du médecin peuvent recouvrir des situations très diverses, et la frontière peut être difficile à tracer entre les refus justifiés, et ceux qui ne le sont pas.
Les refus de soins illicites
L'article L1110-3 CSP donne les caractéristiques des refus de soins illicites.
Il s'agit tout d'abord des motifs visés à l'article 225-1 du Code pénal (CP).
Cet article rappelle que :
"Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée".
Bien que n'étant pas expressément visé par ce texte, le refus de soins fondé sur la condition sociale des patients (parfois pratiqué par certains praticiens désirant conserver une patientèle "haut de gamme") serait vraisemblablement considéré comme discriminatoire.
De même, un médecin ne peut-il refuser de donner des soins à une personne détenue, pour ce seul motif.
Il s'agit ensuite des motifs de refus fondés sur le bénéfice par le patient de protections complémentaires, de type notamment couverture médicale universelle (CMU) ou aide médicale d'Etat (AME).
Des testings réalisés sur l'ensemble du territoire français avaient en effet soulevé la question du lien entre le bénéfice de ces protections et certains refus de soins, parfois partiels car consistant à limiter l'accès au cabinet à certaines heures, ou selon des modalités différentes (sans rendez-vous, par exemple).
Il peut aussi s'agir de refus de soins "implicites"
Dans ce cas, le praticien ne refuse pas à proprement parler de prendre en charge le malade, mais il manifeste son refus de façon détournée, par une manière différente de soigner : soins moins consciencieux, pratique systématique de dépassements d'honoraires, réception du malade au cabinet dans des conditions différentes, abstention volontaire de prescrire certains traitements, refus d'orienter le malade vers un confrère spécialiste, multiplication des formalités administratives pour dissuader le patient d'engager certaines démarches de soins, etc.
Dès lors que le caractère discriminatoire est établi, ces "raisons personnelles ou professionnelles" ne peuvent être considérées comme licites.
Le cas de l'urgence médicale
Enfin, tout refus de soins formulé dans le cadre d'une urgence sera de facto considéré comme étant illicite.
L'urgence est en effet le seul cas dans lequel le médecin ne peut pas opposer un refus de soins, quels qu'en soient les motifs, et même si ceux-ci sont tout à fait licites et non-discriminatoires.
Dès lors que le médecin est informé de l'urgence et peut intervenir, sans risque pour lui, il a l'obligation de prendre le patient en charge.
Il est à noter qu’un décret n° 2016-1009 du 21 juillet 2016 relatif aux modalités d'évaluation des pratiques de refus de soins a institué une commission chargée d’évaluer les pratiques de refus de soins auprès de chaque Conseil de l’Ordre des professions concernées.
Les refus de soins licites
La légitimité de certains refus de soins ne fait pas de doute :
- Un médecin qui n'est pas compétent dans le domaine pour lequel le patient le sollicite se doit de refuser sa demande.
- De même, lorsqu'il lui semble que les soins sont injustifiés ou font courir un risque trop important au regard du bénéfice escompté.
- Enfin, il est évident que le fait pour un médecin de refuser de prescrire tel ou tel type de médicament à la demande de son patient ne s'apparente pas à un refus de soins.
Le médecin peut également refuser des soins au nom de sa clause de conscience.
Par exemple, en matière d'IVG, l'article L2212-8 CSP énonce :
"Un médecin n'est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse mais il doit informer, sans délai, l'intéressée de son refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens susceptibles de réaliser cette intervention selon les modalités prévues à l'article L. 2212-2.".
Le refus n'a pas à être motivé et est légitime, dès lors que le médecin informe la patiente de sa décision et l'oriente vers un confrère.
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Une autre raison fréquente pour justifier d'un refus de soins - ou plus généralement d'un refus de poursuivre une prise en charge déjà existante - est la dégradation des relations entre le praticien et le malade, ou la perte de confiance réciproque.
Il est difficile pour un médecin de continuer à prendre en charge un patient qui lui manifeste de l'agressivité, refuse de suivre ses prescriptions ou encore qui l'a assigné en justice !
Dans ces conditions, le refus de prise en charge est justifié par la perte de la nécessaire confiance dans la relation de soins, mais le médecin doit prendre alors certaines précautions :
- il doit informer explicitement son patient de sa décision de cesser la poursuite des soins ;
- et l'orienter vers un autre praticien.
En effet, il ne peut être question de laisser le patient livré à lui-même. Cette obligation est d'autant plus forte lorsque le patient vit dans une zone où les médecins, du moins dans certaines spécialités, manquent.
Au total, les motivations pour refuser des soins pour des raisons "personnelles ou professionnelles" peuvent être variées, et elles ne sont pas critiquables dès lors qu'une solution de suivi médical est proposée au patient.
Les refus de soins "limite"
L'insécurité
Il devient courant que les médecins, et plus généralement les professionnels de santé, refusent de se déplacer dans des zones, souvent urbaines, où règnent l'insécurité et la violence.
Si la crainte pour sa propre sécurité peut évidemment se comprendre, ce refus remet en cause l'accès aux soins des personnes qui vivent dans ces zones.
Il n'est pas évident qu'un refus de soins fondé sur ce type de motif soit considéré comme licite, car il pourrait s'apparenter à une forme de discrimination. Tout sera question de circonstances.
Le "surbooking"
Dans certains cas, le médecin refuse la prise en charge par manque de disponibilité, ayant déjà une patientèle qui ne lui permet pas d'"absorber" davantage de patients.
Dès lors que ce refus n'est pas fondé sur des motifs discriminatoires (par exemple, le fait qu'il bénéficie de la CMU ou son appartenance à une ethnie particulière), il pourrait être considéré comme licite, dès lors qu'il est accompagné, là encore, d'explications et d'une orientation vers un confrère.
Mais ce type de refus doit être manié avec prudence : il est certes justifié par la volonté de maintenir une sécurité et une efficacité des soins en consacrant un temps suffisant à chaque patient mais, dans certaines régions, il est difficile pour le patient de désigner un médecin traitant, voire de trouver un médecin dans certaines spécialités.
Il peut alors exister un risque de discrimination.
Un leitmotiv : ne jamais abandonner le patient !
L'accès à la prévention et aux soins médicaux ne peut faire l'objet d'aucune discrimination.
Si le médecin conserve une liberté de refuser des soins, un tel refus ne se conçoit que de façon restrictive et strictement encadrée.
Le refus ne doit jamais être abruptement annoncé au patient, et des solutions doivent toujours être trouvées pour assurer la continuité des soins.