Une communication toujours très encadrée
Le principe essentiel sur lequel se fonde le Conseil de l’Ordre des médecins pour encadrer la communication des professionnels de santé se trouve à l’article 19 du Code de déontologie médicale (article R.4127-19 du code de la santé publique - CSP) qui dispose que "la médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce".
La santé n’est pas un bien marchand.
De fait, l’article R.4127-19-1 du Code de la santé publique (CSP) encadre la communication ouverte aux professionnels de santé :
I. Le médecin est libre de communiquer au public, par tout moyen, y compris sur un site internet, des informations de nature à contribuer au libre choix du praticien par le patient, relatives notamment à ses compétences et pratiques professionnelles, à son parcours professionnel et aux conditions de son exercice.
Cette communication respecte les dispositions en vigueur et les obligations déontologiques définies par la présente section. Elle est loyale et honnête, ne fait pas appel à des témoignages de tiers, ne repose pas sur des comparaisons avec d'autres médecins ou établissements et n'incite pas à un recours inutile à des actes de prévention ou de soins. Elle ne porte pas atteinte à la dignité de la profession et n'induit pas le public en erreur.
II. Le médecin peut également, par tout moyen, y compris sur un site internet, communiquer au public ou à des professionnels de santé, à des fins éducatives ou sanitaires, des informations scientifiquement étayées sur des questions relatives à sa discipline ou à des enjeux de santé publique. Il formule ces informations avec prudence et mesure, en respectant les obligations déontologiques, et se garde de présenter comme des données acquises des hypothèses non encore confirmées (...).
En outre, dans un souci de transparence et afin d’éviter toutes dérives commerciales, l’article R.4127-53 du CSP prévoit désormais que :
"Le médecin qui présente son activité au public, notamment sur un site internet, doit y inclure une information sur les honoraires pratiqués, les modes de paiement acceptés et les obligations posées par la loi pour permettre l'accès de toute personne à la prévention ou aux soins sans discrimination. L'information doit être claire, honnête, précise et non comparative".
Il ressort de ce qui précède que le médecin ne peut communiquer au public que :
- des informations permettant le libre choix du praticien par le patient (compétences et pratiques professionnelles et honoraires) ;
- des informations à des fins éducatives ou sanitaires, scientifiquement étayées.
La difficulté ici est que la communication du chirurgien esthétique et l’information qu’il va délivrer sur sa pratique sont par nature particulières dès lors que les actes qu’il propose ne sont pas dictés par une nécessité médicale.
Il en est de même pour le médecin qui pratique de la médecine esthétique (étant précisé que la médecine esthétique n’est pas une spécialité reconnue par le Conseil national de l’Ordre des médecins).
Le Code de déontologie médicale et la jurisprudence récente de la Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins nous permettent d’avoir un éclairage sur ce qu’il est possible de faire ou non, selon le support de communication choisi par le professionnel de santé.
Toutes les décisions citées dans cet article sont accessibles sur le site du Conseil National de l’Ordre des médecins dans la base de jurisprudence.
Le professionnel de santé et Internet
Les réseaux sociaux (Facebook et Instagram notamment) sont désormais des outils de communication des professionnels de santé, notamment en médecine et chirurgie esthétiques. Ils viennent compléter, voire supplanter, les sites Internet.
Le Conseil de l’Ordre des médecins ne délivre aucun agrément ni label aux sites Internet professionnels des praticiens.
Il a toutefois publié un livre blanc de 48 pages en décembre 2011, intitulé "Déontologie médicale sur le Web" et une "Charte de conformité déontologique applicable aux sites web professionnels des médecins" le 30 janvier 2014.
En septembre 2016, le Conseil national de l’Ordre des médecins, conscient de l’évolution rapide des mentalités, publiait également "Le médecin dans la société de l’information et de la communication : Information, Communication, Réputation Numérique et Publicité. Réflexions sur la déontologie médicale".
En septembre 2018, le Conseil national de l’Ordre a également publié un guide pratique "Préserver sa réputation numérique" au terme duquel des conseils sont délivrés, notamment afin de lutter contre les avis Google négatifs de patients...
Le Code de la santé publique prévoit des interdits clairs
Le Code de déontologie médicale apporte sur certains points des réponses indiscutables :
Le référencement numérique prioritaire
Le référencement numérique prioritaire (permettant aux praticiens de faire afficher sur les pages de résultats leur nom à un rang privilégié) est expressément interdit au terme du code de déontologie médicale (article R. 4127-80 du CSP), venant confirmer la position ancienne du Conseil d’Etat (CE, 13 février 2009, n°317637).
L’usage de titres non autorisés
L’usage de titres non autorisés par le Conseil national ainsi que tous les procédés destinés à tromper le public sur la valeur de ses titres, sont prohibés par l’article R4127-30-1 du CSP.
Dès lors, l’utilisation du titre "médecine esthétique", qui n’est pas une spécialité reconnue par le Conseil national, a pu être reprochée au professionnel de santé qui s’en prévalait.
À titre d’exemples
- Un médecin avait été condamné pour avoir maintenu la mention "médecin esthétique et anti-âge" sur la plaque apposée sur son nouveau lieu d’exercice (CDN 25 octobre 2019, n° 13419). Une telle argumentation pourrait être retenue dans le cadre d’un site Internet.
- Le Conseil national de l’Ordre a également pu retenir, pour entrer en voie de condamnation, que "Si le Dr A est titulaire d’un diplôme universitaire de gériatrie et gérontologie médicosociale, sa qualification est celle de médecin généraliste et non de gérontologue ou de dermatologue. Il ne pouvait donc se présenter ni comme gérontologue sur son site internet, ni comme dermatologue sur le site www.zestetik.fr qui est un service de mise en relation entre patients et professionnels, ni comme spécialiste en chirurgie plastique reconstructrice et esthétique sur le site www.estheticon.fr, qui, selon ce dernier, est un portail sur lesquels les médecins peuvent s’inscrire afin de publier leur profil, développer leur notoriété, élargir et diversifier leur clientèle." (CDN 7 avril 2023, n° 14663 bis).
- Voir également CDN, 22 mai 2023, n° 15152.
L'usage du nom et de la qualité du médecin
Enfin, et conformément à l’article R.4127-20 du CSP, le médecin ne doit pas tolérer que les organismes, publics ou privés, où il exerce ou auxquels il prête son concours utilisent à des fins commerciales son nom ou son activité professionnelle.
Si le Code de déontologie liste des interdits clairs, la jurisprudence souvent sévère de la Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins nous apporte des réponses également concrètes.
La jurisprudence impose ne pas faire l’éloge de son cabinet !
Le site internet doit être informatif.
Il est seulement possible de faire état de ses compétences et pratiques professionnelles, de son parcours professionnel et des conditions de son exercice.
En revanche, les mentions excessives telles que "un dermatologue de renommée internationale" ou encore un "médecin esthétique reconnu mondialement (...), considéré comme le meilleur médecin esthétique à Paris" ne doivent pas être utilisées.
La présence sur le site Internet d’un classement du cabinet du professionnel de santé "parmi les vingt meilleurs centres de traitement en qualité et en nombre de traitements" est également constitutive d’une faute déontologique (CDN, 12 juillet 2019, n° 12613).
De la même manière, les témoignages de patients doivent être bannis, même si ces derniers ont donné leur autorisation écrite préalable (CDN, 22 mai 2023, 15152).
Le Conseil national de l’Ordre considère que de telles mentions ont la nature de procédés de publicité commerciale portant atteinte à la dignité de la profession de médecin, à la confiance des malades ainsi qu’à la confraternité entre praticiens.
La jurisprudence réservée sur les photographies avant/après
Il n’est pas possible ici de faire une analyse exhaustive sur ce qui peut être présent ou non sur un site Internet et sur les réseaux sociaux.
Nombre de chirurgiens plasticiens utilisent, comme outil d’information, des photographies de patients avant/après intervention, avec leur accord écrit préalable et naturellement anonymisées (floutées ou avec bandeau sur les yeux par exemple).
Si les photographies n’étaient pas floutées et/ou étaient accompagnées de l’identité du patient (directement ou par le renvoi à son profil Facebook ou Instagram), le professionnel de santé pourrait voir sa responsabilité engagée pour violation du secret professionnel (article R. 4127-4 du CSP).
"Un floutage particulièrement léger qui n’empêche pas d’identifier ces personnes" n’est naturellement pas suffisant pour exonérer le chirurgien de son manquement au secret professionnel (CDN 10 juin 2021, n°14266).
Le Conseil de l’Ordre n’est généralement pas favorable à l’utilisation de telles photographies, surtout quand elles sont utilisées dans des sites à caractère publicitaire, afin de promouvoir les prestations proposées.
En effet, la Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins cite souvent dans la motivation de ses décisions l’existence de photographies avant/après comme étant un procédé de publicité. Il s’agit généralement d’un indice parmi d’autres du caractère non déontologique de la communication.
À titre d'exemples
- Un médecin généraliste, propriétaire de deux sites Internet renvoyant tous deux sur la page du centre "X- Liposuccion et chirurgie esthétique", a été condamné à un an d’interdiction d’exercice de la médecine en raison de sa communication agressive.
La Chambre disciplinaire nationale rappelle que ce centre, situé à l'adresse professionnelle du médecin, offrait des prestations de chirurgie et de médecine esthétiques. Il était fait mention sur cette page des avantages des techniques utilisées. En outre, des photographies avant/après les interventions étaient présentes sur le site (CDN 19 janvier 2022, n° 14238). - Dans une autre affaire récente et postérieure à la modification du Code de déontologie, la Chambre disciplinaire nationale retient que : "Il ressort de la consultation du site Internet ainsi que des sites Doctolib ou Youtube, dont des extraits sont produits au dossier, que le Dr A y propose divers traitements dont elle vante l’efficacité à l’aide de vidéos, de photographies avant/après et de témoignages de patients, tous satisfaits de ses soins. Le Dr A s’y qualifie de "médecin esthétique à Paris" alors qu’elle n’a d’autre qualification ordinale que celle de médecin généraliste et que la médecine esthétique n’est pas une spécialité reconnue par le Conseil national de l’Ordre des médecins. Elle y fait état de ses différents diplômes universitaires (...) qui, au surplus, ne font pas partie des diplômes et titres reconnus par le Conseil national de l’Ordre des médecins.
Les procédés de publicité utilisés de façon massive par le Dr A ne se limitent pas à un contenu objectif et à une bonne information des patients. Ils visent à assurer sa promotion personnelle en faisant usage de qualifications et de diplômes non reconnus par le Conseil national de l’Ordre des médecins et caractérisent une pratique commerciale de la médecine".
La sanction de l’interdiction d’exercer la médecine pendant une durée de six mois, dont trois avec sursis, a été prononcée contre le médecin (CDN, 22 mai 2023, n° 15152).
Cet exemple jurisprudentiel peut sembler caricatural, tant le médecin a multiplié les manquements à ses obligations...
La situation est parfois plus complexe pour les professionnels de santé qui doivent valider tout ce qui est publié en leur nom.
En effet, l’article R4127-20 du CSP prévoit que : "Le médecin doit veiller à l'usage qui est fait de son nom, de sa qualité ou de ses déclarations".
Le professionnel de santé et les médias
À titre d’exemple
Un médecin a été condamné sévèrement à un an d’interdiction d’exercer, dont 6 mois avec sursis, pour pratique commerciale de la médecine parce qu’il :
- avait prêté son concours à des articles publiés dans des quotidiens gratuits, Métro et 20 minutes et au Figaro Magazine, vantant les mérites de la chirurgie réfractive de l’œil pratiquée au moyen du laser Femto-seconde, et dans lesquels apparaissait son nom ;
- avait donné des interviews diffusées en boucle sur la chaine de télévision locale ;
- faisait état de promotions commerciales sur son site Internet : "Cadeau de Noël" : "Jusqu’au 31 Décembre 2008, offrez-vous une nouvelle vue pour Noël. L’opération par Photokératectomie réfractive (PKR) à seulement 700 euros par œil. Alors n’attendez plus et prenez dès aujourd’hui un rendez-vous pour une consultation" ;
- disposait d’une flottille de 4 véhicules Smart circulant dans l’agglomération de Lyon, avec, sur les portières et le capot, l'indication du centre, de son adresse, de son numéro de téléphone, et de son site internet suivis de : "Myope, Astigmate, Hypermétrope, Presbyte, Faites-vous opérer !". (CDN, 16 février 2012, n° 11060).
Dès lors, l’absence de droit de regard sur une publication, parue sans relecture ni validation, est un argument inopérant, sauf à pouvoir en rapporter la preuve.
À titre d'exemple
Un chirurgien plasticien a été condamné à un avertissement, car à l’initiative de la publication d’un article présentant "très favorablement" la technique du lipomodelage dans un journal d’actualité nationale et régionale.
Dans cet article, le professionnel de santé ne faisait état ni des interrogations pouvant être portées sur la technique, ni des précautions qu’elle appelle.
En outre, aucun élément ne permet d’établir que le chirurgien n’aurait pas été à même d’obtenir une communication préalable du texte de l’article et d’exercer un droit de rectification (CDN, 11 juillet 2019, n° 13791).
Enfin, l’information médicale doit concerner des techniques validées et ne doit pas induire le public en erreur.
À titre d’exemple
Un chirurgien ORL a été condamné à un mois d’interdiction d’exercer avec sursis.
Il avait prêté son concours à la rédaction d’un article valorisant significativement la pratique nouvelle de la radiofréquence pour soigner les nodules thyroïdiens, alors qu’elle ne constitue pas une technique validée, ni par la Haute autorité de santé, ni par l’Assurance maladie qui n’assure aucun remboursement pour les interventions qui y ont recours (CDN, 17 juin 2019, n° 13480).
Que retenir ?
- L’assouplissement réglementaire instauré par le décret du 22 décembre 2020 n’a pas mis un terme au contentieux ordinal en matière de publicité. Il ne donne pas non plus de blanc-seing aux médecins pour communiquer comme ils le souhaitent sur leurs pratiques professionnelles.
- Les professionnels de santé devront donc être particulièrement attentifs au contenu de leur communication (qu’ils en soient directement ou indirectement à l’origine) mais également à la forme de cette dernière, puisqu’ils devront utiliser un style et un vocabulaire modérés.
- Les sanctions restent sévères, la Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre n’hésitant pas à prononcer des interdictions temporaires d’exercer (avec ou sans sursis) à l’encontre des médecins.
Crédit photo : BRUNO / IMAGE POINT FR / BSIP