Un ami pris en charge pour troubles du sommeil et mal-être
Il n’est pas toujours aisé de refuser d’examiner, de soigner ou de prescrire un médicament à un ami ou un proche. Le médecin peut difficilement imaginer que cela peut se retourner contre lui.
Pourtant, à la MACSF, les juristes ont parfois à traiter des réclamations ou plaintes contre des médecins qui ont pris en charge des amis ou des proches. Certaines de ces plaintes sont formulées par la famille parce que le patient est décédé. C’est le cas dans l’affaire que la Cour d’appel de Bordeaux a eu à examiner en juin 2024.
Il s’agit d’un homme séparé depuis peu de son épouse et mère de ses trois enfants. Développant des troubles du sommeil, il sollicite de l’aide auprès de son ami, médecin. Ce dernier refuse d’abord d’intervenir et lui conseille de consulter un confrère, avant de finalement accepter un mois plus tard, sur insistance de son ami.
Il lui prescrit un somnifère, devant l’absence d’autres troubles. Un mois plus tard, son ami revient à son cabinet et lui fait part de la persistance de ses troubles et de son mal-être. Le médecin décide de lui prescrire de nouveau un somnifère et de l’associer à un anti-dépresseur, diagnostiquant une dépression “majeure”. En parallèle, il lui recommande de consulter rapidement un psychiatre.
Deux jours après cette consultation, son ami met fin à ses jours.
La qualité d’ami ou de proche n’annule pas le risque de procédure judiciaire
La famille forme une plainte ordinale puis une plainte civile contre le médecin, lui reprochant :
- de ne pas avoir assuré un suivi correct de son ami,
- d’avoir sous-estimé le risque de passage à l’acte,
- de ne pas avoir tenu de dossier médical.
La plainte ordinale, formée au cours de l’année 2014, donne lieu à une décision de la chambre disciplinaire de première instance en 2016. La famille a assigné le médecin en 2018, et le tribunal judiciaire a rendu sa décision en 2021. Celle-ci étant contestée par la famille, un appel est formé, aboutissant à la décision de la Cour d’appel de Bordeaux.
Il s’est donc écoulé dix ans entre la première plainte et la dernière décision.
Ainsi, bien que le médecin ait entretenu des relations amicales avec le défunt, cela ne l’a pas empêché de subir dix années de procédures !
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Sur le plan disciplinaire : des fautes déontologiques
Le Conseil régional de l‘Ordre a rappelé les dispositions réglementaires qu’un médecin doit respecter en toutes circonstances.
Le médecin est notamment tenu, aux termes des articles R 4127-33 et 45 du code de la santé publique, d’élaborer un diagnostic avec soins et méthode et d’établir une fiche d'information concernant ses patients, contenant les éléments actualisés nécessaires aux décisions diagnostiques et thérapeutiques.
Ainsi, la circonstance qu’un patient fasse partie de son cercle amical ou familial ne doit pas dispenser le médecin de prendre toutes les précautions nécessaires dans les soins délivrés. Il doit également écrire ses constatations, son diagnostic et les traitements qu’il prescrit.
La chambre disciplinaire a prononcé un blâme à l'encontre du médecin pour :
- ne pas s'être assuré du suivi du patient par un confrère psychiatre lors de la prescription d’un traitement anti-dépresseur,
- avoir post-daté une ordonnance,
- et surtout pour ne pas avoir tenu de dossier médical régulièrement.
Sur le plan civil : un renversement de la charge de la preuve
Même si la chambre disciplinaire de première instance a sanctionné le médecin, le tribunal puis la cour d’appel de Bordeaux ne l’ont pas condamné à indemniser la famille du défunt.
Habituellement, c’est au patient ou à ses ayants-droits de rapporter la preuve d’une faute.
En l’espèce, c’est le médecin qui a dû rapporter la preuve qu’il n’a pas commis de faute dans la prise en charge médicale de son ami puisqu’il n’avait pas tenu de dossier médical.
L’obligation de tenir une fiche d'information complète, ou dossier médical, a pour finalité, outre de permettre de documenter les faits liés à la prise en charge des patients, de favoriser la charge de la preuve qui pèse sur la victime dans l'hypothèse d'un accident dommageable.
Les juridictions sanctionnent ainsi, par un renversement de la charge de la preuve, l'absence ou l'insuffisance dans la tenue du dossier médical.
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En l’espèce, la cour d’appel comme le tribunal ont bien relevé que l’absence de dossier médical constitue une faute, mais que celle-ci n’a pas de lien de causalité avec le passage à l’acte.
Si la cour d’appel de Bordeaux n’a pas condamné le médecin à indemniser la famille, c’est qu’il a pu prouver, grâce notamment à des attestations écartant l’hypothèse d’idées suicidaires de son ami, que sa prescription était adaptée et qu’il n’était pas alors nécessaire de prendre d’autres mesures comme une hospitalisation. Par ailleurs, dans les faits, même si le traitement anti-dépresseur prescrit était connu pour accentuer un risque suicidaire, le passage à l’acte est survenu deux jours après la prescription, temps très court ne permettant pas de relier les deux.
Finalement, pour avoir soigné son ami sans consigner ses constatations et prescriptions, le médecin a :
- subi 10 ans de procédure,
- été sanctionné par un blâme,
- dû passer du temps à apporter des preuves que le traitement qu’il avait prescrit était adapté à l’état de son patient.
Ce qu'il faut retenir
Le médecin n’est pas à l’abri d’une plainte ou d’une réclamation lorsqu’il soigne un ami ou un proche.
Il doit absolument tenir une fiche d’information médicale même s’il s’agit d’une simple prescription.