Pourquoi est-ce important de bien tracer la prise en charge des résidents en EHPAD ?
L’exigence de traçabilité répond principalement à deux objectifs, dans l’intérêt des patients comme dans celui du médecin.
Assurer la sécurité et la qualité des soins
Les différents intervenants dans la prise en charge des résidents doivent disposer des données complètes les concernant pour transmettre les informations recueillies ou les décisions prises au reste de l’équipe.
Rompre ce lien vital entre les différents acteurs de la prise en charge peut conduite à une catastrophe.
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Ainsi, le médecin traitant qui prescrit un nouveau traitement doit utiliser le support commun à tout le personnel de l’EHPAD afin que sa prescription puisse être rapidement mise en œuvre.
De la même manière, le laboratoire d’analyse qui envoie des résultats concernant un résident doit pouvoir s’adresser à la bonne personne.
La rupture dans la chaîne de communication peut avoir des conséquences dramatiques pour le résident, qui serait ainsi privé d’un traitement indispensable ou d’une décision pouvant impacter sa santé.
Se défendre en cas de mise en cause de sa responsabilité professionnelle
Un résident (ou sa famille), mécontent de la prise en charge, peut mettre en cause la responsabilité du médecin traitant. Il est alors nécessaire, pour apprécier le litige, de faire une anamnèse précise afin de connaître les circonstances exactes de l’incident/accident.
Une attention toute particulière doit être portée à la traçabilité de la surveillance des résidents car il s’agit d’un point crucial pour les familles, sur lequel porte un bon nombre de leurs reproches, les attentes étant très fortes en termes de sécurité par rapport au maintien à domicile.
Il en est de même de la traçabilité des appels téléphoniques, qu’ils proviennent du personnel de l’établissement (appel sortant) ou d’une personne extérieure (appel entrant).
Les chutes des résidents font aussi l’objet d’un contentieux particulier, ce qui rend leur enregistrement indispensable avec un minium d’éléments sur les circonstances, les premières constatations, les mesures prises et enfin le suivi.
Quelles sont les spécificités de la traçabilité en EHPAD ?
L’EHPAD est un cadre particulier. Il existe donc certaines spécificités à prendre en compte en matière de traçabilité.
Des résidents qui participent peu à leur prise en charge
En EHPAD, il est difficile de compter sur les résidents pour participer activement à leur propre prise en charge et pour faire des transmissions. Pourtant, l’attention portée à ses propres soins a souvent permis de s’apercevoir à temps d’une erreur et d’éviter la survenue d’un événement indésirable grave (EIG).
C’est notamment le cas pour la prise médicamenteuse mais aussi l’évolution générale de l’état de santé. Le Programme National de Sécurité des Soins (PNSP) de Novembre 2013 ne s’y est d’ailleurs pas trompé en intitulant son premier Axe "le patient co-acteur de sa sécurité".
Le résident d’EHPAD ne peut pas être considéré comme tel, ce qui rend les transmissions encore plus importantes.
Des familles aux compétences très diverses et qui ne sont pas toujours fiables
Parmi les familles des résidents, nous trouvons tous les profils :
- des personnes très investies mais qui sont capables de prendre des initiatives très, voire trop personnelles ;
- des personnes désinvoltes qui ne donnent pas l’alerte, même face à une situation très inquiétante.
Dans ces conditions, les familles ne peuvent pas être comptées comme des vecteurs de transmission qui pourraient parer aux défauts de communication.
Une organisation de la traçabilité très hétérogène selon les EHPAD
Certains EHPAD n’ont aucun dossier informatisé. Pourtant, c’est un gage :
- d’unicité de support du dossier du résident (la cohabitation d’un dossier informatisé et d’un dossier papier a pu donner lieu à de graves accidents) ;
- de rigueur ;
- de normalisation de la traçabilité de tous les soins réalisés ;
- de facilité d’accès aux données des résidents ;
- de respect du secret professionnel…
Des médecins traitants extérieurs et peu habitués à l'informatique de l'EHPAD
Nous connaissons tous la priorité actuelle de redonner du temps médical aux médecins et donc de réduire leurs tâches administratives. Mais en EHPAD, ils sont confrontés à une structuration de la traçabilité différente de celle de leur cabinet et surtout variable d’un établissement à l’autre, ce qui les empêche de bien la maîtriser.
Pourtant, les impératifs de continuité des soins obligent à utiliser la structure documentaire de chaque établissement, si l’on veut que les décisions et prescriptions médicales soient rapidement et correctement mises en œuvre.
Pour les cabinets médicaux, il est prévu de développer les "assistants médicaux" destinés à soulager les médecins d’une partie de leurs missions, et il serait intéressant d’envisager une solution comparable au sein des EHPAD, qui aurait toute sa légitimité dans le contexte actuel.
Un turnover important du personnel
Ce turnover est certes généralisé mais il est particulièrement marqué en EHPAD où l’attractivité de certains emplois mériterait d’être renforcée.
Il crée un risque important de rupture dans la prise en charge des résidents et impose :
- une bonne traçabilité en amont,
- de réels temps dédiés aux transmissions,
- un accueil très organisé des nouveaux personnels,
- une ergonomie parfaite des systèmes documentaires.
Une multiplication des intervenants
En EHPAD, le nombre d’intervenants auprès des résidents est important. Plusieurs raisons à cela :
- l’accroissement de la spécialisation en médecine ;
- l’appel fréquent à des médecins urgentistes quand le médecin traitant n’est pas joignable ou disponible.
Ces différents intervenants pouvant être sollicités sous forme de téléconsultation. Leur traçabilité peut se révéler problématique, notamment dans des EHPAD en retard en termes d’informatisation.
Une coordination EHPAD/Hôpital vitale mais pas toujours efficace
Les freins informatiques sont très compliqués à lever. Dans les deux secteurs, il est difficile de joindre les médecins pour qu’ils puissent se coordonner.
La traçabilité, un élément de preuve
- La charge de la preuve appartient au demandeur : l’article 1315 du Code civil dispose en effet que "Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation".
La principale exception concerne la preuve de l’obligation d’information, l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique (CSP), prévoyant que : "En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen". - La preuve est libre, comme le prévoit l’article 1358 du Code civil : "Hors les cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être apportée par tout moyen". Ainsi, les témoignages, les présomptions, les faisceaux d’indices sont admis au titre de preuve mais rien ne vaut, en termes de sécurité juridique, un dossier de résident bien tenu.
- La preuve peut être électronique : ainsi, l’article 1366 du Code civil prévoit que "L'écrit électronique a la même force probante que l'écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu'il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité". On ne peut être plus clair quant à la sécurité juridique des supports informatiques, cela impliquant néanmoins une bonne gestion de l’accès à l’informatique de l’établissement avec la signature par tous les utilisateurs (y compris les stagiaires et les intérimaires) d’une charte informatique exigeante.
- Les dossiers doivent être conservés scrupuleusement pour être en mesure de faire une anamnèse longtemps après la prise en charge du résident dans l’EHPAD et d’apporter la preuve que les bonnes pratiques ont été respectées. Les actions tendant à mettre en cause la responsabilité des personnels de santé ou des établissements à l’occasion d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins se prescrivent par 10 ans à compter de la consolidation du dommage. Ceci implique un délai de conservation minimum de 10 ans après la sortie du résident, en sachant que, pour des raisons de prudence, la règle générale fixée pour l’hôpital public prévoit un délai de conservation de 20 ans. La conservation des dossiers des résidents doit respecter les principes du secret professionnel et permettre aux résidents, et à leurs ayants-droit après leur décès, d’avoir accès aux données relatives à leur santé, comme le prévoit l’article L. 1111-7 CSP.
Les conseils de la MACSF
- Sensibiliser l’ensemble des intervenants à l’importance de la traçabilité, y compris les médecins traitants (par exemple lors de la rencontre annuelle organisée par le médecin coordonnateur) .
- Fixer des règles communes de traçabilité (partie du dossier réservée à certaines informations, niveau de précision du contenu, transcription ou non des déclarations/réclamations des résidents et des familles, abréviation admises…).
- Uniformiser les systèmes informatiques des différents EHPAD afin de faciliter le travail des médecins traitants.
- Intégrer "Mon Espace Santé" (ex DMP) dans la base documentaire de l’EHPAD, ce qui permettra de récupérer les données médicales des résidents qui y figurent déjà et d’utiliser la messagerie sécurisée pour communiquer avec les intervenants extérieurs autorisés.
Crédit photo : AMELIE-BENOIST / IMAGE POINT FR / BSIP