Installation dans un immeuble quitté par un confrère chirurgien-dentiste : que disent les textes ?
L’article R4127-278 du Code de la santé publique, dans son deuxième alinéa, dispose : "Il est interdit de s’installer à titre professionnel dans un local ou immeuble quitté par un confrère pendant les deux ans qui suivent son départ, sauf accord intervenu entre les deux praticiens ou, à défaut, autorisation du conseil départemental de l’ordre".
Toutes les autres professions médicales ou paramédicales à Ordre professionnel prévoient également l’impossibilité de s’installer dans le même local qu’un confrère ou qu’une consœur déjà installé pour éviter les risques de confusion pour les patients (article R4127-278, alinéa 1, du Code de la santé publique).
En revanche, seuls les chirurgiens-dentistes voient cette protection étendue à deux ans après le départ du précédent praticien occupant le local.
Au-delà de la simple protection de la patientèle contre les risques de confusion, il s’agit bien de protéger le professionnel n’ayant pas trouvé de successeur de subir une captation de sa patientèle par un nouvel arrivant.
Il est bien entendu possible d’y déroger :
- En cas de contrat de cession du droit de présentation à patientèle, par laquelle le prédécesseur confie à son successeur la charge d’assurer la continuité des soins auprès de ses patients.
- Par une autorisation du conseil de l’Ordre d’installation dans un local quitté par un confrère lorsque les circonstances l’exigent (absence de réponse, décès du prédécesseur, mauvaise foi manifeste…).
Une adaptation des documents contractuels à cette obligation déontologique
Cette disposition du Code de déontologie des chirurgiens-dentistes, si elle semble particulièrement contraignante de prime abord, permet néanmoins d’anticiper les départs de cabinets comportant plusieurs praticiens.
Bien souvent, les statuts, les règlements intérieurs ou les contrats d’exercice liant plusieurs chirurgiens-dentistes entre eux prévoient des dispositions particulières du fait de cette clause.
Ainsi, le chirurgien-dentiste désireux de quitter le groupement sera tenu de rechercher un successeur ou d’autoriser l’installation d’un nouvel arrivant. A défaut d’un tel accord ou de la transmission de sa patientèle à un successeur, l’associé retrayant s’engage à s’acquitter des charges dues au groupement concerné pendant deux ans.
Cet engagement permet de "purger" la disposition de l’article R4127-278 du Code de la santé publique, sans que les associés restants soient financièrement pénalisés par l’associé retrayant non diligent ou bloquant.

En l’absence de précision dans les contrats ou dans les statuts de sociétés de chirurgiens-dentistes, le professionnel souhaitant quitter un cabinet peut opposer cette disposition du Code de déontologie aux praticiens poursuivant leur exercice dans le local.
Un argument de négociation fort
Les fins d’associations entre professionnels de santé peuvent être particulièrement houleuses, surtout en cas de difficultés relationnelles et de rancœurs accumulées depuis plusieurs années.
L’absence de disposition contractuelle ou statutaire concernant le départ d’un chirurgien-dentiste d’un cabinet peut permettre à celui-ci de disposer d’un argument de négociation particulièrement efficace.
En effet, il peut s’opposer à l’arrivée de tout nouvel associé dans le cabinet "à sa place", sauf en cas d’accord trouvé avec ce dernier sur le rachat de son fauteuil et de son droit de présentation à patientèle. Cela peut contraindre les associés restants à assumer les charges du cabinet seuls pendant deux ans ou à se restructurer pour réduire leurs charges (modification des contrats de travail des salariés, location d’une superficie moindre au sein du local, intégration de professions médicales ou paramédicales autres,…).
Cependant, le conseil de l’Ordre des chirurgiens-dentistes peut toujours autoriser une installation, notamment lorsque le refus d’autoriser un nouvel arrivant relève plus d’une volonté de nuire que d’une volonté de protéger sa propre patientèle.
Exemple d’un chirurgien-dentiste ayant quitté un local pour se réinstaller dans la commune voisine auprès de sa patientèle et refusant d’autoriser l’arrivée d’un nouveau chirurgien-dentiste "par principe", malgré un besoin de soins flagrant pour la population et une surcharge de travail avérée et persistante pour tous les protagonistes.
Il est à noter que le silence conservé pendant deux mois par le conseil de l’Ordre suite à la réception d’une demande d’installation dans un immeuble où a exercé un confrère vaut autorisation tacite. Il est donc indispensable d’adresser une telle demande en lettre recommandée avec accusé de réception et de conserver précieusement celui-ci.
Cette disposition spécifique aux chirurgiens-dentistes n’est donc pas anodine et doit être prise en considération dès qu’il s’agit d’exercer à plusieurs. Afin d’éviter les situations de blocage, il est indispensable de prévoir le sort des contrats et des sociétés de chirurgiens-dentistes en cas de retrait d’un de leurs membres, en tenant compte surtout de cette possibilité de blocage théorique pendant deux ans.
Enfin, les nouveaux arrivants sont appelés à faire preuve de vigilance quant à l’histoire du cabinet qu’ils convoitent : des vérifications sur une antériorité d’au moins deux ans sont nécessaires, en l’absence de rachat de droit de présentation à patientèle.