Mécanismes physiopathologiques des atteintes nerveuses
Les atteintes nerveuses post-endodontiques sont rares et peuvent avoir des conséquences à long terme sur la qualité de vie des patients.
En 2022, neuf déclarations de sinistres pour des complications nerveuses post-endodontiques ont été reçues par le Comité dentaire de la MACSF. Si, dans la plupart des cas, le dépassement d’obturation ne génère aucune complication ni symptomatologie, la survenue d’une paresthésie ou dysesthésie est majoritairement retenue en imputabilité lors d’expertises judiciaires.
Les lésions nerveuses post-endodontiques suite à dépassement de matériau d’obturation concernent surtout les molaires et secondes prémolaires mandibulaires du fait de la proximité anatomique avec le nerf alvéolaire inférieur. Elles concernent un pourcentage plus élevé de femmes (84 %) que d’hommes (16 %) du fait d’une distance plus faible entre les apex des dents postérieures mandibulaires et le nerf alvéolaire inférieur(1).
Les causes de lésions nerveuses peuvent être diverses(2) :
- Action mécanique : le matériau peut entraîner une compression du nerf dans le canal, directement ou indirectement par l’œdème inflammatoire.
- Irritation chimique : la plupart des matériaux d’obturation endodontiques sont irritants. Les ciments les plus neurotoxiques semblent être ceux contenant du paraformaldéhyde ou ses analogues, mais les ciments ZOE sont également toxiques à des degrés divers. L’eugénol a également été incriminé mais des études récentes indiquent qu’il aurait plutôt une action analgésique, la toxicité seule du ciment ne semble pas expliquer la symptomatologie. La situation du matériau vis-à-vis du nerf semble également importante.
- Hypothétiquement, les lésions peuvent également se faire par brûlure : dans les techniques d’obturation par thermocompaction, la gutta-percha doit atteindre la température de 53.5 à 57.5°C pour se plastifier(3). Une étude rapporte des températures intra-canalaires allant de 50 à 100°C avec la technique de thermo-compaction(4), températures suffisamment élevées pour induire une brûlure nerveuse.
L’ampleur de l’atteinte nerveuse n’est pas forcément en lien avec la taille du dépassement.
—
Comment prévenir cette complication ?
- Réaliser un bilan radiographique pré-opératoire (radiographie rétro-alvéolaire et non panoramique dentaire) pour appréhender l’intégralité de l’anatomie canalaire et radiculaire. Une rétro-alvéolaire, avec éventuellement double angulation, peut-être utile. Un cone beam peut-être réalisé si besoin pour étudier les rapports avec les structures nerveuses avoisinantes.
- Lors de la préparation canalaire, prendre une mesure de la longueur du canal à l’aide d’une radiographie lime en place (archivée) ou un localisateur d’apex.
- Respecter l’anatomie et la constriction apicale.
- Éviter les surpressions et un enfoncement de l’aiguille trop profondément dans le canal lors de l’usage de seringue pour la mise en place de médications de type hydroxyde de calcium(5).
- Ajuster le maitre cône stérile au diamètre de la préparation et à la longueur de travail, avec contrôle radiographique pour objectiver le bon positionnement du cône par rapport à l’apex et corriger éventuellement son positionnement avant condensation(6).
- Mettre en place un film de ciment biocompatible (les ciments contenant des composants organiques comme les aldéhydes et les corticoïdes sont à exclure)(7).
- Pour l'obturation canalaire, privilégier les techniques de condensation avec ajustage du maître cône en diamètre et en longueur, plus sécurisantes et reproductibles que les méthodes par "injection"(8, 1).
Recommandations en cas de dépassement
Si le patient vous informe de symptômes post-opératoires à type de paresthésie, dysesthésie ou d’anesthésie persistante :
- Réaliser une cartographie de la région insensibilisée pour suivre l’évolution des lésions dans le temps.
- Prescrire des corticoïdes ou des AINS pour limiter la réaction inflammatoire liée à l’irritation de la gaine nerveuse par le ciment endodontique et/ou la gutta(6).
- Orienter rapidement en milieu spécialisé : dans des cas sévères, une intervention chirurgicale peut être requise pour enlever les dépassements de matériau d’obturation, mais les résultats restent aléatoires quant à une éventuelle récupération nerveuse.
À noter que plus la prise en charge est précoce, meilleures seront les chances de récupération.
—
Exemples
Cas clinique n° 1
Analyse du cas : présence à l’état antérieur d’un traitement radiculaire incomplet avec parodontite apicale au niveau de la dent 45, bien que la mesure de la longueur de travail ait été réalisée, l’obturation est non conforme avec dépassement de pâte endodontique dans le canal du nerf alvéolaire en contact intime avec l’apex de la dent ; perte de sensibilité de l’hémi-lèvre inférieure permanente dans les suites.
Cas clinique n° 2
Analyse du cas : prise en charge endodontique de la dent 46 a été initiée en l’absence de réalisation d’une radiographie rétro-alvéolaire pré-opératoire ce qui est non conforme avec, lors de l’obturation, fusée de pâte endodontique dans le péri-apex puis dans le canal du nerf alvéolaire inférieur. Patiente adressée pour une latéralisation du nerf alvéolaire inférieur et éviction de l’excédent de pâte.
Références
(1) ROSEN, E. The diagnosis and management of nerve injury during endodontic treatment. Evid.-based endod 2, 7 (2017).
(2) BRONNEC F, DESCROIX V, BOUCHER Y. Prévention et traitement de la douleur postopératoire endodontie. Réalités Cliniques 2011. Vol. 22, n°4 : pp. 345-357.
(3) COHEN BD, COMBE ED, LILLEY JD. Effect of thermal placement techniques on some physical properties of gutta-percha. Int Endod J. 1992; 25(6) : 292–6.
(4) FANIBUNDA K, WHITWORTH J, STEELE J. The management of thermomechanically compacted gutta percha extrusion in the inferior dental canal. Br Dent J. 1998; 184(7):330–2.
(5) AMERICAN ASSOCIATION OF ENDODONTICS. Endodontics and Neurovascular Injury Fall 2021.
(6) SIMONET P, MISSIKA P, POMMAREDE P. Recommandations de bonnes pratiques en odonto-stomatologie. Espace ID Presse Edition Multimedia.
(7) Recommandations de l’HAS sur les Traitements endodontiques. Novembre 2008.
(8) CASTRO R, GUIVARC’H M, FOLETTI JM, CATHERINE JH, CHOSSEGROS C, GUYOT L. Endodontic-related inferior alveolar nerve injuries : a review and a therapeutic flow chart. J Oral Maxillofac Surg 2018 ; 119 (5):412-418.