Les techniques d’alésage mécanisé de plus en plus répandues en activité quotidienne, relativisent arithmétiquement le nombre d’incidents par rapport au nombre croissant total de praticiens utilisateurs, mais ne peuvent justifier totalement ce constat.
Cette situation nous interpelle en tant que thérapeutes confrontés à de nouvelles techniques à maîtriser pour améliorer notre pertinence opératoire sans complications ou aggravations supplémentaires et afin que le ratio assuranciel cotisation/prestation du contrat RCP puisse rester équilibré.
Fractures instrumentales : aspect technique
Les bris instrumentaux compromettent souvent le succès du traitement final avec tous les retentissements que cela induit en termes d'assurance en cas de réclamation de patient :
- Un coût global conséquent : honoraires engendrés par la réparation (dent non systématiquement conservable),
- Les frais d’indemnisation de préjudices et de gestion (dont les expertises lorsque le patient conteste la conformité du soin par l’intermédiaire d’une assurance Protection juridique ou par voie judiciaire notamment).
D’autant que, dans une majorité de dossiers, nous relevons des critères d’imputabilité : la "fragilité structurelle" de l’instrument existe quoique relativisée par la qualité de sa fabrication, mais le non-respect du protocole d’utilisation préconisé et/ou des recommandations de bonnes pratiques cliniques est majoritairement retrouvé lors de l’analyse.
Il paraît utile de rappeler ces notions essentielles.
Critères techniques instrumentaux
L’alliage nickel titane possède deux propriétés : une "hyper" élasticité (déformation de manière réversible) et une mémoire de forme.
Mais il présente aussi l’inconvénient majeur d’une faible résistance à la rupture lors d’un usage répété, ce qui aboutit à la fracture (nombre trop important de compressions/tensions ou blocage de l’extrémité en rotation).
Ceci impose un strict respect des préconisations spécifiques d’emploi, d’usage et de stérilisation.
Critères cliniques
- Évaluer la difficulté du cas à traiter
D’abord évaluer la difficulté du cas à traiter via un bilan pré opératoire minutieux. Un cliché retro-alvéolaire de bonne qualité indiquera les courbures sévères et l’anatomie du tiers apical.
La mise en œuvre instrumentale sera alors adaptée, associant prudence opératoire et recours plus marqué aux instruments manuels et/ou aux instruments rotatifs de faible conicité.
- Planifier les conditions et la durée programmée de l'intervention
Ne jamais envisager un acte d’endodontie sans avoir au préalable planifié les conditions et la durée (appropriée) programmée de l’intervention. Une ouverture camérale et un accès canalaire conformes conditionnent le bon déroulement de l’ensemble du traitement endodontique.
Identifier les orifices canalaires et aménager un accès en ligne droite aux canaux, sans contrainte des instruments sur les parois coronaires ; éliminer minutieusement les ergots dentinaires surplombant souvent les orifices canalaires des dents postérieures.
Cathétérisme et séquences instrumentales réalisés après élargissement préalable à l’utilisation des instruments en rotation continue, à l’aide de limes manuelles qui ne sont jamais poussées dans le canal mais utilisées en rotation.
Lorsque ces règles sont observées, l’incidence des fractures instrumentales est faible.
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- L'importance d'avoir de bonnes relations avec son patient
Les praticiens doivent être sensibilisés également quant à leur relation avec le patient, afin de conserver sa confiance via son information quant à la nature de l’incident si celui-ci n’est pas résolu immédiatement.
- Assurer un bon suivi des soins
Il faudra assumer le suivi adapté à mettre en place soit en tant que praticien traitant, soit par recours à un endodontiste selon l’option choisie et/ou la situation observée (nombreuses possibilités thérapeutiques si une ré-intervention s’avère indiquée, en fonction de la position et de la nature de l’instrument brisé, de la pathologie initiale traitée, etc.).
Si l’endodontie mécanisée constitue une amélioration notoire certaine de la qualité de nos traitements radiculaires en général, sa mise en œuvre impose une rigueur opératoire maitrisée après formation adaptée.
En conclusion, un strict respect de ces considérations, allié au bon sens de l’expérience clinique puis à une gestion appropriée des incidents alors devenus résiduels (le risque zéro n’existe jamais dans le domaine chirurgical) permettra de réduire le nombre des litiges correspondant.
Fractures instrumentales : aspect juridique
Nous évoquons ci-dessous l’aspect juridique de cette catégorie de déclaration, en définissant notamment les termes d’aléa thérapeutique, d’obligation de moyens et de consentement éclairé, notions qui conditionnent l’élaboration définitive des conclusions en imputabilité, après avis technique du praticien conseil.
Fractures instrumentales et aléa thérapeutique
Tout traitement canalaire, comme n’importe quel traitement, peut entraîner des complications. Celles-ci sont relativement rares dès lors que le praticien respecte scrupuleusement les consignes d’utilisation préconisées ci-dessus.
Si tel est le cas, nous nous trouvons dans le cadre d’un aléa thérapeutique qui se définit comme "la réalisation, en dehors de toute faute du praticien, d’un risque imprévisible, accidentel, inhérent à l’acte médical qui ne pouvait être maîtrisé" (Cour de Cassation 1re civile 08/11/00 n° 99-11.735).
L’expert devra donc expliquer le mécanisme de survenance de cet accident à caractère inévitable et indépendant de tout manquement fautif et argumenter ses conclusions afin d’expliquer pourquoi la fracture est survenue malgré des soins conformes aux règles de l’art (fragilité structurelle de l’instrument, anatomie particulière de la dent...).
Nous rappellerons que l’aléa thérapeutique n’est pas indemnisable au titre de la responsabilité du praticien mais le patient pourra, s’il le souhaite, engager une action à l’encontre du fabricant au titre de la responsabilité des produits défectueux.
En effet, en cas de défectuosité du produit fourni, la responsabilité incombera au fabricant au titre de son obligation de résultat.
Fractures instrumentales : manquement à l’obligation de moyens
Le contrat de soins met à la charge des chirurgiens-dentistes une obligation de moyens, c’est-à-dire que ceux-ci ne peuvent s’engager à guérir leurs patients mais doivent, par contre, mettre en œuvre tous les moyens à leur disposition pour y parvenir.
Dans un arrêt de principe du 20 mars 2013, la Cour de Cassation a rappelé que dans le cadre de sa prestation de soins, le praticien utilisateur d’un produit de santé ne peut être responsable qu’en cas de faute prouvée.
Il appartient donc au patient de prouver la faute que le praticien aurait commise et qui serait, de manière directe et certaine, la cause du dommage allégué.
La faute sera toujours appréciée par rapport au comportement d’un praticien "normalement diligent et consciencieux dans les mêmes circonstances".
Outre le non-respect des recommandations et des bonnes pratiques en la matière, le praticien pourra voir sa responsabilité engagée dans les situations suivantes :
- En cas de défaut de suivi thérapeutique
Si le praticien ne peut lui-même procéder au retrait ou au contournement de l’instrument fracturé, il doit adresser son patient à un endodontiste pour une prise en charge appropriée.
- En cas de défaut d’information
Le praticien doit fournir à son patient une information loyale claire et appropriée sur son état de santé, sur les soins envisagés de façon à recueillir son consentement éclairé. Il doit également l’informer de tout risque normalement prévisible (difficultés anatomiques particulières : courbures, calcifications..), des conséquences que celui-ci peut entraîner et de tout incident survenu (fracture d’instrument).
Cela implique, pour le praticien responsable de la prise en charge, la mise en œuvre de deux démarches essentielles :
- La délivrance d’une information loyale, claire et adaptée au niveau de compréhension du patient ;
- Le recueil du consentement éclairé du patient, lequel doit être non seulement éclairé par l’information préalablement délivrée mais également libre de toute pression ou de toute contrainte.
Dans ces cas de figure, la responsabilité du praticien sera engagée et son patient percevra une indemnité à ce titre.
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- En l’absence d’aggravation
Nous prendrons en charge le remboursement des frais endodontiques, déduction faite des prestations versées par les organismes sociaux, sur la base d’un devis, soumis pour accord préalable au chirurgien-dentiste conseil du siège.
- En cas d’aggravation
Nous prendrons en charge les frais de réhabilitation de la dent perdue, déduction faite des prestations versées par les organismes sociaux, sur présentation d’un devis, soumis pour accord préalable au chirurgien-dentiste conseil du siège.
En tout état de cause...
Chaque sinistre fera l’objet d’une étude approfondie qui permettra de déterminer l’origine de l’incident (aléa thérapeutique ou manquement aux règles de l’art) et d’évaluer le préjudice directement imputable au praticien mis en cause.