Une soignante agressée dans le secteur ambulatoire
En janvier 2017, une soignante salariée d’un hôpital privé, postée de nuit, est victime d’une sévère agression physique de la part d’une patiente, admise aux urgences de l’établissement, ayant pénétré, sans y être invitée, dans le secteur ambulatoire.
Le médecin présent dans l’espace ambulatoire n’a pas prêté attention à l’arrivée de cette personne et n’est intervenu que pour séparer les protagonistes.
L’accès aux urgences de cet établissement est totalement libre, sans porte sécurisée à franchir et au moment de l’agression, il n’y avait pas d’agent de sécurité.
C’est un accident du travail !
Une agression sur le lieu du travail constitue, sans doute possible, un accident du travail dont la définition est très large. Ainsi l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale prévoit que : "est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne mentionnée à l'article L. 311-2".
Attention, le délai de déclaration est très court : 48 heures, hors dimanche et jours fériés !
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Dans ce dossier, la victime a été prise en charge au titre des accidents du travail par la CPAM dont elle dépendait, puis a saisi une juridiction chargée du contentieux de la Sécurité sociale pour faire reconnaitre la faute inexcusable de son employeur.
La reconnaissance de la qualification de faute inexcusable permet d’obtenir :
- principalement une indemnisation de la part de l’employeur en droit commun (comprenant les souffrances physiques et morales endurées, les préjudices esthétique et d'agrément ainsi que le préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle) ;
- s’il y a lieu, un doublement de la rente maladie professionnelle.
La salariée a obtenu gain de cause devant la Cour d’appel en juin 2022.
L’hôpital employeur dépose un pourvoi en cassation pour contester la qualification de faute inexcusable et les conséquences qui en découlent.
Les textes applicables
Article L. 452-1 du code de la Sécurité sociale qui prévoit une indemnisation complémentaire aux victimes d’une faute inexcusable. Le détail de ces compléments d’indemnisation figure dans les articles suivants.
Article L. 4121-1 du code du travail (CT) qui décrit les mesures que doivent prendre les employeurs pour "assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs".
Article L. 4121-2 CT qui précise les principes généraux de prévention. On y retrouve notamment "éviter les risques ; évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ; combattre les risques à la source…".
Qu’est-ce qu’une faute inexcusable ?
Il n’existe pas de définition légale de la faute inexcusable, il s’agit d’une construction de la jurisprudence. Dans cette affaire, il a été admis que :
- La faute présente un caractère inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
- Le caractère suffisant des mesures s’apprécie au regard de la conscience qu’avait ou qu’aurait dû avoir l’employeur du danger.
- La seule réalisation du risque ne saurait démontrer le caractère insuffisant des mesures mises en œuvre par l’employeur.
Pour l’hôpital : pas de lien entre l’agression et les moyens de sécurité
L’hôpital fait valoir :
- qu’il a recruté un maitre-chien et fait appel à une prestation de sécurité de niveau 2 de 20 h à 7 h ;
- qu’il a organisé régulièrement des formations sur la gestion de la violence et les situations traumatisantes ;
- qu’aucun moyen supplémentaire n’aurait permis d’éviter l’agression due uniquement au comportement agressif imprévisible de la patiente.
L’hôpital axe donc son recours sur l’absence de lien de causalité prouvé entre les fautes retenues par la Cour d’appel (absence de fermeture des urgences et de la zone ambulatoire par des portes en état de fonctionnement, absence de personnel dédié à la sécurité, au contrôle des accès) et la survenue de cette agression.
Selon lui, il est nécessaire d’apporter la preuve d’un lien de causalité entre les manquements reprochés à l’employeur et la lésion survenue au temps et au lieu du travail.
Des moyens de protection jugés insuffisants
Dans son arrêt du 29 février 2024, la 2e chambre civile de la Cour de cassation adopte l’argumentation de la Cour d’appel, à savoir :
- le recrutement d’un agent de sécurité et la fermeture des urgences par des portes coulissantes, déjà demandés par certains salariés pour sécuriser les locaux, sont postérieurs à l’accident du travail;
- le contrat de sécurité cynophile était manifestement insuffisant à prévenir les risques d’agression au sein même de l’hôpital ;
- l’organisation de formations sur la gestion de la violence constituait une réponse sous-dimensionnée par rapport à la réalité et la gravité du risque encouru.
Les magistrats en déduisent que "les mesures de protection mises en œuvre par l’employeur étaient insuffisantes ou inefficaces à prévenir le risque d’agression auquel était soumis son personnel".
Ainsi, ils ne répondent pas à l’argumentation de l’hôpital sur l’absence de lien de causalité entre l’agression et l’absence de mesure de protection, considérant que les manquements constatés suffisent.
La faute inexcusable de l’hôpital est ainsi bien confirmée, ce qui permettra à la soignante victime de l’agression de bénéficier d’une meilleure indemnisation de son préjudice.
On ne plaisante pas avec la sécurité des agents !
Telle pourrait être la leçon de cette affaire puisque la Cour de cassation a fixé un très haut niveau d’exigence sur les établissements de santé en termes de sécurité de leurs agents.
Les mesures, somme toute assez habituelles, prises par cet hôpital ont été jugées insuffisantes ou inefficaces alors que la survenue d’un accident du travail ne constitue pas, en soi, une faute inexcusable.
Remarquons que les magistrats n’ont pas tenu compte des mesures mises en place après coup ; c’est bien une photographie de la situation au moment de l’accident qui est faite.
Des moyens à définir collectivement
La non-sécurisation de l’entrée des urgences par une porte gérée par le personnel ainsi que l’absence d’agents de sécurité sur place ont été fortement critiquées dans cette affaire, rendant aujourd’hui ces moyens indispensables.
Les juges n’ont pas manqué de faire remarquer à cet hôpital qu’il avait, avant l’accident, déjà reçu des demandes de sécurisation des locaux auxquelles il n’a pas donné suite. Une demande officielle formulée par les représentants du personnel (CSE, CSSCT…) à propos de la sécurité des salariés oblige aujourd’hui l’employeur à agir, sinon sa faute inexcusable pourrait bien être retenue.
N’oublions pas d’autre part que l’employeur doit établir un document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP) dans lequel il doit décrire l’ensemble des risques professionnels identifiés et les moyens mis en œuvre pour y remédier.
Enfin, beaucoup d’établissements ont passé des conventions "Hôpital – Police – Justice" qui permettent de bien organiser la sécurité des agents et de faciliter leur prise en charge en cas d’agression.