La méningite : une urgence diagnostique …
En fin de soirée, un pédiatre examine un enfant de 2 ans et demi présentant, depuis le jour même, de la fièvre (montée jusqu’à 40°C chez la nourrice) et un vomissement. L’examen est sans particularité : l’enfant est plutôt tonique et semble bien tolérer la fièvre.
Un test urinaire est prescrit du fait d’antécédents de pyélonéphrite à 10 mois ainsi qu’un traitement antipyrétique. Le diagnostic de grippe (alors épidémique) est évoqué comme possible. Les conseils usuels de surveillance et de rappel sont donnés à la mère, et il lui est demandé de reconsulter le lendemain pour lui montrer le résultat du test urinaire.
Le lendemain à 13 h 15, après une nuit difficile marquée par plusieurs vomissements de l’enfant, la mère consulte à nouveau le pédiatre.
Son état est cette fois d’emblée jugé très inquiétant : l’enfant est pâle, somnolent, encore fébrile (38,5°C) malgré la prise d’Advil® et de Doliprane® en alternance.
Après un examen rapide, le pédiatre explique à la mère qu’il suspecte une méningite et qu’il faut qu’elle emmène son enfant immédiatement aux urgences du centre hospitalier voisin.
Devant elle, il contacte les urgences, est mis en communication avec un interne qu’il prévient de l’arrivée de l’enfant pour une suspicion de méningite.
Et une urgence thérapeutique également
À 13 h 30, l’enfant est accueilli par une infirmière d’accueil qui prend les constantes mais pas la tension, enregistre sur le dossier sa venue pour "fièvre" malgré la suspicion de méningite, pourtant rappelée par la mère, et l’installe dans un box.
Il n’est examiné par un praticien que deux heures plus tard. Ce praticien retrouve une "raideur franche de la nuque, des extrémités un peu froides, une TA à 8/6", il prélève un bilan, tente en vain de perfuser l’enfant et le fait admettre en pédiatrie.
Vers 16 h 15, l’enfant est vu cette fois par un jeune interne qui confirme le tableau clinique mais ne réalise la ponction lombaire qu’à 17 h. Ponction lombaire dont il va attendre les résultats (en faveur d’une méningite à pneumocoque) pour débuter l’antibiothérapie et la corticothérapie nécessaires.
Vers 19 heures, l’état de l’enfant se dégrade brutalement : son teint est gris, il est marbré et des pétéchies apparaissent. L’IDE contacte le pédiatre de garde à deux reprises, mais il ne se déplace auprès de l’enfant qu’à minuit. Même à ce stade, aucun transfert en réanimation n’est envisagé. Le même pédiatre est pourtant rappelé à deux reprises dans la nuit pour des convulsions. Un traitement par Gardenal® est simplement mis en route.
Vers 5 heures, l’enfant est victime d’un arrêt cardiorespiratoire et ne peut être réanimé.
Une mise en cause devant la CCI
Comme on pouvait s’y attendre après cette dramatique histoire, la famille engage une procédure devant la CCI.
Notre analyse initiale était que la responsabilité du pédiatre semblait pouvoir être défendue dans cette affaire. Il avait :
- évoqué sans retard un diagnostic qui avait été confirmé,
- pris la décision de faire immédiatement hospitaliser l’enfant,
- pris soin à cet effet de prévenir par téléphone de son arrivée.
Même si on pouvait éventuellement lui reprocher de ne pas avoir décidé d’un transport médicalisé de l’enfant ou appelé le SAMU, on pouvait aussi faire valoir que cette prise de risque, dans le cas présent, n’avait pas été préjudiciable puisque l’enfant avait été admis aux urgences 15 minutes plus tard, donc sans retard et sans s’être aggravé dans l’intervalle.
Les multiples défaillances et la gravité des fautes commises par les différents intervenants lors de la prise en charge de l’enfant en milieu hospitalier, depuis son admission jusqu’à son décès, n’engageaient en rien la responsabilité du pédiatre.
Que concluent les experts ?
Sans surprise, les experts listeront les nombreux dysfonctionnements et fautes qui s'étaient succédées à chaque étape de la prise en charge de cet enfant et engageant la responsabilité de l’hôpital :
- retard d’examen,
- retard de diagnostic,
- retard de traitement,
- sous-évaluation de la gravité de l’état de choc,
- absence de transfert en réanimation,
- défaut de séniorisation de l’accueil des urgences,
- non déplacement du pédiatre…
Mais ils reprocheront aussi à notre sociétaire de ne pas avoir rédigé de lettre d’accompagnement évoquant cette suspicion de méningite. Une telle lettre aurait mis les urgences en "alerte code rouge".
Même si la réalité de l’appel téléphonique n’était pas contestée, en pratique, cet appel n’avait visiblement pas été transmis ou la gravité du cas "intégrée", comme en témoignait la mention "venue pour fièvre" portée par l’infirmière de tri…
Ils évalueront la perte de chance de survie en rapport à 80 %(1) et évoqueront un partage des responsabilités à hauteur de :
- 75 % pour le centre hospitalier,
- 5 % pour le pédiatre.
Reprenant les conclusions expertales, la CCI confirmera la responsabilité du pédiatre pour une prise en charge non conforme d’une suspicion de méningite "qui avait pu participer au retard de prise en charge et à la sous-estimation de l’état de l’enfant, lui faisant ainsi perdre une chance d’évolution favorable".
Que retenir de cette décision ?
Cette décision peut paraître sévère au premier abord : le pédiatre ne pouvait imaginer que la prise en charge de cet enfant en milieu pourtant spécialisé pourrait être défaillante. Rien ne démontrait avec certitude qu’une lettre d’accompagnement aurait modifié le cours des événements.
Mais devant toute suspicion de méningite, les recommandations sont claires et préconisent un appel systématique du SAMU(2) pour un transport médicalisé. Transport qui, dans le cas présent, aurait certainement abouti, si ce n’est à décider de l’orientation de l’enfant vers un service de réanimation, du moins à s’assurer d’une prise en charge en urgence au centre hospitalier, et peut être par un praticien plus averti !