Une tuméfaction pas si bénigne
Un retraité âgé de 74 ans consulte un dermatologue pour une volumineuse lésion kystique du poignet droit apparue 3 mois auparavant. Celle-ci évoque à première vue une surinfection après piqûre d’insecte. Mais, malgré un traitement antibiotique et des soins locaux, elle ne disparait pas et devient au contraire inflammatoire. Le dermatologue adresse alors le patient à un chirurgien viscéral pour exérèse et analyse histologique.
L’examen du chirurgien ne fait pas part d’un examen du creux axillaire à la recherche de ganglions éventuels et conclut à un kyste sébacé. L’intervention est programmée puis reportée en raison du Covid.
Le mois suivant, après arrêt du Préviscan et signature d’un consentement, remise d’une information et test Covid négatif, le curetage de cet abcès du poignet droit est réalisé en ambulatoire, sous AG. Aucun prélèvement bactériologique ni histologique n’est réalisé. La sortie est autorisée avec reprise du Préviscan.
Un mois après l’intervention apparait une masse indurée de contours irréguliers et de couleur mauve/violacée à l'endroit de l'exérèse, accompagnée d'une volumineuse adénopathie axillaire droite douloureuse.
Une IRM axillaire droite est réalisée, mettant en évidence plusieurs volumineuses adénopathies axillaires droites, inflammatoires.
Le patient reconsulte le chirurgien. Celui-ci lui affirme que l'adénopathie axillaire n'a aucun rapport avec la masse du poignet, et que la tuméfaction du poignet droit doit être prise en charge par un chirurgien de la main. Il adresse le patient dans un autre centre hospitalier en service d’hématologie pour biopsie ganglionnaire.
La biopsie du ganglion axillaire est finalement réalisée 2 mois après l’intervention réalisée par le chirurgien viscéral et conclut à un "carcinome neuroendocrine, probablement d'origine cutanée type carcinome à cellules de Merkel". Le bilan d’extension de cette tumeur à point de départ inconnu révèle des métastases hépatiques. Il est alors pris avis auprès d’un centre de référence des cancers cutanés et décidé de la mise en route rapide d’une immunothérapie, le bilan d’extension ayant mis en évidence des métastases hépatiques.
Un mois plus tard, le patient décède.
Selon les experts : un retard diagnostique fautif
Les experts reprochent au chirurgien viscéral d’être à l’origine du retard de diagnostic de l’affection.
Si la réalisation de l’acte n’appelle aucune remarque sur le plan technique, le chirurgien aurait dû demander un examen histologique de la pièce opératoire.
Pour sa défense, le praticien invoquait le fait que la lésion était nécrotique lorsqu’il avait opéré le patient. Cet argument n’infléchira cependant pas la position des experts puisqu’il n’a pas davantage été demandé d’examen bactériologique ni envisagé que cette tuméfaction puisse ne pas être bénigne.
Pour autant, après avoir rappelé la gravité du carcinome de Merkel, les experts estiment que ce retard diagnostique fautif n’a finalement pas influencé l’évolution comme la prise en charge.
En effet, lorsque le diagnostic de carcinome a été fait par le biais de la biopsie ganglionnaire, il existait donc déjà un contexte métastatique. Ils en concluent que le décès est lié à l’évolution métastatique d’un cancer déjà avancé.
Il n’est donc pas établi qu’un diagnostic plus précoce, avec mise en route d’un traitement après le bilan d’extension de la maladie, aurait pu modifier son évolution fulgurante.
L’importance de l’examen histologique
Ce cas illustre bien l’importance d’établir un diagnostic de certitude par l’examen histologique d’une pièce d’exérèse.
Ne pas le décider s’apparente à un manquement à l’obligation de moyen et peut donc engager la responsabilité du praticien impliqué.
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Même si d’autres problèmes peuvent survenir à toutes les étapes : réalisation de l’envoi de la pièce d’exérèse, lecture de celle-ci par une méthode adéquate, transmission des résultats de l’histologie et relecture par l’opérateur avec éventuel traitement complémentaire.
Bibliographie
Merckel cell carcinoma : an updated review of pathogenesis, diagnosis and treatment options. Hernandez LE, Mohsin N, Yaghi M, Frech FS, Dreyfuss I, Nouri K. Dermatol Ther. 2022 Mar ; 35 (3)
Merkel cell carcinoma review. Xue Y, Thakuria M. Hematol Oncol Clin North Am. 2019 Feb;33(1) : 39 à 52