La rupture capsulaire, un aléa de la chirurgie de la cataracte
Une patiente est opérée de la cataracte à l'œil gauche (second œil) par un ophtalmologiste le 12 octobre 2012, avec une rupture capsulaire postérieure en fin d'intervention et mise en place d'un implant cristallinien dans le sulcus.
Dans son compte rendu opératoire, l’ophtalmologiste mentionne :
"L’intervention a été marquée par un effet insuffisant de l’anesthésie locale qui a dû être complétée par une injection intraveineuse après le début de l’opération, ce qui a calmé la douleur mais entraîné une certaine agitation de la patiente, agitation ayant contribué à une perforation capsulaire à la fin du lavage".
La patiente se plaint depuis l'intervention d'une douleur oculaire mal définie (8 sur une échelle de 10) ainsi que d'une sensation de sable au niveau de cet œil gauche, associée à une mauvaise vision et à une importante photophobie.
En l'espèce, le rapport d'expertise relève expressément que "les soins prodigués ont été conformes aux données acquises de la science".
Selon les termes de ce rapport, le risque de rupture capsulaire est une complication rare, inhérente à l'intervention (< 5 %) dont la survenue doit être regardée comme un aléa thérapeutique n'engageant pas la responsabilité du praticien.
En outre, la prise en charge de cette complication par vitrectomie antérieure était tout à fait adaptée et justifiée.
La fiche d’information de la société française d’ophtalmologie remise à la patiente et signée avant l’intervention précise :
"Incidents ou difficultés peropératoires : Ils sont rares et imprévisibles mais peuvent modifier le déroulement de l'intervention. La principale complication est la rupture de la capsule (moins de 5 % des cas). Elle conduit parfois à placer l'implant devant la pupille, voire à renoncer à toute implantation".
La mise hors de cause de l’anesthésiste et la condamnation de l’ophtalmologiste
A la suite du dépôt du rapport d’expertise, la patiente décide d’assigner au fond le médecin anesthésiste ainsi que l’ophtalmologiste et demande leur condamnation in solidum.
Le tribunal rend son jugement le 20 octobre 2021.
Selon les magistrats :
- L’ophtalmologiste a commis une faute en omettant d'appliquer une bande de contention frontale lors de l'intervention, ce qui aurait éliminé au maximum les risques de mouvements intempestifs de la patiente.
- L'anesthésiste est mis hors de cause car il a complété, sans délai, la première anesthésie topique par gel par une injection intraveineuse pour approfondir la sédation de la patiente.
Pour le tribunal, l’anesthésie de départ n’a pas fonctionné ou, en tout état de cause, l’effet de celle-ci s’était déjà dissipé lors du début de l’intervention. Ce problème a été rattrapé par une injection intraveineuse pour approfondir la sédation.
L’absence temporaire du bloc opératoire de l’anesthésiste ne l’a pas empêché de prendre les mesures requises et appropriées aux circonstances, visant à calmer la douleur de la patiente. Il a prodigué des soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science et n’a donc pas commis de faute.
En revanche, l’ophtalmologiste, qui avait la maîtrise du cadre opératoire, a constaté l’état d’agitation de la patiente, comme relevé dans son compte rendu opératoire.
Il ne pouvait ignorer, comme le rappelle l’expert, que dans 20 % des cas, les patients sous anesthésie locorégionale ressentent la douleur et sont donc susceptibles d’effectuer des mouvements inopinés et inconsidérés.
Il ne s’est pas comporté en médecin normalement avisé, diligent et compétent en ne mettant pas en œuvre tous les moyens dont il pouvait disposer et notamment, en omettant d’appliquer une bande de contention frontale pour éliminer au maximum le risque de mouvements intempestifs.
En conséquence et contrairement à ce qui est allégué par l’expert judiciaire, dont l’avis ne lie pas le juge, l’ophtalmologiste a manqué à son obligation de sécurité à l’égard de la patiente et a commis une faute.
L’ophtalmologiste est condamné à réparer les préjudices subis à hauteur de 95 %, le tribunal admettant qu’il existait un aléa thérapeutique inhérent à l’opération de la cataracte et consistant en une possibilité de rupture capsulaire dans 5 % au maximum des cas.
Que retenir de cette affaire ?
Cette décision est remarquable pour plusieurs raisons :
- Le tribunal rappelle qu’il n’est pas tenu par les conclusions de l’expert, chargé de l’éclairer mais dont l’avis ne s’impose pas à lui.
- Le médecin ophtalmologiste est considéré comme seul responsable d’un mauvais positionnement de la patiente.