Un respirateur qui se débranche… avec de graves conséquences
Une patiente de 23 ans subit en clinique une intervention en deux temps, consistant en une biopsie utérine par curetage suivie d’une cœlioscopie, pour poser un diagnostic sur des douleurs pelviennes.
Elle est victime d'une anoxie prolongée après déconnexion de la sonde endotrachéale. Cette déconnexion s’est produite alors que l'anesthésiste s’était absentée du bloc pour se rendre au chevet d’une autre patiente, en détresse vitale. Seule une IBODE était présente, l’opérateur s’étant absenté pour se stériliser les mains en donnant pour instruction de préparer la patiente pour la cœlioscopie. Quant à l’aide-soignante, elle était allée chercher du matériel.
L’IBODE étant occupée à préparer les instruments nécessaires à la cœlioscopie, n’a pas pris en compte l’alarme qui s’est déclenchée lorsque, pour une raison indéterminée, le tube du respirateur artificiel s’est débranché.
L’anoxie prolongée est à l’origine de séquelles neurologiques extrêmement graves, l’incapacité permanente partielle étant évaluée à 99 %. La patiente est en coma végétatif.
La famille engage des poursuites pénales à l’encontre de l’anesthésiste, qui est relaxée en première instance. En appel, elle est condamnée pour blessures involontaires. Elle forme un pourvoi à l’encontre de l’arrêt d’appel. La Cour de cassation, par un arrêt du 15 janvier 2019, confirme la condamnation à six mois d’emprisonnement avec sursis.
Une absence de consignes claires de la part de l'anesthésiste, à un moment délicat de l’intervention
La Cour de cassation rappelle que l'anesthésie générale est, par nature, un acte exigeant une surveillance continue et qualifiée.
En quittant la salle, l’anesthésiste s’est bornée à demander au personnel de surveiller la patiente, sans donner de consignes précises.
À ce moment, le personnel présent en salle était pourtant réduit, puisque :
- le gynécologue en charge de l'opération s’était absenté momentanément pour se stériliser les mains ;
- l’IBODE avait reçu pour instruction de préparer la patiente pour la seconde intervention. Cela impliquait la préparation du matériel ainsi qu’une participation au passage de la position gynécologique à la position couchée. C’est d’ailleurs parce qu’elle préparait le matériel que l’IBODE n’a pas immédiatement réagi lors du déclenchement de l’alarme du respirateur.
Il est donc fautif de la part de l’anesthésiste de n’avoir laissé aucune consigne précise de surveillance à ce moment critique qu'est, par nature, le changement d'intervention, avec des mouvements de personnel et un changement de matériel induisant une baisse de vigilance.
Une surveillance qui n’est pas conforme aux recommandations de la SFAR
En appel, les juges avaient souligné que la présence de l’anesthésiste ou d’un IADE est obligatoire tout au long de l’anesthésie, jusqu’au transfert en salle de réveil, conformément aux recommandations de la SFAR*.
Si l’anesthésiste est amené à quitter la salle, il doit confier la surveillance de l’anesthésie à un autre médecin anesthésiste ou à un IADE.
—
En laissant sa patiente, toujours placée sous anesthésie générale, sans surveillance par un personnel habilité au moment où elle a quitté la salle, l’anesthésiste a commis une faute caractérisée qui a exposé la patiente à un risque d'une particulière gravité, inhérent à toute anesthésie générale, que tout médecin anesthésiste ne peut ignorer de par sa formation.
*Recommandations de la SFAR concernant la surveillance des patients en cours d'anesthésie
(2e édition - Juin 1989-Janvier 1994)
Toute anesthésie générale, locorégionale, ou sédation susceptible de modifier les fonctions vitales doit être effectuée et surveillée par ou en présence d'un médecin anesthésiste-réanimateur qualifié. (...)
Si le médecin anesthésiste-réanimateur est amené à quitter la salle d'opération, il confie la poursuite de l'anesthésie à un autre médecin anesthésiste-réanimateur qualifié. S'il la confie à un médecin anesthésiste-réanimateur en formation ou à un(e) infirmier(e) anesthésiste, il reste responsable de l'acte en cours et peut intervenir sans délai.
La mauvaise organisation du service n’exonère pas l’anesthésiste de sa responsabilité
Pour sa défense, l’anesthésiste invoquait une mauvaise organisation du service puisqu’elle avait été contrainte de suivre plusieurs anesthésies en même temps, dans plusieurs salles. C’est ce qui l’avait amenée à quitter le bloc en cours d’anesthésie pour se rendre au chevet d’une autre patiente en détresse vitale.
Les juges reconnaissent que l’organisation du service était imparfaite, mais cela ne peut être regardé comme la cause exclusive du dommage. Par son comportement, la prévenue a contribué de façon certaine à créer la situation ayant permis la réalisation du dommage, et a donc engagé sa responsabilité pénale, sur le fondement de l’article 121-3 du Code pénal.