Un oubli de compresse causant une pansinusite unilatérale
Une patiente de 18 ans se fait extraire les quatre dents de sagesse (dents n° 18-28-38-48) par un chirurgien maxillo-facial. Trois mois après l’intervention, présentant des épisodes œdémateux et infectieux ponctuels, elle prend plusieurs rendez-vous auprès de son chirurgien-dentiste traitant au cours des cinq mois suivants.
La radiographie panoramique de contrôle faite au cours du premier rendez-vous ne permet pas de détecter de problème infectieux ou autres justifiant ces douleurs.
Au cours des consultations suivantes, un traitement à base d’antibiotiques et d’antalgiques est prescrit, sans aucune amélioration.
Neuf mois après l’intervention, la patiente est orientée auprès d’un stomatologue qui, au décours d’un scanner, diagnostique une pansinusite unilatérale s’étendant vers la fosse temporale. Son origine est liée à la présence d’un oubli de compresse, qui sera extraite par la suite.
Le sinus maxillaire droit sera en partie délabré par la présence de ce corps étranger.
La patiente met en cause le chirurgien maxillo-facial responsable de l’oubli de compresse devant le tribunal.
La mise en cause du chirurgien-dentiste après une expertise en deux temps
Première étape : seul le chirurgien maxillo-facial est mis en cause
Le tribunal ordonne une expertise confiée à un expert chirurgien maxillo-facial.
À l’issue de la réunion, l’expert précise qu’en l’absence du chirurgien-dentiste ayant effectué le suivi postopératoire, il ne peut rendre de conclusions définitives.
Il estime en effet que celui-ci a été le seul à suivre la patiente après l’intervention et qu’il est donc à l’origine d’un défaut de diagnostic ayant conduit à une perte de chance d’obtenir une réintervention plus rapide.
Deuxième étape : mise en cause du chirurgien-dentiste ayant assuré le suivi postopératoire
Assigné par la victime, le chirurgien-dentiste est présent et assisté au cours d’une seconde réunion, toujours en présence du chirurgien maxillo-facial, de la patiente et du même expert.
À l’issue de cette seconde expertise, il est relevé que les infirmières de bloc opératoires ont indiqué que le compte des compresses était juste, alors même qu’il en manquait une.
L’expert précise que, bien que "mises à disposition" du chirurgien, les infirmières agissaient en toute indépendance. Aucun lien de subordination n’existe entre elles et l’exécutant, puisque le comptage sort du champ même de l’intervention chirurgicale au cours de laquelle l’infirmière se trouve sous l’autorité du chirurgien exécutant.
Il précise que le comptage des compresses pour une intervention sur les dents de sagesse est "moins strict" que pour d’autres chirurgies puisque le champ opératoire est plus restreint et l’oubli de compresses moins évident.
Il conclut à la responsabilité prépondérante du chirurgien-dentiste à qui il reproche :
- une conduite thérapeutique inadaptée (absence de diagnostic en amont) ;
- un attentisme qui a participé à l’aggravation de l'état du sinus de la patiente.
Le praticien a été "un acteur de l’entretien de la pansinusite" en prescrivant des antibiotiques et en donnant l’impression à la patiente qu’il savait ce qu’il se passait et qu’une consultation auprès d’un spécialiste n’était pas nécessaire.
Le calcul de la part de responsabilité de chaque intervenant est étonnamment effectué de la façon suivante : le bon diagnostic a été posé 300 jours après l’intervention.
Le chirurgien-dentiste a vu la patiente sur une durée de 7 mois sur cette période, soit environ 230 jours. Le chirurgien-dentiste est donc intervenu pendant 230/300e du temps, soit 76 % du temps.
Un pourcentage de 76 % des préjudices lui est donc imputable.
Compte-tenu des désaccords existant sur ces conclusions, aucune transaction amiable n’aboutira entre les parties et l’affaire sera tranchée par les juges du fond.
Le tribunal retient un partage de responsabilité
Responsabilité de l'établissement du fait de l'erreur de comptage des compresses
Nous rappellerons que le chirurgien intervenait en tant que professionnel libéral et que les infirmières de bloc étaient salariées de l’établissement. Leur éventuelle faute dans l’exercice de leurs fonctions est en principe couverte par l’assureur de l’établissement.
Les juges rappellent le principe selon lequel si une infirmière est placée sous le contrôle et l’autorité d’un chirurgien au cours d’une intervention chirurgicale, l’établissement n’a plus alors d’autorité directe sur ce personnel.
Les juges précisent également que rien ne permet de dire que la procédure de check-list mise en place par l’établissement était spécifique au point de maintenir ce lien d’autorité entre l’établissement et les infirmières de bloc.
Le chirurgien était donc commettant occasionnel des infirmières "soumises temporairement à son pouvoir de direction" et, de ce fait, responsable de leurs erreurs (arrêt de la Cour de cassation : Civ. 2e, 15 mars 1976, n°74-12.164 et Cour d’appel ; Paris Pôle 2, ch. 2, 17 janvier 2014, n°11/10160).
Partage de responsabilité entre le chirurgien maxillo-facial et le chirurgien-dentiste
Dans le cadre de la défense du chirurgien-dentiste, il a été évoqué le fait qu’au premier jour de sa consultation, c’est-à-dire 83 jours après l’intervention, les conséquences de la présence de cette compresse étaient déjà visibles : la patiente présentait des signes cliniques particuliers autour du vingtième jour après l’intervention.
En effet, même si le suivi aurait dû être plus réactif à partir de la deuxième consultation, alors que les symptômes persistaient et dépassaient manifestement le cadre de compétence du praticien, il s’avère que ce retard de diagnostic n’a pas eu de conséquences sur l’état définitif du sinus.
Le Tribunal souligne que le chirurgien-dentiste "n’a fait que traiter les symptômes sans en rechercher la cause" et que, de ce fait, sa prise en charge a été fautive.
En revanche, en ce qui concerne la part de responsabilité des praticiens, les juges rejettent comme prépondérante la notion de durée de la prise en charge pour préférer celle de l’importance de la faute commise.
Il est retenu une responsabilité de :
- 60 % pour le chirurgien responsable de l’oubli de compresse,
- 40 % à l’encontre du chirurgien-dentiste qui n’a pas adressé rapidement sa patiente à un spécialiste.