Une indication posée "de guerre lasse"
Il s’agit d’une femme de 38 ans, bipolaire, en arrêt de travail et en accident de travail depuis quatre ans à la suite d’un accident de la voie publique.
Elle présente une volumineuse hernie discale L4-L5 gauche qui a déjà bénéficié d’un traitement médical maximaliste, par voie orale, de cinq infiltrations et d’une prise en charge rééducative.
Lorsqu’elle consulte notre sociétaire chirurgien, elle est sous morphinique et épuisée, physiquement comme moralement. Elle est très désireuse de chirurgie.
Le chirurgien temporise le geste dans un premier temps mais reçoit la patiente tous les deux mois pendant un an. Devant son insistance, il finit par lui proposer une intervention, et lui fournit une information exhaustive, avec un long délai de réflexion.
Tout s’est bien passé mais pourtant rien ne va plus…
L’intervention se déroule sans aucun incident. Mais dès le lendemain, la patiente se plaint de radiculalgies gauches, intéressant le territoire L5 et associées à un déficit moteur.
Une IRM, obtenue en urgence, s’avère normale. Il est donc décidé d’une surveillance attentive, et un traitement neuroleptique à visée antalgique est prescrit par l’anesthésiste.
Les 2e et 3e jours postopératoires se déroulent dans le calme, la sortie est donc envisagée pour le 4e jour. Mais à J4, le tableau récidive : de nouveau une IRM est réalisée et revient normale. La patiente sort finalement au 6e jour.
Une patiente plus crédible…
À J10, la patiente rappelle notre sociétaire sur son portable pour une nouvelle crise douloureuse déficitaire. Elle est reconvoquée sans délai. L’examen neurologique et la cicatrice sont normaux, un bilan biologique est réalisé et revient normal.
Le 13e jour, un vendredi à 18 heures, nouvel appel : "J’ai très mal, je ne bouge plus ma jambe". Le chirurgien, désespéré, lui répond : "Vous n’avez rien, on a fait tous les examens. C’est la douleur postopératoire".
Finalement, la patiente consultera le surlendemain au Centre hospitalier où elle sera opérée en urgence d’une récidive de hernie discale compressive. Elle ne récupérera pas de son déficit.
Le chirurgien sanctionné
L’expert valide l’indication opératoire, l’information et la qualité du geste opératoire. Le suivi postopératoire immédiat durant l’hospitalisation a été diligent et conforme.
Il est survenu, comme il est classique, une récidive de hernie discale en postopératoire précoce, ce que l’expert qualifie d’accident médical non fautif.
L’absence de réactivité de notre sociétaire est qualifiée de non conforme, même en tenant compte du profil psychologique particulier de la patiente. Pour l’expert, le chirurgien aurait dû, malgré les précédents épisodes, reconvoquer sa patiente une nouvelle fois.
Il retient une perte de chance de 75 % de voir une évolution favorable.
Ce qu’il faut retenir
Tous les patients ne sont pas candidats à la chirurgie.
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Devant une imagerie objectivant une volumineuse hernie discale chez une femme qui a eu un traitement médical maximaliste, l’indication opératoire est parfaitement licite. Cependant, le contexte apparaissait particulier ici :
- fragilité psychologique de la patiente,
- contexte d’accident de travail,
- arrêt de travail depuis quatre ans,
- cinq infiltrations réalisées,
- patiente sous morphiniques depuis un an, excessivement demandeuse d’une chirurgie,
- patiente qui consulte tous les deux mois son chirurgien pour se faire opérer.
Pris séparément, chacun de ces éléments n’était aucunement une contre-indication chirurgicale. Mais dans le cas présent, il existait un faisceau d’arguments faisant craindre des suites opératoires compliquées.
1er enseignement : savoir passer la main
Dans un tableau comme celui-ci, nous considérons que le chirurgien ne doit pas hésiter, avant épuisement, à passer la main et à adresser son patient :
- à un centre antidouleur,
- ou à un service de rhumatologie,
- ou pour une prise en charge pluridisciplinaire en Centre Hospitalier Universitaire.
2e enseignement : prudence en cas de rappel du patient après chirurgie
La prudence est de mise lors d’un appel téléphonique du patient faisant état potentiellement d’une situation d’urgence.
Même si le contexte, comme dans le cas présent, parait rassurant, il faut reconvoquer le patient ou, en cas d’indisponibilité, lui demander de consulter un service des Urgences d’un Centre hospitalier universitaire sans délai.
3e enseignement : une complication peut en cacher une autre
Cette femme avait manifestement un profil psychologique très expressif dans les suites opératoires, ce qui constitue une complication à part entière car difficile à gérer.
Cependant, une complication organique peut aggraver la survenue de la décompensation psychologique postopératoire. Ce risque doit être appréhendé et pris en considération de façon systématique dans l’évaluation postopératoire de nos patients.