Une perte de vision rapide
Le 24 octobre 2020, un chirurgien-dentiste avulse les dents 13 14 15 de son patient qui présentait une importante parodontopathie, mais aucune pathologie générale. L’intervention est simple et ne révèle pas de communication bucco sinusienne.
Le 26 octobre, le patient présente un œdème sous-orbitaire droit.
Le 30 octobre, il consulte son médecin généraliste qui observe un œdème palpébral supérieur et évoque une allergie.
Le 1er novembre, le patient se rend aux urgences du centre hospitalier pour des céphalées, des brulures oculaires et une insomnie. Une pommade antibiotique est prescrite.
Le 2 novembre, il consulte son ophtalmologiste qui lui donne un nouveau traitement.
Le 6 novembre, il consulte à nouveau ce praticien qui demande un bilan radiologique et une échographie.
Le 7 novembre, l’échographie orbitaire droite met en évidence au moins quatre structures arrondies bien limitées, hyperéchogènes, en projection de la berge médiane de l’orbite venant refouler ce dernier vers le versant latéral ; la réalisation d’un doppler montre de multiples abcès dans un contexte d’éthmoïdite extensive. Le patient est orienté vers les urgences du Centre hospitalier avec une exophtalmie de grade III et une ophtalmoplégie quasi-totale, un traitement par ceftazidime IV et flagyl étant institué.
Le 8 novembre, la perte de la perception lumineuse de l’œil droit est constatée.
Le patient est immédiatement transféré dans un autre Centre hospitalier où une IRM confirme un abcès intra orbitaire droit et ses conséquences. Ce même jour, il est opéré pour un drainage. Le germe stretococcus constellatus est retrouvé dans les prélèvements.
Le 17 novembre, une nouvelle IRM objective un résidu de collection intra orbitaire qui impose une nouvelle intervention.
Le 18 novembre, un drainage d’abcès orbitaire droit par voie sous ciliaire est effectué ; un bilan général met en évidence une cryoglobulinémie de type III.
La perte de la vision de l’œil droit est notée comme irréversible.
Une mise hors de cause grâce à la bonne tenue du dossier médical
On ne s’intéressera ici qu’aux actes du chirurgien-dentiste qui a pratiqué les avulsions, sans développer la conformité ou non des diagnostics et des prises en charge par les divers spécialistes et services hospitaliers consultés ensuite.
- L’apparition d’une éthmoïdite (ayant eu pour conséquence l’atteinte orbitaire) dans les suites d’extractions dentaires est imprévisible et rarissime. Cette complication étant à peine connue, les juges ont admis que le praticien n’avait pas à dispenser cette information à son patient.
- L’indication d’avulsion a été correctement posée et la conservation des dents atteintes et mobiles était contre-indiquée. L’acte a été réalisé sans difficultés et avec un curetage soigneux, sous anesthésie locale. Les instruments étaient stériles. Le praticien était, de plus, légitime à ne pas mettre en place d’antibiothérapie compte tenu de l’absence de pathologie d’ordre général.
Dans ce dossier tous les éléments ont pu être démontrés aisément par le chirurgien-dentiste qui a produit un dossier dentaire complet et parfaitement tenu.
Celui-ci comprend le questionnaire médical initial validant l’absence de pathologie d’ordre général et par voie de conséquence l’absence d’indication d’antibiothérapie en première intention ; les radiographies initiales validant l’indication d’avulsions, mais aussi la traçabilité de stérilisation des instruments.
Tous ces éléments ont permis aux experts de conclure que l’intervention était justifiée et réalisée dans des conditions conformes aux règles d’hygiène.
- En ce qui concerne le suivi, il n’est pas retrouvé de manquement au motif que le patient n’a jamais avisé son chirurgien-dentiste des complications qui ont suivi le geste.
À retenir : l’importance de la traçabilité
Ce cas clinique illustre l’importance des pièces présentées
- Si le chirurgien-dentiste n’avait pas réalisé de clichés préopératoires ou ne les avait pas conservés, les experts auraient pu douter de l’indication d’avulsion des trois dents. Dans cette hypothèse, le chirurgien-dentiste aurait pu être tenu pour responsable des conséquences, même inhabituelles, des complications retrouvées.
- Le questionnaire médical validant objectivement l’absence de pathologie connue au moment des faits motivait l’absence de mise en place d’une antibiothérapie pour des avulsions simples.
- La traçabilité de la stérilisation des instruments utilisés a également contribué à écarter la responsabilité du praticien dans les complications retrouvées par la suite.
Ainsi, la conformité des soins a pu être dressée sur des bases objectives, apportées par l’ensemble des documents conservés et produits par le chirurgien-dentiste.