Une erreur de posologie aux lourdes conséquences
Une enfant naît en juin 1999, après qu’il ait été diagnostiqué, au cours de la grossesse, une séroconversion toxoplasmique. Il est prescrit un traitement associant Malocide® (pyriméthamine) 1 mg/kg et par jour et Adiazine® (sulfadiazine) 100 mg/kg et par jour.
Ce traitement est renouvelé, alors que l’enfant est âgée de 14 mois, par une ordonnance du pédiatre qui comporte une erreur de posologie, dans un rapport de 1 à 10. Cette erreur n’est pas relevée par le préparateur salarié de la pharmacie, qui délivre les médicaments.
L’enfant va présenter une perte de connaissance brutale avec état de mal convulsif qui va la mener en réanimation pédiatrique pendant dix jours. Dans les suites, elle connaît plusieurs épisodes d’épilepsie et présente un retard de langage et des troubles attentionnels.
L’expertise établit un lien de causalité direct et certain entre l’état de mal convulsif provoqué par l’erreur de posologie et la pathologie comitiale.
Condamnation personnelle du préparateur en pharmacie sur le plan pénal
Un jugement du 22 juin 2015 se prononce sur la responsabilité pénale des différents intervenants.
Le pédiatre prescripteur et la pharmacie sont reconnus coupables de blessures involontaires, pour ne pas avoir vérifié l’ordonnance et la correspondance des dosages avec la taille et le poids de la jeune patiente.
S’agissant plus précisément du préparateur, le jugement retient que le différentiel entre la quantité prescrite et l’âge de l’enfant aurait dû l’alerter. Le préparateur ne peut arguer ni de sa surcharge de travail, qui n’a pas été établie par l’enquête, ni de sa fatigue personnelle.
Les juges considèrent qu’il a commis une faute qui ne peut être qualifiée de simple, puisqu’elle a exposé autrui à un risque grave.
Il est reconnu coupable de blessures involontaires et condamné à une amende de 750 euros avec sursis.
Immunité civile du préparateur en pharmacie et condamnation de son employeur
Sur les intérêts civils, le jugement est rendu le 7 juin 2018, après réalisation d’une expertise pour évaluer le lien de causalité entre l’erreur de posologie et les troubles dont l’enfant reste atteinte. Ce lien étant établi, restait à répartir la charge de l’indemnisation entre les différents intervenants, au regard de la responsabilité civile qui leur incombe.
Les juges rappellent le principe bien établi selon lequel "le préposé bénéficie d’une immunité quant à sa responsabilité civile à l’égard des tiers lorsqu’il agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant".
En d’autres termes, tout salarié qui agit dans le cadre de sa mission n’engage pas sa responsabilité civile personnelle, et il appartient alors à son employeur, en tant que commettant, de prendre en charge les condamnations pécuniaires éventuellement prononcées.
En l’espèce, la pharmacie employeur prétendait que, dans la mesure où une infraction pénale avait été relevée à l’encontre du préparateur, l’abus de mission se trouvait caractérisé de fait, et il devait répondre personnellement de sa faute au civil.
Les juges refusent de suivre ce raisonnement et appliquent le principe posé par la Cour de cassation, par un arrêt du 19 octobre 2010, selon lequel il appartient aux juges du fond de toujours rechercher en quoi le préposé aurait outrepassé sa mission.
En l’espèce, les juges considèrent que le préparateur en pharmacie a bien agi dans le cadre de son activité salariée, sa mission consistant à procéder à la vérification des enregistrements informatiques à partir des ordonnances reçues et à l’adéquation de la prescription.
Même s’il a commis une erreur de vérification, qui lui a valu une condamnation pénale, il est cependant resté dans les limites de la mission confiée par l’employeur. Ce sont donc la pharmacie employeur et, in fine, son assureur qui sont condamnés à indemniser l’enfant, conjointement avec le pédiatre prescripteur.
Une solution conforme à la jurisprudence
Le principe de l’immunité civile du salarié est solidement établi, et ne peut être remis en question que dans des cas limités :
- Lorsque le salarié a outrepassé sa mission
L’abus de fonction a été caractérisé par la Cour de cassation dans un arrêt de l’Assemblée plénière du 19 mai 1988 et suppose la réunion de trois conditions cumulatives :
- des agissements hors fonction (évalués selon le temps et le lieu de l'action et les moyens procurés au préposé par ses fonctions) ;
- une absence d’autorisation de l’employeur ;
- un acte commis à des fins étrangères aux attributions du préposé.
Compte tenu de ces exigences, l’abus de fonction est très rarement retenu.
- Lorsque le salarié a commis une infraction pénale qualifiée d’intentionnelle
Le caractère intentionnel fait tomber l’immunité civile du salarié, car il ne serait pas logique que l’employeur supporte financièrement la charge de l’indemnisation alors que son préposé a agi intentionnellement.
En revanche, l’existence d’une faute pénale non intentionnelle n’entraîne pas, de fait, la fin de l’immunité civile : encore faut-il que le juge recherche et motive en quoi le préposé aurait commis un abus de fonction. C’est bien ce qu’illustre cette décision.