L'impartialité de l'expert : une condition indispensable
Selon les dispositions de l’article 237 du Code de procédure civile, l’expert doit accomplir sa mission "avec conscience, objectivité et impartialité".
Il doit présenter ses conclusions :
- sans se livrer à des jugements subjectifs,
- en s’imposant une stricte neutralité,
- en s’interdisant de tenir compte, dans son activité, de l’inclinaison ou de la réserve qu’il peut éprouver à l’égard d’une des parties.
Le fondement de cette déontologie réside dans le respect d’une éthique rigoureuse, indispensable au fonctionnement d’une justice irréprochable.
Si, dans la très grande majorité des cas, l’expert désigné refuse la mission qui lui a été confiée lorsqu’il entretient des liens avec l’une des parties (patient ou praticien), il peut arriver que les juges aient à prononcer sa récusation à la demande de l'une des parties.
Des liens d'amitié incompatibles avec la mission d'expertise
Un patient est opéré par un praticien d’un kyste infectieux à la mâchoire. La persistance des douleurs le conduit à consulter un autre chirurgien-dentiste qui procède à une nouvelle intervention chirurgicale. Estimant que les soins initiaux étaient fautifs, le patient assigne le premier praticien en référé expertise.
L’expert désigné conclut à des soins non conformes aux règles de l’art et retient la responsabilité du praticien.
A l’issue de cette expertise, le patient décède et ses ayants-droits reprennent l’instance en cours.
Un nouvel expert est désigné. Il fait l’objet d’une demande de récusation par la famille du patient. Celle-ci, déboutée de sa demande, interjette appel du jugement de première instance.
Par un arrêt du 7 avril 2011, la cour d’appel de Paris prononce la récusation de l’expert judiciaire et ordonne la désignation d’un nouvel expert. Il résulte des pièces produites aux débats que le praticien mis en cause est le fondateur d’un organisme de formation auquel il participe, tout comme l’expert judiciaire en qualité d’intervenant, et ce, à de nombreuses occasions, tant en France qu’à l’étranger.
Il s’avère également que les deux intervenants ont écrit et cosigné plusieurs ouvrages et articles spécialisés.
Compte tenu de ces éléments objectifs, la Cour considère que les demandeurs "sont en droit de nourrir des soupçons légitimes sur l’impartialité de l’expert tenant aux liens très proches et suivis, et à la collaboration étroite qu’il entretient avec l’une des parties au litige, liens qui s’analysent en une amitié notoire et une communauté d’intérêt et sur lesquels l’expert est resté silencieux lors du déroulement des opérations d’expertise".
Des liens professionnels incompatibles avec la mission d'expertise
Le tribunal de grande instance d’Aix en Provence a, dans un dossier similaire, déchargé l’expert judiciaire de sa mission d’expertise compte tenu des liens étroits qu’il avait avec le praticien mis en cause. En l’espèce, ils exerçaient dans des locaux contigus, collaboraient fréquemment et il existait de surcroît un lien de subordination entre eux dans le cadre universitaire.
À retenir
Les juges sont particulièrement vigilants quant au respect des règles de procédure civile.
Le Conseil d’État a récemment eu l’occasion de le rappeler dans un arrêt du 11 octobre 2023 : "Il appartient au juge, saisi d’un moyen mettant en doute l’impartialité d’un expert, de rechercher si, eu égard à leur nature, à leur intensité, à leur date et à leur durée, les relations directes ou indirectes entre cet expert et l’une ou plusieurs parties au litige sont de nature à susciter un doute sur son impartialité".
Dès lors qu’il existe un doute très sérieux et légitime sur l’impartialité de l’expert, à laquelle il est expressément tenu par les dispositions de l’article 237 du Code de procédure civile, il doit être fait droit à la demande de récusation sur le fondement des articles 234-341 du Code de procédure civile.