Interruption des soins possible mais sous conditions
La relation entre un infirmier et son patient doit être basée sur la confiance réciproque. Il est possible que cette relation se révèle d’emblée mauvaise ou évolue mal dans le temps, perturbant ainsi la bonne réalisation des soins. Il est alors de l’intérêt des deux qu’elle cesse, mais de manière correcte.
C’est dans cet esprit que le code de déontologie infirmier a organisé le refus de soins par les infirmiers. Ainsi, l’article R4312-12 du Code de la santé publique (CSP) prévoit que :
"Dès lors qu'il a accepté d'effectuer des soins, l'infirmier est tenu d'en assurer la continuité. Hors le cas d'urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d'humanité, un infirmier a le droit de refuser ses soins pour une raison professionnelle ou personnelle. Si l'infirmier se trouve dans l'obligation d'interrompre ou décide de ne pas effectuer des soins, il doit, sous réserve de ne pas nuire au patient, lui en expliquer les raisons, l'orienter vers un confrère ou une structure adaptée et transmettre les informations utiles à la poursuite des soins."
Les principes énoncés se retrouvent dans d’autres règlementations professionnelles, par exemple le code de déontologie des médecins, qui prévoit dans son article 47 (article R.4127-47 CSP) une disposition similaire.
Ces principes, qui ne s’appliquent pas aux situations d’urgence, sont simples :
- Priorité absolue à la continuité des soins.
- Les droits fondamentaux des patients doivent être préservés.
- Les raisons pour interrompre les soins peuvent aussi bien être professionnelles que personnelles et doivent être expliquées au patient.
- Le patient doit être accompagné dans la recherche d’un autre soignant et celui-ci doit disposer des éléments nécessaires pour sa prise en charge.
Cet arrêt des soins infirmiers ne doit pas porter tort, de quelque manière que ce soit, au patient. Il ne peut donc avoir lieu tant qu’une solution de remplacement n’a pas été trouvée.
En secteur libéral, cette exigence de continuité des soins constitue le principal frein au changement d’infirmier.
Deux situations où une infirmière a interrompu la prise en charge d'un patient
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Patient tombé amoureux de son infirmière en psychiatrie
Une infirmière d’un service de psychiatrie prend en charge un patient qui, progressivement, fait un transfert amoureux sur elle.
Au fil des jours il est de plus en plus insistant, ce qui la met mal à l’aise et perturbe sa prise en charge. Elle en informe alors sa cadre qui prend la situation au sérieux et réorganise les équipes afin qu’elle n’ait plus à s’occuper de ce patient.
Elle va donc le voir une dernière fois, accompagnée du collègue qui (en semaine) va la remplacer et lui explique que, vu la tournure de leur relation, il a été décidé du changement d’IDE.
Relations conflictuelles entre l'infirmière libérale et la fille d'une patiente âgée
Une infirmière libérale prend en charge depuis plusieurs années à domicile une patiente âgée (de plus de 95 ans), qui nécessite déjà de nombreux soins mais dont l’état cognitif se dégrade rapidement.
Ses rapports avec la famille (essentiellement la fille aînée) étaient déjà difficiles (dénigrements réguliers, remise en cause de la qualité et même de la réalité des soins dispensés…) et sont devenus extrêmement conflictuels quand elle a évoqué la nécessité d’une admission en EHPAD. Les enfants de la patiente se sont ligués contre elle, l’accusant de tout ce qui arrive à leur mère (jusqu’au vol de l’argenterie !), tout en la sommant néanmoins de continuer sa prise en charge.
Dans un premier temps, l’infirmière poursuit les soins par égard pour la patiente qu’elle apprécie, mais elle ne peut plus faire ainsi sa visite quotidienne la peur au ventre.
Elle explique calmement à la fille de la patiente qu’il n’est plus possible de poursuivre les soins dans ces conditions, pour le bien de la patiente elle-même. Elle communique les coordonnées de cabinets d’infirmiers libéraux aux alentours qui pourraient intervenir à sa place.
Finalement, le médecin traitant, que l’infirmière a prévenu de la mésentente, parvient à convaincre la fille de la patiente que l’EHPAD est la meilleure solution. L’infirmière a poursuivi les soins jusqu’à l’entrée (miraculeusement rapide) en EHPAD.
Ces deux cas, qui ne sont pas issus de la jurisprudence mais de situations réelles qui nous ont été rapportées, auraient pu donner lieu à un contentieux.
Le fait d’expliquer les raisons (légitimes) du changement d’infirmière et de ne pas se précipiter permet d’obtenir, dans la plupart des cas, une acceptation par le patient et/ou ses proches.
Quand l'interruption de soins infirmiers est-elle abusive ?
Comme un certain nombre de conditions ont été posées pour interrompre les soins infirmiers, il pourrait y avoir abus quand celles-ci ne sont pas toutes réunies.
Même en l’absence de préjudice pour le patient, une procédure destinée uniquement à obtenir la sanction du professionnel concerné est envisageable, comme une procédure ordinale, voire pénale (non-assistance à personne en péril, mise en danger d’autrui).
Ces abus peuvent ainsi se retrouver si l’infirmier a mis le patient en danger par l’arrêt de la prise en charge ou si son motif n’est pas légitime. Les raisons invoquées peuvent être "professionnelles ou personnelles" selon l'article R4312-12 CSP.
Si l’on voit bien ce que peuvent être les raisons professionnelles avec les deux situations décrites, les raisons personnelles sont plus difficiles à envisager, mais la santé de l’infirmière pourrait en être une (par exemple restriction au port de charges lourdes formulée par la médecine du travail).
Parmi les motifs qui pourraient donner lieu à poursuite, citons :
- la couverture sociale du patient,
- son âge,
- son sexe ou son orientation sexuelle,
- sa religion,
- ses opinions politiques…
Ainsi, par exemple, des procédures ont été mises en œuvre devant l’Ordre des médecins à l’encontre de praticiens refusant de prendre en charge les patients bénéficiaires de la CMU.
À retenir
Le refus de soins infirmiers doit être réservé à des cas exceptionnels où la poursuite de la prise en charge serait préjudiciable au patient tant la relation est dégradée.
Changer de professionnel peut réellement constituer un nouveau départ et une chance pour le patient de voir sa prise en charge améliorée. Cela peut aussi l’amener à modifier son attitude vis-à-vis des soignants, vers une meilleure collaboration, toujours dans l’intérêt commun.