La règlementation permet à l’infirmier de cesser les soins, mais sous certaines conditions
La relation entre un infirmier et son patient doit être basée sur la confiance réciproque. Il est possible que cette relation se révèle d’emblée mauvaise ou évolue mal dans le temps, perturbant ainsi la bonne réalisation des soins. Il est alors de l’intérêt des deux qu’elle cesse, mais de manière correcte.
C’est dans cet esprit que le Code de déontologie infirmier (2016) a organisé le refus de soins par les infirmiers. Ainsi, l’article R.4312-12 du Code de la santé publique (CSP) prévoit que :
"Dès lors qu'il a accepté d'effectuer des soins, l'infirmier est tenu d'en assurer la continuité. Hors le cas d'urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d'humanité, un infirmier a le droit de refuser ses soins pour une raison professionnelle ou personnelle. Si l'infirmier se trouve dans l'obligation d'interrompre ou décide de ne pas effectuer des soins, il doit, sous réserve de ne pas nuire au patient, lui en expliquer les raisons, l'orienter vers un confrère ou une structure adaptée et transmettre les informations utiles à la poursuite des soins"
Les principes énoncés se retrouvent dans d’autres règlementations professionnelles comme par exemple le Code de déontologie des médecins qui prévoit dans son article 47 (article R.4127-47 CSP) une disposition similaire.
Ces principes, qui ne s’appliquent pas aux situations d’urgence sont simples :
- Priorité absolue à la continuité des soins.
- Les droits fondamentaux des patients doivent être préservés.
- Les raisons pour interrompre les soins peuvent aussi bien être professionnelles que personnelles et doivent être expliquées au patient.
- Le patient doit être accompagné dans la recherche d’un autre soignant et celui-ci doit disposer des éléments nécessaires pour sa prise en charge.
Il est ainsi hors de question que cet arrêt des soins infirmiers porte tort de quelque manière que ce soit au patient, si bien qu’il ne peut avoir lieu tant qu’une solution de remplacement n’a pas été trouvée.
En secteur libéral, cette exigence de continuité des soins constitue le principal frein au changement d’infirmier.
Deux situations où l’infirmière a mis en œuvre ce refus de soins
- Une infirmière d’un service de psychiatrie prend en charge un patient qui, progressivement, fait un transfert amoureux sur elle. Au fil des jours il est de plus en plus insistant, ce qui la met mal à l’aise et perturbe sa prise en charge. Elle en informe alors sa cadre qui prend la situation au sérieux et réorganise les équipes afin qu’elle n’ait plus à s’occuper de ce patient. Elle va donc le voir une dernière fois, accompagnée du collègue qui (en semaine) va la remplacer et lui explique que, vu la tournure de leur relation, il a été décidé du changement d’IDE.
- Une infirmière libérale prend en charge depuis plusieurs années à domicile une patiente âgée (de plus de 95 ans) qui nécessite déjà de nombreux soins mais dont l’état cognitif se dégrade rapidement. Ses rapports avec la famille (essentiellement la fille aînée) étaient déjà difficiles (dénigrements réguliers, remise en cause de la qualité et même de la réalité des soins dispensés…) et sont devenus extrêmement conflictuels quand elle a évoqué la nécessité d’une admission en EHPAD. Les enfants de la patiente se sont ligués contre elle, l’accusant de tout ce qui arrive à leur mère (jusqu’au vol de l’argenterie !), tout en la sommant néanmoins de continuer sa prise en charge.
Dans un premier temps, l’infirmière poursuit les soins par égard pour la patiente qu’elle apprécie, mais elle ne peut plus faire ainsi sa visite quotidienne que la peur au ventre. Elle en discute avec le médecin traitant qui estime aussi que cette relation destructrice ne peut plus continuer. C’est lui qui va signifier à la famille la nécessité d’une admission en EHPAD et l’impossibilité pour l’IDE de continuer dans ces conditions. Il a finalement réussi à convaincre la fille aînée et les démarches nécessaires ont été réalisées. L’IDE a maintenu ses soins jusqu’à l’entrée (miraculeusement rapide) en EHPAD.
Ces deux cas, qui ne sont pas issus de la jurisprudence mais de situations réelles qui nous ont été rapportées, auraient pu donner lieu à un contentieux.
Le fait d’expliquer les raisons (légitimes) du changement d’infirmière et de ne pas se précipiter permet d’obtenir, dans la plupart des cas, une acceptation par le patient et/ou ses proches.
Notons que l’intervention d’un tiers (cadre, médecin traitant) se révèle souvent à la fois apaisante et constructive.
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Dans quels cas le refus de soin peut-il être considéré comme un abus ?
Comme un certain nombre de conditions ont été posées pour interrompre les soins infirmiers, il pourrait y avoir abus quand celles-ci ne sont pas toutes réunies.
Certes, le risque de mise en cause est lié à l’existence d’un préjudice en résultant mais, même en l’absence de préjudice, une procédure destinée uniquement à obtenir la sanction du professionnel concerné est envisageable, comme une procédure ordinale, voire pénale (non-assistance à personne en péril, mise en danger d’autrui).
Ces abus peuvent ainsi se retrouver si l’infirmier a mis le patient en danger par l’arrêt de la prise en charge ou si son motif n’est pas légitime. Les raisons invoquées peuvent être "professionnelles ou personnelles" selon cet article R.4312-12 CSP. Si l’on voit bien ce que peuvent être les raisons professionnelles avec les deux situations décrites, les raisons personnelles sont plus difficiles à envisager, mais la santé de l’infirmière pourrait en être une (par exemple restriction au port de charges lourdes formulée par la médecine du travail).
Parmi les motifs qui pourraient donner lieu à poursuite, citons la couverture sociale du patient, son âge, son sexe ou son orientation sexuelle, sa religion, ses opinions politiques… Ainsi, par exemple, des procédures ont été mises en œuvre devant l’Ordre des médecins à l’encontre de praticiens refusant de prendre en charge les patients bénéficiaires de la CMU.
Le refus de soins infirmiers doit donc être réservé à des cas exceptionnels où la poursuite de la prise en charge serait préjudiciable au patient tant la relation est dégradée.
À retenir
Changer de professionnel peut réellement constituer un nouveau départ et une chance pour le patient de voir sa prise en charge améliorée. Cela peut aussi l’amener à modifier son attitude vis-à-vis des soignants, vers une meilleure collaboration, toujours dans l’intérêt commun.