Le périmètre de l'étude
Pour dégager des tendances statistiques sur ce risque médico-juridique, la MACSF a mis en place un Observatoire du risque médico-juridique en chirurgie du rachis.
Il s’agit d’une base de données répertoriant toutes les réclamations patient enregistrées à la MACSF, impliquant un neurochirurgien ou un chirurgien orthopédiste du rachis sur une période déterminée (ici 8 années), quels que soient le type (civil, pénal, amiable...) et l’issue (favorable, défavorable ou sans suite).
L’objectif de ces analyses est également de mettre en évidence des récurrences sur les motifs de réclamations :
- objectivant des vulnérabilités dans les process de prise en charge ;
- permettant ainsi aux professionnels de santé de mettre en place des actions de prévention et de sensibilisation à ces risques (individuelles et/ou collectives).
Sur quels actes les réclamations ont-elles porté ?
- Le fait générateur ayant conduit le chirurgien à proposer une indication chirurgicale concerne une grande majorité de patients algiques. Il s’agit essentiellement de patients porteurs de pathologies discales (le plus souvent d’hernies) à l’origine de lombalgies mais également de sciatalgies, de cruralgies ou de névralgies cervico-brachiales pour le segment cervical.
- Dans une moindre proportion, le chirurgien du rachis intervient pour traiter des troubles neurologiques ou en réaction à un processus tumoral.
- Enfin, des dossiers font suite à une prise en charge chirurgicale rendue nécessaire par un traumatisme ou à une déformation importante du rachis type scoliose-cyphose pour laquelle une intervention chirurgicale s’avère nécessaire.
À noter que 97,5 % des dossiers ouverts font suite à une intervention dans un contexte programmé (articles D.712-40 et D.712-41 du Code de la Santé Publique) et 2,5 % des dossiers concernent une intervention réalisée dans un contexte d’urgence, à savoir un patient opéré dans les 48 heures qui suivent la première consultation du chirurgien.
Sur l’échantillon de l’étude, nous recensons essentiellement des réclamations faisant suite à une intervention sur le rachis lombo-sacré, loin devant le rachis cervical.
Les réclamations portant sur le rachis dorsal sont beaucoup plus rares.
Conformément aux tendances nationales, deux actes chirurgicaux concentrent 69 % des réclamations patient :
- l’arthrodèse avec ou sans discectomie pour près de la moitié des dossiers (47 %) ;
- la discectomie (22 % dont 7 % avec laminectomie).
Le troisième motif de réclamation concerne une intervention de recalibrage avec 13 % des dossiers ouverts, dont le tiers est associé à une laminectomie.
Les autres interventions sont très variées mais, à titre d’exemple, on peut noter des dossiers de poses de prothèses discales (3,5 %), d’exérèses de tumeurs tous segments confondus (3 %), de cimentoplasties seules (1 ,5 %) ou encore de poses de neurostimulateurs (1 %)…
Les séquelles neurologiques post-chirurgie, principal motif de réclamation des patients
Le motif de réclamation correspond à l’événement indésirable à l’origine d’un préjudice pour le patient suite à un acte de soins.
Dans plus des 3/4 des cas (77 %), le patient engage une procédure pour un des trois motifs suivants :
- Séquelles neurologiques avec atteinte d’un nerf (31 %)
Les corrections de déformation du rachis exposent à un risque de lésion médullaire. Or, ces atteintes neurologiques sont les complications les plus redoutables. Elles peuvent aboutir à des séquelles graves pour le patient (atteinte d’un ou plusieurs nerfs, paraplégies ou tétraplégies…), voire engager son pronostic vital.
À noter que 20 % de ces dossiers concernent la survenue d’un syndrome de la queue de cheval, le plus souvent en relation avec un hématome épidural. De par l’importance des conséquences fonctionnelles induites, cette complication déclenche une réclamation de façon quasi systématique.
- Douleur postopératoire persistante dans les suites de l’acte chirurgical sans cause objective établie (23,5%)
Les patients évoquent une persistance de la symptomatologie algique lombaire ou des radiculalgies, mais surtout un sentiment de "résultat insuffisant", ce qui renvoie au niveau d’attente des malades et à l’importance de la communication entre le chirurgien et son patient.
Ici, si la communication n’est pas nécessairement défaillante, elle peut être altérée par différentes causes : le chirurgien a-t-il pris le temps d’expliquer à son patient les risques d’échec et les limites de l’intervention ? quels moyens ont été employés pour informer et sensibiliser le patient ? le chirurgien s’est-il assuré, a posteriori, de la bonne compréhension des informations (reformulation, schéma, nouvelle consultation…) ? le patient était-il en position de bien comprendre l’information notamment compte tenu de son âge, de ses aptitudes, de sa douleur… ?
- Infection postopératoire (22,5%)
Pour de nombreuses spécialités chirurgicales, l’infection associée aux soins constitue un des principaux motifs de réclamation pour le patient.
Malgré les efforts mis en place ces 30 dernières années pour lutter contre le risque infectieux, celui-ci persiste pour différentes chirurgies. Et, bien que le praticien soit, en théorie, moins exposé que l’établissement de santé depuis la mise en place du régime de responsabilité sans faute, il n’échappe pas malgré tout à la réclamation. Aujourd’hui, le temps opératoire est très encadré et le risque infectieux très surveillé mais les germes retrouvés demeurent presque exclusivement manuportés ; ce qui oriente la réflexion vers le facteur humain (respect des règles d’hygiène édictées par la Société Française d’Hygiène Hospitalière par exemple…), barrière de sécurité à prendre en compte dans la prévention des infections (détection des patients à risque (score en préopératoire) ou encore respect des délais d’administration de l’antibioprophylaxie et dosage adapté…).
Dans une proportion plus faible, on retrouve des dossiers de défauts de positionnement du matériel d’ostéosynthèse ayant nécessité une reprise chirurgicale (3 %) ou encore des récidives dans les suites immédiates ou à distance de l’acte – moins de 12 mois (3 %).
Sont également à noter des erreurs de localisation (d’étage) dans 2,5 % des dossiers de l’échantillon. Si ces erreurs peuvent être induites par une particularité anatomique du patient, il est primordial pour le chirurgien de consulter en préopératoire l’ensemble des examens d’imagerie effectués pour minimiser ce risque d’erreur.
Chirurgiens du rachis : une responsabilité essentiellement indemnitaire
La responsabilité indemnitaire des chirurgiens du rachis est la plus souvent recherchée. Elle concentre 99 % des réclamations :
Les patients recherchent donc surtout une compensation financière en réparation du ou des préjudices subis qu’ils estiment en lien de causalité direct et certain avec l’acte de chirurgie du rachis.
Plus de la moitié des réclamations concernent plus précisément une procédure devant la CCI. Ce constat est en adéquation avec les données retrouvées pour d’autres cohortes médicales ou chirurgicales : les patients saisissent de plus en plus souvent les CCI.
En revanche, et c’est une tendance que l’on retrouve pour de nombreuses autres spécialités médicales et chirurgicales, la responsabilité ordinale (1 %) des chirurgiens du rachis n’est que très peu recherchée.
Par ailleurs, il est à noter qu’aucun dossier pénal n’a été enregistré sur l’échantillon de l’étude. Cela s’explique probablement par le fait que les patients s’estimant victime d’un préjudice en lien avec une intervention sur le rachis cherchent davantage à obtenir une somme d’argent en réparation du ou des préjudices subis et non une sanction pénale pour le praticien (infraction aux dispositions du Code pénal).
Pour aller plus loin, découvrez notre article
"Les différents types de mise en cause d'un médecin" >
Une issue favorable pour la majorité des dossiers
86,5 % des dossiers sont terminés et 13,5 % des dossiers sont toujours en cours.
Sur les 1 078 dossiers terminés
Nous considérons qu’un peu plus de 85 % ont connu une issue favorable pour nos sociétaires, soit parce que le dossier ne connaît aucune suite, soit :
- parce que le chirurgien du rachis est mis hors de cause,
- après dépôt d’un rapport d’expertise favorable pour le praticien,
- sans suite de la procédure par le patient.
A l’inverse, un peu moins de 15 % de ces dossiers terminés ont évolué défavorablement pour nos sociétaires mis en cause, soit par une condamnation judiciaire, soit en raison d’un avis CCI défavorable. Avec l’accord de nos sociétaires, des dossiers sont également transigés à l’amiable suite au dépôt d’un rapport d’expertise amiable ou judiciaire défavorable risquant d’évoluer vers une poursuite de la demande indemnitaire.
Sur les 168 dossiers en cours
Il convient de relever 52 "dossiers à risque". Il s’agit de dossiers en cours pour lesquels un rapport d’expertise défavorable a été rendu et qui sont en attente d’un jugement (procédure civile) ou d’un avis CCI établissant les éventuelles responsabilités.
Sont également à relever 50 dossiers en cours avec un rapport d’expertise favorable.
66 dossiers correspondent à des dossiers "en cours", en attente d’organisation d’une expertise.
Quels sont les principaux manquements retenus contre nos sociétaires chirurgiens du rachis ?
Sur l’échantillon de l’étude, 159 dossiers ont conduit à une responsabilité de nos sociétaires chirurgiens du rachis.
Le principal manquement retenu est le défaut de prise en charge essentiellement en postopératoire mais on note également 2 dossiers de défaut d’asepsie préopératoire, dont un est relatif à un défaut de préparation cutanée d’une patiente devant subir une arthrodèse lombaire (infection du site opératoire dans les suites).
35 dossiers sur ces 67 concernent plus particulièrement un défaut de prise en charge postopératoire de l’infection contractée. En effet, il n’est pas rare que la responsabilité du chirurgien du rachis soit retenue pour un défaut de prise en charge postopératoire d’un syndrome infectieux.
Si le diagnostic tardif de l’infection peut être retenu, le plus souvent c’est la gestion de la complication infectieuse qui est critiquée : soit par l’absence de recours à un avis collégial, et notamment aux compétences d’un infectiologue, soit en raison de la mise en place d’une antibiothérapie inadaptée dans son principe ou sa posologie, ou encore du fait d’examens d’exploration du germe absents ou incomplets…
De même, de manière générale, le manque de coordination au sein de l’équipe médicale en postopératoire peut être à l’origine de difficultés (par exemple : gestion du traitement personnel après une intervention chirurgicale/reprise du traitement anticoagulant).
Ainsi, une prise en charge pluridisciplinaire de la complication et une coordination entre le chirurgien et l’anesthésiste sont primordiales. Pour davantage d’efficience, cette prise en charge doit être anticipée, de concert avec la direction de l’établissement et "protocolisée" de façon à ce que les rôles de chacun soient préalablement clairement définis.
Les différentes étapes de la prise en charge médicale du patient doivent être tracées dans son dossier médical notamment pour faciliter la défense du praticien, en cas d’éventuel litige.
Dans une proportion quasi identique, les chirurgiens du rachis se voient reprocher des maladresses/défaillances techniques. Il s’agit par exemple :
- d’un oubli de compresse suite à une arthrodèse sur le rachis lombo-sacré ;
- d’un débord intra canalaire de ciment osseux lors d’une cimentoplastie osseuse lombaire à l’origine d’une parésie sévère droite L4 ;
- de l’absence de pose d’un dispositif inter épineux (implant DIAM) lors d’une arthrodèse sur le rachis lombo-sacré à l’origine d’une mauvaise stabilisation du rachis ;
- ou encore d’une erreur d’étage lors de la réalisation d’une arthrodèse cervicale antérieure C6-C7 pour recalibrage…
Par ailleurs, dans quelques dossiers, l’indication opératoire portée par nos sociétaires a été contestée, le plus souvent car elle était "précipitée", voire "abusive" au regard des signes cliniques présentés par le patient. Tel est le cas d’un patient présentant des lombalgies, à qui il a été proposé une arthrodèse lombaire sans traitement médical préalable et pour lequel l’imagerie ne mettait en évidence ni une hernie discale, ni un listhésis net et instable, ni un glissement vertébral provoquant un signal inflammatoire des plateaux vertébraux.
Dans une moindre mesure, les chirurgiens du rachis voient critiquée la technique chirurgicale utilisée et se voient reprocher des défauts ou retards diagnostiques, le plus souvent de complications infectieuses (3 dossiers sur les 5 qui concernent un retard diagnostic).
Qu'en est-il de l'obligation d'information incombant à tout praticien ?
Sur l’échantillon des 1 246 réclamations de l’étude, la responsabilité de 18 de nos sociétaires chirurgiens du rachis a été retenue au titre d’un défaut d’information (dont 4 dossiers où c’est le seul manquement qui lui a été reproché).
Pour rappel, la loi du 4 mars 2002 a codifié l’obligation d’information du patient à l’article L.1111-2 du Code de la santé publique qui indique que "toute personne a le droit d’être informée sur son état".
L’information du patient constitue un temps fort de sa prise en charge. Elle est indispensable à l’obtention de son consentement libre et éclairé à l’acte médical ou chirurgical envisagé.
En ce sens, il ne s’agit pas pour le médecin de donner une information "brute" sans aucune explication, celle-ci doit être "claire, loyale et appropriée" et adaptée à l’état de santé, aux investigations et aux soins proposés (article 35 du Code de déontologie médicale).
Un véritable dialogue doit s’instaurer entre le médecin et son patient.
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Sur les 18 dossiers dans lesquels un défaut d’information a été retenu, 6 concernent un défaut d’information sur les risques de complication liés à l’acte envisagé (par exemple : risque de séquelles neurologiques ou de brèche suite à une arthrodèse rachidienne).
Tout patient doit être informé des risques fréquents ou graves (même exceptionnels selon la jurisprudence) normalement prévisibles. Satisfaire pleinement à cette obligation peut s’avérer compliqué en pratique.
Pour aider les médecins à délivrer une information la plus exhaustive possible (but de l’intervention, modalités de réalisation de celle-ci, risques immédiats et secondaires, complications graves et/ou exceptionnelles…), il est de plus en fréquent que des syndicats de praticiens ou sociétés savantes partagent des documents d’information "types" permettant de satisfaire au maximum aux conditions édictées par les textes et la jurisprudence.
- Dans 7 dossiers, un défaut d’information a été retenu contre nos sociétaires car le document d’information et/ou le consentement éclairé n’ont pas été retrouvés par l’expert dans le dossier médical du patient.
Or, si ni les textes, ni la jurisprudence n’obligent le médecin à donner une information écrite à son patient, celle-ci vient en complément de l’information orale et permet d’établir sa délivrance en cas de litige. En effet, lors d’une expertise médicale, il faut bien garder à l’esprit que ce qui n’est pas tracé est considéré comme non fait… ! - Dans 2 dossiers, il a été reproché à nos sociétaires une information "imprécise" ne permettant pas une bonne compréhension de celle-ci par le patient.
- Un dossier concerne un défaut d’information sur une indication opératoire « précipitée » induisant l’absence d’information du patient sur l’existence d’une alternative thérapeutique le privant ainsi de donner son consentement éclairé à l’acte chirurgical réalisé.
- Dans un dossier, un défaut d’information a été retenu contre le chirurgien pour ne pas avoir informé son patient de l’erreur d’étage survenue en postopératoire.
- Enfin, dans un dossier, il a été reproché à notre sociétaire un défaut d’information en raison d’un « délai de réflexion trop bref » entre la consultation et l’intervention.
Pour aller plus loin sur le défaut d’information :
Quelles sont les obligations du professionnel de santé en matière d’information au patient ? Comment prouver la qualité de l’information donnée ? Un écrit, voire un écrit signé, est-il la seule preuve possible ? si oui quel doit en être le contenu ?