Alcool
Contrairement aux prédictions initiales présumant d’une forte majoration des consommations d’alcool durant le confinement, deux tiers des buveurs français rapportent une consommation stable et un quart rapporte une réduction de leurs apports, avec néanmoins une augmentation des fréquences d’usage(1).
La tendance s’inverse en Chine et aux États-Unis ; 40 % des américains auraient majoré leur consommation et 30 % l’auraient réduite, avec une disparité entre les différents États en lien entre autres avec les politiques internes de réglementation de la vente d’alcool durant la pandémie(2,3).
La Thaïlande et l’Afrique du Sud ont banni la vente de toute boisson alcoolisée durant la première vague.
Cette politique émane de leur volonté de désengorger les hôpitaux en réduisant entre autres les hospitalisations secondaires aux complications d’un mésusage de l’alcool(4). L’interdiction temporaire de vente d’alcool en Afrique du Sud s’est accompagnée d’une augmentation de la distillation d’alcool à domicile ; Google a enregistré une augmentation de 500 % des recherches sur les techniques de distillation durant le confinement(5).
La prise en charge des patients alcoolodépendants a également dû s'adapter au contexte sanitaire : limitations des entretiens au profit des téléconsultations en dehors des situations d’urgence, permanences d’accueil téléphonique...
En Irlande, par exemple, certains départements d’addictologie ont arrêté la dispensation quotidienne de multivitamines au profit d’une délivrance mensuelle pour réduire les interactions et le risque de contamination(6).
En France, la Mission Interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives a choisi de diffuser des messages préventifs pour limiter les risques liés à l’alcool durant le déconfinement(7).
Tabac
L’information selon laquelle le tabac serait un facteur de risque modifiable de l’infection à la Covid-19, est à l’origine d’un changement partiel du comportement des fumeurs(8).
- Dans une étude menée en France auprès de 787 fumeurs, 20 % des participants affirment avoir réduit ou arrêté le tabac pendant la pandémie(9).
- Une étude américaine révèle également que la crise sanitaire a incité un quart des répondants à diminuer l’usage de cigarettes, et plus d’un tiers à accroître leur motivation au sevrage(10). Cette motivation est corrélée à la perception du risque tabac-Covid-19, mais ne reflète pas le taux d’abstinence puisque 30 % des participants de cette étude ont majoré leur consommation de cigarettes.
- Ce constat est réédité dans une autre étude américaine menée auprès de fumeurs de cigares, avec une forte disparité entre la motivation à l’arrêt (71 % des participants) et la mise en œuvre d’une réduction de la consommation de cigares (17 % des répondants)(11).
Google Trends n’a d’ailleurs pas enregistré une augmentation des recherches d’aide au sevrage tabagique pendant le confinement(12). Plus encore, l’étude française citée précédemment révèle 35 % de majoration des conduites tabagiques ; les principaux facteurs impliqués seraient le sexe féminin, le célibat, un âge inférieur à 50 ans, un niveau d’éducation faible à intermédiaire, et l’absence de travail à distance(13).
Certaines études indiquent une prévalence plus faible de tabagisme parmi les patients atteints de la Covid-19 (environ 7 %)(13-16). Toutefois, ces résultats ne permettent pas d’établir une relation causale entre l’exposition au tabac et la prévention de la Covid-19. D’ailleurs, plusieurs études associent au tabagisme un risque de progression de la maladie et de complications chez les patients hospitalisés pour la Covid-19(17-20).
A l’heure actuelle, il n’existe pas de données probantes pour présenter le tabac comme protecteur vis-à-vis de l’infection et accompagner les fumeurs dans une démarche d’arrêt est impératif(21).
Opiacés
L’annonce du confinement a entraîné initialement en France un afflux de demandes en produits, puis une baisse significative des achats du fait des réserves constituées par les usagers et des restrictions de déplacement(22).
De nombreux usagers ont arrêté ou limité leurs consommations d’opiacés.
Selon le dispositif TREND, les usagers d’opioïdes achetés au marché noir ont d’avantage sollicité les Centres de Soins d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA) durant la pandémie pour bénéficier d’un traitement de substitution aux opiacés (TSO). Cette démarche émane en partie d’une volonté d’anticiper une éventuelle pénurie d’opioïdes, et de faire face à l’effondrement du pouvoir d’achat (baisse des ressources et majoration des tarifs)(22).
L’afflux de patients aux CSAPA a entraîné une restructuration de l’offre de soins (téléconsultation, système de permanence) et des services proposés. La délivrance des TSO a été facilitée (prolongation de la durée des ordonnances, sollicitation des pharmacies) avec à l’appui, l’arrêté du 23 mars
2020(22,23).
Des démarches similaires se sont développées Outre-Atlantique : initiation de la buprénorphine par téléconsultation légalisée(24), prescription de méthadone assouplie avec renouvellement possible par téléconsultation et durée maximale de délivrance prolongée chez des patients stables(25).
Jeu pathologique
Le confinement et les restrictions de déplacement ont augmenté et déplacé les pratiques de jeux d’argent et de hasard vers leurs versions en ligne(26-28). Le marché du jeu a dû s’adapter à cette évolution : des salles virtuelles de Bingo ont été développées, la promotion de la loterie en ligne a été autorisée dans plusieurs États américains, et le segment des paris en ligne a été élargi(29).
L’arrêt des compétitions sportives a entraîné l’essor du e-sport et des matches et courses de simulation. Le chiffre d’affaires de poker en ligne en France a connu une croissance de 126 % au 2e trimestre de 2020 par rapport à 2019(30). Cette hausse provient aussi bien d’une augmentation du nombre de joueurs actifs (+68 % par rapport à 2019) que de l’intensification de leur pratique (+34 % de dépense moyenne par joueur)(30).
- France, Belgique, Danemark
Les agences de régulation du jeu en ligne ont utilisé leurs plateformes pour inciter les joueurs à se fixer des limites de temps et d’argent(31). - Lettonie
La Lettonie a implémenté des mesures plus drastiques en interdisant temporairement les jeux d’argent en ligne(29). - Royaume-Uni
La Commission des jeux du Royaume-Uni a alloué 9 millions de livres sterling à GambleAware, organisation dédiée à la prévention du jeu, pour soutenir sa mission durant la pandémie.
Des membres du parlement britannique ont également proposé la mise en place d’un plafond de 50 livres sterling par joueur et par jour.
Addiction aux écrans
Le numérique s’est définitivement imposé à l’ère de la crise sanitaire pour l’information, le travail, la socialisation, ou encore le divertissement.
65 % des français ont majoré leur temps d’écran ; les facteurs de risque identifiés sont, entre autres, le sexe féminin, un âge inférieur à 30 ans, le célibat, un score élevé de stress, être confiné seul, en ville, sans accès à un espace extérieur(9).
Les achats de jeux vidéo ont bondi de 183 % en France et de 127 % en Europe depuis le début de la pandémie(32).
Activision Blizzard, qui compte à son catalogue "Call of Duty" ou "Candy Crush", fait état en août 2020 d’un chiffre d’affaires trimestriel en progression de 38 % sur un an(33) ; Steam (plateforme de téléchargement et réseau social pour les joueurs de jeux vidéo) a enregistré en avril un record de connections avec plus de 20 millions d’utilisateurs(34).
Plus globalement, une augmentation de 21 % des dépenses mensuelles des joueurs, une majoration de 11 % du temps consacré à jouer et une hausse de 42 % des streaming de jeux vidéo ont été observées(35).
Le recours aux sites pornographiques a également progressé ; Pornhub a enregistré une hausse de plus de 11 % au début du confinement, plus marquée dans les pays ayant bénéficié de l’accès gratuit aux services premiums de l’opérateur (38, 57 et 61 % respectivement en France, en Italie et en Espagne)(36).
L’OMS s’est saisie de cette tourmente numérique pour diffuser des messages de prévention de la Covid-19 auprès de l’audience des jeux vidéo via l’initiative #PlayApartTogether. Elle consacre également dans sa campagne #HealthyAtHome des messages préventifs sur le temps d’écran(37).
Conclusion
La pandémie a perturbé le marché des substances psychoactives et modifié les comportements addictifs. Elle a révélé l’importance des stratégies et dispositifs de prévention, d’information et d’accompagnement. Les campagnes de sensibilisation ont été repensées pour cibler entre autres les substances psychoactives licites, telle la campagne antitabac #QuitForCovid au Royaume Uni(8) ou encore le temps passé sur les écrans et jeux vidéo.
La transformation numérique a facilité la restructuration des soins addictologiques et la mise en place des téléconsultations et ou système de permanence.
Références
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