Une tentative de suicide pendant une permission de sortie d'hôpital psychiatrique
Un homme de 73 ans présente un état dépressif majeur d'intensité sévère, pour lequel il est suivi par un médecin psychiatre. Quinze ans auparavant, il avait déjà présenté un épisode sévère, ayant par ailleurs des antécédents familiaux de suicide.
Constatant une aggravation à type de délire, le psychiatre traitant propose une hospitalisation psychiatrique, acceptée par le patient, dans la clinique où il exerce. Il prescrit une restriction d'aller et venir hors de la clinique, ainsi qu’un traitement antidépresseur lourd.
Au départ en congés du psychiatre traitant, le patient se trouve sous la surveillance successive de deux autres psychiatres. Le premier décide de modifier le traitement médical en supprimant le recours à un antidépresseur. Peu après, le second procède à un sevrage médicamenteux complet. Il autorise également le patient à sortir de la clinique psychiatrique pour se rendre à une consultation chirurgicale non urgente au CHU, puis à rendre visite à sa famille pendant cette même journée. Il est prévu que le patient regagne la clinique le soir, à 21 heures.
Après son rendez-vous médical, le patient se rend comme prévu au domicile de sa compagne, où il tente de se suicider en s’éventrant avec un couteau, avant de se jeter par la fenêtre du premier étage. Après une chute sur une terrasse, il présente des blessures graves, dont il conserve des séquelles irréversibles.
Une décision de permission de sortie d'hôpital psychiatrique incompréhensible… et une organisation défaillante !
Le tribunal retient la responsabilité du premier psychiatre pour avoir supprimé le traitement antidépresseur au prétexte d'un mauvais état veineux. La prise en charge a ainsi été qualifiée d’inadéquate.
La responsabilité du second psychiatre est également retenue pour avoir autorisé la sortie d'un patient qui était pourtant signalé comme en état dépressif d'intensité sévère, avec des antécédents familiaux lourds et une aggravation récente, qui avait justifié son hospitalisation. Depuis le début de son hospitalisation, tant la famille que les infirmiers avaient signalé, à plusieurs reprises, des propos délirants et des sorties inopinées hors de la clinique.
Il apparaît également que la permanence des soins n'a pas été organisée correctement par la clinique psychiatrique, puisque aucun remplacement du psychiatre traitant pendant ses congés n’a été organisé. Deux médecins se sont donc succédés auprès du patient, sans qu’aucun des deux ne tienne compte des actes de l'autre et ne soit exactement informé du contexte de l'hospitalisation.
La perte de chance d'échapper aux dommages est estimée par le tribunal à 100 % :
- Le premier psychiatre, qui a modifié le traitement, est tenu responsable à hauteur de 10 %.
- La clinique, en n’organisant pas correctement la permanence des soins et en ne transmettant qu'imparfaitement les informations de la famille quant à l'aggravation de l'état de santé du patient, a concouru au dommage à hauteur de 20 %.
- Enfin, le deuxième psychiatre, en ne tenant pas compte des informations données par la famille ni de l'état délirant du patient, et qui a autorisé le patient par une permission de sortie de l'hôpital à sortir seul de l'établissement pour une consultation qui n'était pas urgente, est tenu responsable à hauteur de 70 % du dommage.
Vu l’importance du dommage, il est accordé plus de 400 000 € au patient et plus de 230 000 € à la CPAM.
Que retenir de cette affaire ?
- Lorsque plusieurs praticiens se succèdent au chevet d'un même patient du fait, par exemple, d’une période de congés ou d’un week-end, il existe un risque accru de passer à côté d’informations importantes ou de prendre des décisions qui, s’annulant ou se contredisant, peuvent être délétères.
- Dans cette affaire, les deux praticiens ne connaissaient pas le patient, ni ses antécédents, ni le contexte de son hospitalisation. Du fait d’une organisation défaillante, ils ne se sont pas concertés et ont pris des mesures qui, en s’additionnant, ont nui au patient.
- Par ailleurs, cette décision illustre le fait que les praticiens qui accordent une permission de sortie temporaire d'hôpital psychiatrique en cours d’hospitalisation engagent pleinement leur responsabilité s'il s'avère que l'état du patient a été mal apprécié, ou sous-estimé.
Cette appréciation de l’état de santé est d’autant plus importante quand, comme en l’espèce, il s’agit d’un patient admis en psychiatrie.
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