Des enregistrements de plus en plus fréquents et pas toujours anodins…
Pendant longtemps, la seule occasion pour un soignant d’être filmé au cours de son exercice professionnel s’est résumée aux vidéos tournées lors des accouchements par les futurs pères, armés de leur caméscope puis de leur smartphone. Des enregistrements réalisés ouvertement, sans autre volonté que de conserver la trace d’un moment personnel important.
Depuis quelques temps, cette pratique prend un tour nouveau avec des enregistrements (vidéo ou audio) plus fréquents, réalisés au vu du soignant, mais parfois aussi à son insu.
Les enregistrements réalisés ouvertement
L’usage du smartphone facilite la réalisation d’enregistrements dans tous les actes de la vie courante. Par exemple, de plus en plus de patients posent leur téléphone sur le bureau pour enregistrer les échanges avec le soignant et conserver une trace des informations données, pour y revenir ou les partager avec un proche après la consultation.
Un phénomène plus nouveau, bien qu’encore marginal, est apparu à l’ère des influenceurs : des personnes, très suivies sur les réseaux sociaux et habituées à partager chaque instant de leur vie avec leur "communauté", filment la consultation chez un professionnel de santé pour la diffuser en "story".
Ce phénomène se limite principalement aujourd’hui aux soins dans le domaine de l’esthétique et dans la plupart des cas, l’enregistrement est réalisé ouvertement, sans volonté de dissimulation.
Pour autant, ces comportements sont souvent mal perçus par le soignant qui peut être inquiet de l’usage qui sera fait de ces enregistrements : mise en cause de sa responsabilité professionnelle, diffusion de son image sur les réseaux sociaux, etc.
Les enregistrements réalisés à l'insu du professionnel
Depuis quelques mois, un nouveau phénomène inquiète les professionnels de santé. Ils surprennent de plus en plus souvent des patients en train de filmer discrètement la consultation, dans toutes sortes d’intentions :
- Une diffusion ultérieure sur les réseaux sociaux : la presse a récemment relaté le cas d’une soignante découvrant par hasard sur TikTok qu’elle avait été filmée à son insu lors de la réalisation d’une échographie obstétricale. Outre le fait qu’il n’est jamais agréable de se retrouver sur la toile sans avoir donné son accord, il arrive que la diffusion s’accompagne de commentaires désagréables ou diffamatoires. Le professionnel de santé peut avoir le sentiment d’être "jeté en pâture", voire menacé, d’autant plus s’il est nommément désigné ou reconnaissable dans l’enregistrement. La diffusion des images peut également entraîner des critiques sur la prise en charge médicale.
- Un moyen de pression : lors d’un échange informel, où chacun est en confiance, le soignant peut se laisser aller à une plaisanterie ou à un commentaire anodin qui, utilisé tel quel ou après montage, peut se retourner contre lui. Même si ces cas restent heureusement rares, un patient malintentionné pourrait utiliser l’enregistrement comme monnaie d’échange pour obtenir un arrêt de travail ou une prescription médicale.
- Une volonté de pré-constituer une preuve pour mettre en cause le professionnel de santé : on peut imaginer un patient méfiant qui, insatisfait des soins, utilise l’enregistrement pour apporter la preuve d’une faute médicale ou d’un défaut de prise en charge. Preuve que le juge n’acceptera d’ailleurs sans doute pas de prendre en compte, sauf cas particulier, dès lors qu’elle a été obtenue de manière déloyale et en portant atteinte à la vie privée du soignant.
Enregistrements de l’image ou de la voix : quels sont vos droits ?
Le droit à l’image procède du droit au respect de la vie privée. Il vous permet de vous opposer à la reproduction ou à la diffusion de votre image, qui constitue une donnée personnelle. Mais il doit se concilier avec le droit à l’information et la liberté d’expression.
Le principe : une diffusion soumise à autorisation
Conformément à l’article 9 du Code civil, toute personne a un droit sur sa propre image et l'utilisation qui en est faite, quel que soit le contexte de captation, dès lors que la personne est reconnaissable, c’est-à-dire qu’on peut discerner ses traits et ses signes distinctifs (voix, tatouage, cicatrice, etc.).
La diffusion de l’image n’est possible que sur autorisation écrite de la personne filmée, pour un support défini, et avec une durée limitée.
L'exception : le respect du droit à l'information et de la liberté d'expression
Le droit à l’image doit se concilier avec la liberté d’expression et le droit à l’information. C’est ce qui explique que l’autorisation de la personne filmée ou photographiée ne soit pas toujours obligatoire. C’est notamment le cas lorsque la prise de vue concerne :
- un groupe ou une scène de rue dans un lieu public quand personne n’est individualisé ;
- une manifestation publique ou un événement d’actualité ;
- une personnalité publique dans l’exercice de ses fonctions.
Dans le cas d’un professionnel de santé lambda filmé au sein de son cabinet, nous sommes bien dans l’hypothèse d’une autorisation pour diffuser les images, quel que soit l’objectif poursuivi.
Un patient vous filme, que faire en pratique ? Nos conseils
Il est normal de chercher à se prémunir contre ces pratiques qui mettent la relation de confiance en péril. Plusieurs solutions sont à votre disposition.
Afficher une interdiction de filmer en consultation
A titre préventif, le plus simple est sans doute d’apposer de façon visible, en salle d’attente et/ou dans le bureau du cabinet, un panonceau interdisant de réaliser un enregistrement au cours de la consultation.
Vos patients seront ainsi prévenus de ce que vous ne tolérez aucun enregistrement au sein de votre cabinet.
Demander au patient de cesser son enregistrement
Si vous surprenez un patient ou un accompagnant en train de filmer ou d’enregistrer, vous pouvez calmement lui demander de cesser cet enregistrement.
S’il invoque des motifs qui vous semblent recevables (par exemple conserver une trace des informations données pour s’en souvenir), vous pouvez donner votre autorisation, uniquement si vous le souhaitez. Mais attention alors de ne pas "édulcorer" vos propos.
Le fait d’être enregistré ne doit pas vous influencer dans votre manière de vous adresser au patient.
Demander le retrait des images si elles ont été diffusées
- Si vous constatez que des images ou votre voix, captées à votre insu, sont diffusées sur Internet (réseaux sociaux, blog, YouTube, etc.), nous vous conseillons d'abord de contacter l’auteur, si vous l'avez identifié, pour lui demander de retirer sans délai l’enregistrement. Cette démarche peut suffire dans certains cas, notamment quand le patient n’avait aucune mauvaise intention ni conscience de vous gêner.
- S’il refuse, vous pouvez exercer votre droit au déférencement en demandant aux moteurs de recherche de ne plus associer votre nom à un contenu. Pour tout savoir sur le déférencement, consultez le site de la CNIL.
- Vous pouvez faire jouer votre assurance e-réputation pour faire intervenir un prestataire informatique qui se chargera des démarches ou procédera à l’enfouissement du contenu.
- Vous pouvez également saisir le juge (généralement en référé, procédure d’urgence) pour demander le retrait de l’enregistrement et, éventuellement, obtenir des dommages et intérêts.
- Il est également possible de porter plainte pour atteinte à la vie privée. Le seul fait de photographier ou filmer une personne dans un lieu privé ou transmettre son image sans son autorisation est passible d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende. La publication de la photo ou de la vidéo sans son accord est, par ailleurs, sanctionnée d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.
Cesser de suivre le patient : possible, mais sous conditions
Quand un patient vous filme à votre insu, la confiance est nécessairement rompue. Vous pouvez donc être tenté de cesser la prise en charge.
Même si vous êtes légitimement indigné, vous ne pouvez pas décider du jour au lendemain de ne plus assurer le suivi de votre patient. Des conditions doivent impérativement être respectées pour ne pas risquer d’engager votre responsabilité.
À noter
Être filmé à son insu par un patient n’est évidemment pas une expérience agréable. Mais l’inverse est également vrai ! Le professionnel de santé doit s’abstenir de filmer ou enregistrer ses patients pendant la consultation, ceci d’autant plus qu’il est astreint au secret professionnel.