Des soignants créateurs de contenu de plus en plus nombreux
Pendant longtemps, seuls quelques médecins, figures médiatiques bien connues, se sont lancés dans la diffusion à grande échelle d’informations sur la santé à destination du grand public.
Aujourd'hui, et en particulier depuis la crise Covid, c'est une pratique beaucoup plus répandue. L'information se démultiplie et ne passe plus par les seuls canaux traditionnels que sont la presse, la télévision ou la radio ou encore les sites Internet de présentation d’activité médicale.
Beaucoup de professionnels de santé ont, par exemple, créé une chaîne YouTube ou des comptes sur les réseaux sociaux dédiés à la communication d’informations santé, au sens large ou ciblée sur une pratique ou une pathologie en particulier.
Cette communication, par ses formes variées et sa régularité, va bien au-delà de la simple animation d’un site Internet. Elle passe par la réalisation de vidéos, d’infographies, d’animations ou encore de "live", sessions pendant lesquelles une interaction est possible entre l’animateur et les internautes.
C’est pour cette raison que l’on parle de "création de contenu".
Des risques de dérives
Le fait que les soignants investissent le monde de la création de contenu n'est pas, en soi, problématique. En effet, en tant qu'acteurs du monde de la santé, ils ont toute légitimité pour évoquer certaines pathologies, sensibiliser le public et communiquer les informations les plus récentes.
Cependant, de mauvaises pratiques peuvent poser des problèmes éthiques et déontologiques. C’est notamment le cas quand le médecin passe de créateur de contenu (à visée essentiellement informative et éducative) à influenceur (avec la volonté d’orienter les choix ou les comportements de son audience et d’utiliser cette visibilité pour promouvoir des produits, des marques ou des idées).
Voici quelques exemples de situations qui peuvent être sources de comportements contraires à la déontologie.
- Le médecin créateur de contenu se constitue une véritable communauté, parfois en très grand nombre. Cette forte visibilité donne davantage de poids à ses paroles, que le public va avoir tendance à privilégier par rapport à d’autres sources et à relayer massivement. Cela implique une vraie responsabilité quant aux propos tenus.
- Un dérapage vers des pratiques publicitaires est possible, notamment si le médecin créateur de contenu est approché par des agences d’influence ou s’il fait la promotion de son activité pour inciter le public à avoir recours à lui pour des soins.
- Il existe également un risque de dispenser des informations insuffisamment vérifiées ou de promouvoir des remèdes insuffisamment éprouvés. En effet, certains professionnels de santé créateurs de contenu se présentent comme des spécialistes d'une pathologie ou d'une problématique de santé publique et se prévalent largement de cette étiquette d’expert, sans pourtant l’être réellement.
- Le professionnel de santé créateur de contenu peut être tenté de conclure des collaborations commerciales et de réaliser des placements de produits, ce qui va à l'encontre de l'éthique de sa profession et nuit à sa crédibilité.
- La création de contenu par un médecin doit, avant tout, répondre à des impératifs de qualité du contenu diffusé. Or, certains créateurs peuvent, petit à petit, mettre davantage l’accent sur l’interaction avec leur communauté et la construction de leur image personnelle. Ils peuvent également consacrer davantage de temps à la mise en forme de leur communication qu’au fond du message diffusé.
Un guide pour donner un cadre déontologique à la création de contenu
Soucieux de limiter au maximum les dérives possibles, le conseil national de l'Ordre des médecins a élaboré une charte de bonne conduite, avec l'appui de YouTube et de cinq médecins créateurs de contenu.
L'objectif n'est pas de restreindre la liberté d’expression des professionnels de santé.
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Il s’agit surtout de crédibiliser davantage leur parole, par opposition à des paroles moins expertes qui se multiplient sur les réseaux sociaux et les plateformes vidéo.
La charte comporte 10 principes importants qui doivent sous-tendre toute activité de création de contenu par un médecin.
1. | Objectif de partage de contenu pédagogique (quand il s'adresse à des confrères) et médical et scientifique vulgarisé (quand il s'adresse au grand public). |
2. | Utilisation du titre de docteur limitée aux personnes qui disposent effectivement de ce titre et, en toutes hypothèses, l’Ordre doit en être informé. |
3. | Interdiction de tout système de référencement payant ayant pour objet de faire remonter le contenu produit dans les résultats de recherche, et mention obligatoire dans les contenus des éventuels partenariats. |
4. | Date et source des contenus clairement indiquées, et mise à jour régulière lorsque le sujet évolue. |
5. | Pas de conseil médical personnalisé à un patient qui en ferait la demande sur les réseaux sociaux ou le support utilisé. |
6. | Pas d’encouragement de pratiques non validées scientifiquement dans les contenus publiés. |
7. | Pas de publicité sur l'activité professionnelle médicale du créateur de contenu. |
8. | Pas de promotion d'un produit de santé, d'un médicament ou d'un dispositif médical. |
9. | Prudence et modération dans les propos et interactions avec les internautes. |
10. | Importance de l’identification en qualité de médecin pour que le contenu puisse être, sans risque de tromperie, considéré comme un contenu de santé. |
Pas de caractère contraignant... mais un gage de qualité des contenus et de l'image du médecin
La signature de cette charte n'est pas obligatoire : elle n'a donc aucun caractère contraignant pour le médecin créateur de contenu.
C’est cependant un gage de qualité et de sérieux, tant des contenus que du médecin qui en est l’auteur. En effet, la signature de la charte est un signe d’engagement pour une communication éthique et respectueuse des principes déontologiques.
Surtout, la plupart des points de la charte ne sont que la traduction de principes déontologiques applicables aux médecins (interdiction de la publicité, pas d’usurpation de titre, respect des règles de communication au public posées par le décret du 22 décembre 2020, etc.).
Qu’il signe concrètement la charte ou pas, le médecin doit en toutes hypothèses respecter ces principes.
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Les 10 conseils de la MACSF si vous êtes médecin créateur de contenu
Si vous décidez d’investir les réseaux sociaux ou les plateformes vidéo pour informer le public sur des pathologies, des prises en charge ou des sujets de santé publique, nous vous recommandons la plus grande vigilance. Il en va de votre crédibilité, de votre image et, par extension, de l’image de votre profession.
Voici donc quelques conseils pour "rester dans les clous" :
- Respectez l’état de l’art (bonnes pratiques, recommandations, état de la science) au moment où vous publiez votre contenu. Il n’est pas interdit de militer pour une évolution, mais il faut veiller à ne pas inciter le public et les patients potentiels à s’en détourner. Si vous évoquez des travaux en cours, prenez bien soin de préciser qu’ils ne sont pas aboutis.
- Publiez un contenu scrupuleusement vérifié, sourcé et à jour. C’est un gage de sérieux qui vous différenciera du "coach" ou du "conseiller santé", non médecin, dont les contenus sont moins experts, voire fantaisistes.
- Ne dénigrez pas des confrères ou des avis que vous n’approuvez pas. Vous avez le droit d’être critique, mais le principe de confraternité doit être respecté.
- Ne vous présentez pas comme expert si vous ne l’êtes pas réellement. Gardez bien en tête que si vous avez une forte communauté, elle va avoir tendance à vous faire confiance, parfois aveuglément. Cette confiance ne peut reposer que sur une expertise avérée.
- Sollicitez l’avis de confrères sur les contenus que vous produisez lorsque cela est possible. Ce second regard peut permettre de débusquer des erreurs ou des tournures qui peuvent prêter à confusion.
- Respectez strictement le secret médical. Il n’est pas question, par exemple, de faire figurer dans vos vidéos des éléments couverts par le secret. Si vous racontez certaines de vos prises en charge, veillez bien à modifier des éléments pour que la personne concernée ne soit pas reconnaissable.
- Ne faites jamais de publicité ou de placement de produit.
- Ne vantez pas exagérément vos pratiques ou votre exercice et n’incitez jamais les patients à vous consulter.
- Soyez prudent si vous utilisez un ton humoristique, décalé ou ironique dans vos contenus. Tous les sujets ne s’y prêtent pas, et une trop grande légèreté de ton peut nuire non seulement à votre propre image, mais aussi à celle de votre profession.
- La création de contenu est exigeante en temps et en investissement. C’est une donnée importante à prendre en compte dans l’organisation de votre activité.